L’analyse comparée de 4 juridictions Constitutionnelles en Afrique de l’Ouest (Mali, Bénin, Côte d’Ivoire, Gabon) démontre que le Sénégal a fait un prodigieux bond en arrière en matière de démocratie, et de pratiques constitutionnelles déconsolidantes.
Au Mali, la Constitution a définitivement réglé la question du mandat présidentiel. 30 dispose « Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à deux tours. Il n’est rééligible qu’une seule fois ». Il n’y a nulle place pour une quelconque interprétation. La question d’un éventuel 3éme mandat du Président qui fait l’objet d’un débat entre Constitutionalistes au Sénégal (absence de dispositions transitoires précisant que le mandat en cours fait partie du décompte pour Macky Sall) est tranchée une fois pour toutes au Mali. Dans ce pays la Cour Constitutionnelle a mis en place un programme pédagogique de sensibilisation des citoyens (diffusion d’une revue trimestrielle gratuite intitulée « le Citoyen » ; actions de formation sur la tenue des élections et les droits des citoyens ; publication et transmission de lettres-circulaires aux membres de la société civile, aux organisations des droits de l’homme, aux syndicats, et aux autorités indépendantes).
Au Bénin, la Cour Constitutionnelle a diffusé en août 2015, un rapport extrêmement détaillé intitulé « Rapport d’évaluation des élections législatives d’Avril 2015 ». Publié 4 mois après les élections législatives de 2015, ledit rapport de 108 pages a pris l’exacte mesure des dysfonctionnements relevés, tiré les enseignements dudit scrutin et formulé des recommandations précises pour les élections présidentielles de 2016, dont les résultats n’ont fait l’objet d’aucune contestation (le candidat Lionel ZINSOU ayant reconnu sa défaite au second tour, avant la publication des résultats officiels). Une démarche rendue possible grâce à un scrutin présidentiel libre, transparent, sincère et démocratique. Pendant ce temps, au Sénégal, le terrible fiasco des élections législatives de 2017, et la privation de vote de millions de sénégalais n’ont donné lieu aucune étude ou évaluation du Conseil Constitutionnel, qui enfermé dans sa tour d’Ivoire, et après avoir validé un scrutin insincère fait « le mort ».
En Côte d’Ivoire, 60 de la Constitution est précis : « Lors de son entrée en fonction et à la fin de son mandat, le Président de la République est tenu de produire une déclaration authentique de son patrimoine devant la Cour des Comptes ». Alors qu’en Côte d’Ivoire, la déclaration de patrimoine se fait auprès de la Cour des Comptes dont le champ de compétence prévoit une mission de contrôle ; au Sénégal, ladite déclaration est effectuée au niveau du Conseil Constitutionnel, dont le rôle principal est de veiller au respect de la Constitution. Au Sénégal, la déclaration de patrimoine du Président constitue une simple formalité juridique (le document est reçu, enregistré et consigné). En effet, il ne relève pas des attributions du Conseil Constitutionnel de vérifier l’authenticité de la déclaration de patrimoine du Président. Ainsi, l’ancien locataire en 2000, devenu milliardaire en 2012 (sa déclaration de patrimoine fait foi), se soustrait aux instances de contrôle, en remplissant les conditions de légalité formelle (dépôt de la déclaration auprès du Conseil Constitutionnel). Le dispositif étant insuffisant, il convient de transmettre les déclarations de patrimoine à une Autorité indépendante (ex « Haute Autorité de Transparence pour la Transparence de la Vie Publique » en France).
Au Gabon, dont l’histoire politique est marquée par le règne de la dynastie BONGO, et 30 ans de parti unique, des progrès significatifs ont été accomplis en termes de révisions constitutionnelles consolidantes. La Cour Constitutionnelle dispose d’un Site Internet extrêmement documenté grâce à une abondante jurisprudence. Le portail établit une distinction claire entre les Avis et les Décisions (accessibles à tous les citoyens) qui ne laisse place à aucune forme de confusion. Une innovation remarquable est apportée par la loi N° 047/2010 qui permet « à tout justiciable de soulever une exception d’inconstitutionnalité à l’encontre d’une loi ou d’un acte réglementaire qui méconnaîtrait ses droits fondamentaux ».
Le dénominateur commun entre les 4 pays précités réside dans la démarche de transparence initiée par les juridictions constitutionnelles : accessibilité (site Web), information et sensibilisation du public sur les missions de la Cour Constitutionnelle, rédaction de rapports sur le déroulement des scrutins et les dysfonctionnements y afférant, publication et mise à disposition de tous les Avis et Décisions.
