Un ami, dont la colère légitime est ravivée par les dérives des nouveaux rupins volubiles et de sa majesté surprise par son propre destin, me disait qu’il cherchait réconfort dans ce qu’aurait été le Sénégal si l’actuel tyran avait été président de la République aux premières heures de l’indépendance. Le roman de notre nation aurait été beaucoup plus tragique que le drame que Macky Sall nous fait vivre aujourd’hui. Notre pays aurait émargé dans le registre des territoires qui ont engendré des dictateurs impitoyables pernicieusement appelés « pères de la Nation ». Ils ont célébré, dans le délire totalitariste, leur épopée de sang et de larmes. Ils ont, dans la nuit de leur magistère, liquidé l’espérance qui est le plus bel éloge au destin collectif. Beaucoup de vocations patriotiques ont fini dans l’abîme de cette violence d’état.
Le Sénégal a produit des présidents à la carrure respectable quoiqu’on puisse penser de leurs états de service. Cela relève du débat national et de l’entérinement de la postérité. Dorénavant, nous pouvons dire que Macky Sall n’a pas la délicatesse salvatrice de Léopold Sedar Senghor (capable certes de quelques « embardées ») qui était d’intelligence avec son peuple, avec les institutions pourvoyeuses de sens. Abdoulaye Wade, dont le secrétaire général de l’Alliance pour la République est la pâle copie, était au moins doué d’un charisme entraînant et avait cette faculté de nourrir des rêves, de transcender les petites appartenances et les chamailles politiciennes résultant de sa boulimie de puissance. Croiser le fer avec ses adversaires est une règle du jeu politique bien chère à Me Wade. Toutefois, il n’a pas succombé à l’extrême cynisme de la liquidation aussi bien symbolique que politique. Les preuves d’un ordre à liquider un postulant à la charge si honorable de président de la République ont aujourd’hui deux noms et deux visages : Karim Wade en exil et Khalifa Ababacar Sall à Rebeuss. Les témoignages de sympathie sont vite devenus une alerte à la parte du pouvoir si bruyantes et si confondantes.
Abdou Diouf, lui, avait cette posture accommodante qui captait notre confiance bien que sa débonnaireté découlant de l’usure du pouvoir ait accordé un instant d’éclat insoutenable à des hommes comme Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse, pseudo-républicains si souvent couverts d’éloges par la coterie des thuriféraires de tous les régimes. Que le dithyrambe les gonflant d’orgueil ne les étourdisse pas davantage à leur âge ! Ils ont mieux à faire pour redorer leurs blasons dont ils ne devraient pas tirer grande fierté à moins que les délices du pouvoir ne les aient enivrés. L’ivresse du pouvoir étend une ombre sur le pedigree si longtemps chanté.
Ils ont préféré, face au péril, marchander avec leur conscience alors que la Nation, qui en a fait des privilégiés, espérait qu’ils accédassent à la lucidité, à la sagesse et surtout à la noblesse. Face aux dérives de leur « poupon » devenu, par la force de circonstances troubles, un « roitelet » insensible au sort des infortunés Sénégalais, les deux papys méritaient un meilleur « album-souvenirs ». Oui, inéluctablement ils partiront un jour. Et on entonnera, ensemble, la sournoise ritournelle funèbre « un grand homme d’Etat s’en est allé » ! Un grand homme d’Etat ne s’obstine pas dans un silence coupable quand de dignes fils de la Nation sont brimés, les derniers publics confiés à une chapelle familiale vorace, les fondements de la Nation sapés, la constitution tripatouillée ; cette même charte pour laquelle Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng prétendaient se battre.
Macky Sall nous a déçus. Les deux insatiables vieillards nous ont désenchantés, leurrés. On ne pouvait pas s’attendre à ce que la « grosse pierre » de Niasse nous tombât en pleine figure. L’épilogue du récit d’horreur de ces deux symboles du reniement est déchirant. Plus pour eux que pour nous.
Dans ces moments embrumés, ces propos tenus, en octobre 1962, par l’ancien président du Conseil, Mamadou Dia, à l’endroit de ses souteneurs et de ses pourfendeurs, devraient inspirer le binôme du désappointement : « l’heure n’est plus à la propagande électorale mais à la construction nationale. Tout le reste était faux problème, astuce subalterne qui ne doit pas nous retenir. Nous n’avons pas le droit, au moment où nous avons soulevé tant d’espoir parmi les populations, si nous voulons rester honnêtes avec nous-mêmes, nous n’avons pas le droit de partager le parti, de partager le pays en petits clans. A ceux qui croient me faire plaisir en se réclamant de mon clan, je dirai qu’ils se trompent ; mon clan à moi, c’est le parti, et mon maître après Dieu, c’est la Nation ». Voici des mots d’un homme d’Etat différents des pathétiques bravades d’un vieil homme du haut de son perchoir. Il n’y a que deux clans aujourd’hui au Sénégal : les âmes désemparées et ceux qui les narguent. A l’antipode de la bienséance.
Le président Macky Sall est entré dans l’histoire. Mais, on retiendra de lui moins ce qu’il croit être des réalisations de grande envergure que l’image du despote qui se débarrasse de toutes les contrariétés politiques en foulant aux pieds tous les acquis démocratiques du Sénégal. Il ne se défera point des âmes désabusées qui l’attendent au tournant. Que le maire de Dakar soit en prison. Que Karim Wade soit à mille lieues de son pays. Le Sénégal est à ses fils. L’histoire de ne travestit pas. De même, l’âme d’une nation ne peut être l’otage de coteries ou de trajectoires défaites à l’épreuve de l’éthique.
Sa paranoïa a fini par accoucher hideusement du parrainage. Enième forfaiture. Il en commettra encore tant que les fameux « hommes d’Etat » nourriront en lui ce sentiment de puissance par leurs acquiescements inconditionnels. Nous continuons de penser, toutefois, que le peuple sénégalais est encore capable de « sursaut », d’accéder à la lucidité. Car, Macky Sall, c’est le péril. Les papys et leurs acolytes ne nous en délivreront pas.