Dans un pays de door katt et de xarkartu maat, la liberté de la presse a-t-elle un avenir ? Un pays où un ministre la République déclare péremptoirement que la presse sénégalaise est l’une des meilleures au monde peut-il prétendre qu’il a une presse libre ? Un pays où l’aide de la presse et l’armistice fiscale sont tributaires de l’«amicalité» de la ligne éditoriale est-il propice à l’expression d’une quelconque liberté de la presse ? Qu’est ce que la liberté de la presse dans un pays où des patrons de presse et des journalistes subissent des pressions lorsqu’ils publient des articles jugés hostiles au régime ? «Macky Sall a encore augmenté l’indemnité des enseignants», «Macky Sall sauve l’année scolaire», «Dénouement de la crise scolaire, Macky Sall sauve le Sénégal d’une année blanche», etc. C’est par ces expressions dithyrambiques que la presse en ligne a annoncé la suspension du mot d’ordre de grève des enseignants. Est-ce de la paresse intellectuelle ou plutôt de la malhonnêteté intellectuelle ? L’on ne peut pas ne pas être animé de sentiment de révolte lorsqu’on confronte de tels énoncés avec la réalité. La volonté de désinformer et de déformer la réalité est ici manifeste et l’on ne peut qu’être inquiet quant à l’avenir de la démocratie lorsque la presse se prête à un jeu aussi frivole. Les Sénégalais doivent savoir que les enseignants étaient en grève pour pousser l’Etat, non à leur accorder des faveurs supplémentaires, mais à respecter ses engagements ! Il s’agissait d’amener Macky Sall à tenir ses promesses et non d’en formuler de nouvelles. La question est plutôt de savoir : quelle cohérence y a-t-il à observer une grève pour des promesses non tenues et la lever encore pour de nouvelles promesses ? Pourquoi les enseignants ont-ils accepté d’autres promesses de Macky Sall alors qu’ils ont justement observé plusieurs mois de grève pour cause de non respect par ce dernier de sa promesse, des accords dits réalistes et réalisables ? La presse aux titres aussi pompeux se serait posée ces questions, et elle aurait plutôt titré «les enseignants ont sauvé l’année» ou encore «le patriotisme des enseignants les a incités à suspendre leur mot d’ordre de grève, malgré une faible moisson constituée uniquement de nouvelles promesses». Les vrais héros dans cette histoire de suspension du mot de grève, ce sont les enseignants qui, par abnégation, ont décidé de rejoindre les classes sur la base de simples promesses, lesquelles viennent d’ailleurs s’ajouter à d’autres. On ne saurait par conséquent présenter Macky Sall comme le héros dans cette affaire : c’est par son manque de courage et de respect de sa parole que cette grève est arrivée. L’atrophie de son gouvernement face à la demande sociale des travailleurs n’a jamais été égalée, même si, par une communication mensongère, on a tenté de maquiller cette mauvaise volonté en promptitude.
Macky Sall n’a pas sauvé l’année, il a encore fait ce qu’il a l’habitude de faire ; et la preuve en est qu’il a pris le soin de n’accorder aux enseignants aucun acquis immédiat : il est resté dans la logique de ses vint cinq mille francs avant la fin de son mandat. Le reste est une promesse aux relents politiques manifestes : si je suis réélu je porterai l’indemnité à cent mille francs ! L’alignement de l’indemnité de logement devrait être un acquis immédiat, car contrairement à ce qui est véhiculé dans certains médias, Macky Sall est le Président qui a été le moins généreux avec les enseignants. Sous Wade dont il est le successeur, on a eu entre cent mille et cent cinquante mille francs d’augmentation. En plus de cette augmentation, substantielle, on a eu la Mecap pour lutter contre la pratique usurière dont les enseignants étaient victimes, l’augmentation de l’avance Tabaski (de vingt cinq mille à cinquante mille) l’augmentation du crédit DMC de deux millions cinq cents à cinq millions, et l’indemnité de déplacement à 25000f par jour etc. Tels sont les faits historiques. Il faut d’ailleurs préciser que certaines avancées ont été décidées de manière souveraine et spontanée par Wade. On ne peut pas pour autant dire que les enseignants ont été plus grévistes sous Macky que sous Wade. Prétendre que Macky Sall a beaucoup fait pour les enseignants n’est pas seulement un mensonge, c’est une insulte à notre intelligence.
Ce tapage qui est en train d’être fait sur la suspension de la grève des enseignants n’obéit pas à une logique de vérité historique, il obéit plutôt à une logique politicienne. C’est malheureusement de cette manière peu orthodoxe que les faits sont relatés par la presse sous le règne de Macky Sall. Il faut arrêter de tromper le peuple sénégalais pour une affaire d’intérêt pécuniaire. Il faut libérer la presse de cet assujettissement à la course effrénée vers le plus de per diem qui lui enlève toute forme de liberté. Quand les patrons des plus grands groupes de presse sont majoritairement au service du pouvoir dans un pays, la liberté de la presse n’est qu’une forme de supercherie sur le dos de l’opinion publique.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
SG du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal
Requiem pour la liberté de la presse au Sénégal (Par Alassane K. KITANE) | .
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