Au Sénégal, considéré jadis comme une référence en Afrique, le Conseil Constitutionnel a choisi une toute autre voie : l’opacité comme mode de fonctionnement. Ce qui frappe d’emblée le visiteur du site du Conseil Constitutionnel (http://conseilconstitutionnel.sn/acceuil/), c’est l’extraordinaire volonté de dissimulation. Tous les Avis et Décisions du Conseil Constitutionnel, à l’exception des résultats des élections législatives déjà connus de tous, portent la mention « Protégé – Cet article est protégé par un mot de passe ». On peut s’interroger sur une pratique inédite qui n’a cours ni au Bénin, ni au Gabon, ni en Côte d’Ivoire, encore moins au Mali. Au fait, les Avis et Décisions sont-ils estampillés du sceau « secret d’Etat » ? Que cherche à camoufler le Conseil Constitutionnel au point de ne vouloir que ses Avis et Décisions (documents publics) soient accessibles aux Citoyens ? Autant le dire clairement : il y a anguille sous roche.
Mais le mieux est à venir. Il s’avère qu’en 2016 (Avis du Conseil Constitutionnel sur le mandat en cours) et 2017 (Avis du Conseil Constitutionnel sur la possibilité pour l’électeur inscrit sur les listes électorales de voter avec d’autres documents que la carte CEDEAO), et contrairement à tout ce qui a été dit, rabâché, et répété par les autorités officielles, le Conseil Constitutionnel n’a jamais rendu des Décisions suite aux 2 saisines dont il a fait l’objet, mais des Avis. Pour en avoir la preuve définitive, il ne suffit point de consulter un Constitutionnaliste ou un Juriste, mais de se référer au Conseil Constitutionnel himself. En effet, en 2013, dans l’affaire « N°2/C/2013 – Demandeur Cour suprême – Séance du 18 juillet 2013 », statuant en matière constitutionnelle, le Conseil Constitutionnel, après avoir rappelé Chaque Considérant a conclu magistralement son argumentaire par le Motif : DECIDE
En 2016, saisi par le Chef de l’Etat sur les 15 points d’une réforme constitutionnelle, intégrant la réduction du mandat en cours, le Conseil Constitutionnel après avoir rappelé Chaque Considérant a conclu son argumentaire (Considérant 43) par le Motif : EST D’AVIS QUE
En 2017, saisi par le Président, sur la possibilité pour chaque électeur inscrit sur les listes électorales, et non détenteur de la carte d’identité CEDEAO de pouvoir voter avec des documents simplifiés, le Conseil Constitutionnel après avoir rappelé Chaque Considérant a conclu son argumentaire (Considérant 7) par le Motif : EST D’AVIS QUE
Il en ressort clairement, que ce qui importe pour apprécier ce qui relève d’un Avis ou d’une Décision du Conseil Constitutionnel, il faut se référer au Conseil Constitutionnel himself. C’est donc bien le Motif qui définit la nature de l’Acte et non le timbre figurant (à gauche) dans l’entête du document du Conseil Constitutionnel qui porte systématiquement la mention « Décision N° XX». Pour avoir qualifié l’Avis du Conseil Constitutionnel (N° 1/C/2016 du 12 février 2016) de Décision, le Président Macky Sall avec tout le respect dû à la fonction a raconté des bobards aux sénégalais. Pour avoir laissé les autorités officielles, qualifier ses Avis de 2016 et 2017 de Décisions, sans sourciller, les 7 Sages ont entretenu la confusion, failli à leur mission, ouvert la voie d’une insécurité juridique et manqué d’honorer leur serment. L’honneur commande aux Sages de présenter leurs plates excuses aux Sénégalais. A ce jour, les conditions pour l’indépendance, et l’impartialité du Conseil Constitutionnel ne sont pas garanties. En 2011, sous WADE, le salaire des hauts magistrats avait été porté par décret, à 5 millions de FCFA. On imagine ce qu’il en est aujourd’hui, en 2018 avec un Macky Sall « sauvé à 2 reprises, par des Avis transformés en Décisions ». Ceci explique peut-être Cela.
Seybani SOUGOU – E-mail : sougouparis@yahoo.fr
Le Conseil Constitutionnel sénégalais, un contre-modèle .