« La justice est réalisable sur terre, compatible avec la nature humaine, sinon la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue », Rima Hawi
Les deux balances de la justice sont le symbole de notre nouveau mouvement politique, Forces démocratiques du Sénégal (FDS). La justice est la pierre angulaire de toute société démocratique. De ce fait, la légitimité de toute magistrature repose sur sa capacité à rendre la justice dans l’équité et l’impartialité. Le sage Al-Maghili invitait les hommes politiques à la justice et à l’équité ; il rappelait en 1498 à l’Askiya Muhammad de Gao : « Tu n’es en effet qu’un esclave (abd mamluk), qui n’a rien en propre. C’est ton Maître qui t’a élevé au-dessus de beaucoup de ses serviteurs pour que tu réformes leur pratique religieuse et leur comportement dans ce monde et non pour que tu sois leur maître et seigneur. Tu es sur toute l’étendue de ton royaume un pasteur et nullement un propriétaire. Tout pasteur est responsable du troupeau de son maître. Réfléchis avant qu’il ne soit tard, car nul n’échappe à la mort ». Dans le même registre l’envoyé de Dieu Mouhammad (PSL) affirmait : « Tout chef de tribu sera présenté au Jour du Jugement dans les chaînes : ou la justice l’en délivrera ou l’injustice l’y fera périr ». Également, Périclès d’Athènes, à la fin de sa vie, confiait à ses proches qu’aucun athénien n’a été victime d’une injustice par sa faute. Combien d’hommes politiques et de magistrats sont-ils prêts à s’inspirer des propos du prophète de l’islam, du sage de Gao et de Périclès ?
Rupture d’égalité
Nous vivons une situation politico-sociale porteuse d’un malaise très profond. L’institution judicaire ne rassure plus nos compatriotes. Le sentiment le mieux partagé est que la justice est ligotée par le régime en place ; elle est rendue non plus au nom du peuple, mais au nom de ceux qui contrôlent le pouvoir politique. Ce qui débouche sur une violation flagrante des droits fondamentaux et inaliénables des citoyens sans qu’ils n’aient la possibilité d’avoir des institutions de recours dignes de confiance pour corriger l’injustice dont ils sont victimes. Nous subissons une atmosphère porteuse de conflits et de violences.
Les arrestations arbitraires sont devenues monnaie courante. Les procès politiques se multiplient dans une perspective d’instaurer « une politique sans adversaire ». Les règles élémentaires de la démocratie sont systématiquement violées et le droit de vote est devenu sélectif dans notre pays. L’administration a empêché des citoyens de Touba et d’autres villes (Dakar et Thiès) de voter aux élections législatives du 30 juillet 2017, parce qu’ils ne seraient pas favorables au régime en place. Les libertés individuelles et collectives sont confisquées par l’autorité politique. De ces constats, on peut affirmer sans se tromper que la justice est devenue le bras armé du pouvoir dans son entreprise funeste de liquidation de ses adversaires politiques. L’ostracisme (l’exil politique) jusqu’ici inconnu dans notre système judicaire est devenu une réalité politique. Le droit d’éligibilité est menacé au Sénégal par un pouvoir qui instrumentalise la justice pour mettre en prison ses adversaires. Des personnalités de l’État, impliquées dans des scandales graves, sont protégées, pendant que de plus faibles qui ont commis des fautes mineures croupissent en prison. Tout ceci donne raison, malheureusement, à Anacharsis (souvent cité parmi les Sept Sages) qui se moquait de Solon (le célèbre législateur d’Athènes): « Tu penses pouvoir réprimer l’injustice et la cupidité de tes concitoyens par des lois écrites. Mais celles-ci ne diffèrent en rien des toiles d’araignée : elles garderont captifs les plus faibles et les plus petits de ceux qui s’y feront prendre ; mais les puissants et les riches les déchireront ». Les plus pauvres sont stigmatisés dans notre pays et cette situation est à l’origine de la désaffection croissante envers le système judiciaire. La légitimité des institutions politiques se fonde sur leur capacité à produire des décisions impartiales. La justice sélective engendre le chaos politique et social. Un système judiciaire impartial est la pierre angulaire de tout État de droit.
Les convulsions politiques viennent de pouvoirs corrompus qui imposent par la force des décisions arbitraires. Quand des injustices se répètent sans que les victimes n’aient aucune voie de recours digne de confiance, la société risque de s’embraser dans la violence. Toutes ces revendications constituent une lutte pour l’égalité. Les masses populaires sont à nouveau interpelées. Le Sénégal ne peut être que dans la démocratie et la liberté.
Qu’est-ce qu’une société juste ?
La théorie de la justice de John Rawls s’articule autour de deux principes majeurs :
« En premier lieu : chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres. En second lieu : les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois, (a) l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun et (b) qu’elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous ».
John Rawls divise la structure de base (les institutions) en deux sphères : l’une politique, à laquelle s’applique le premier principe, l’autre économique, à laquelle s’applique le second principe.
Le premier principe est celui d’égale liberté de tous qui défend la liberté d’entreprise de chacun pour satisfaire ses propres fins. Ce principe de liberté protège l’inviolabilité des libertés fondamentales, ou libertés de base dont chaque individu a le droit de bénéficier. John Rawls indique dans Théorie de la justice, la liste de celles qui sont les plus importantes dans une société : les libertés politiques (droit de vote et d’éligibilité), la liberté d’expression, de réunion, la liberté d’association et de manifestation, la liberté de pensée et de conscience, la liberté de la personne qui comporte la protection à l’égard de l’oppression psychologique et de l’agression physique (intégrité de la personne) le droit de propriété personnelle et la protection à l’égard de la personne et de l’emprisonnement arbitraires.
Ces libertés ne peuvent faire l’objet d’aucun compromis, d’aucun marchandage. Elles sont définitives dans une démocratie. Si une liberté fondamentale est violée, l’Etat de droit s’écroule. John Rawls est radical sur ce point : « Chaque personne possède une inviolabilité fondée sur la justice qui, même au nom du bien-être de l’ensemble de la société, ne peut être transgressée […] dans une société juste, l’égalité des droits civiques et des libertés pour tous est considérée comme définitive ; les droits garantis par la justice ne sont pas sujets à un marchandage politique ni aux calculs des intérêts sociaux ». Donc, la justice repose d’abord, sur le respect des libertés fondamentales. Sans cela, il n’y a pas d’Etat de droit, il n’y a pas de démocratie. Donc, les libertés de base ont une valeur absolue. Elles ont priorité sur toutes les autres considérations utilitaristes. Les libertés de base doivent être protégées, elles ne peuvent être violées sous quel que prétexte que ce soit. Le premier principe de justice de John Rawls garantit l’Etat de droit. Les magistrats doivent veiller au respect scrupuleux du premier principe de justice.
Le second principe est appelé celui de différence qui stipule que les inégalités dans la société doivent bénéficier aux plus défavorisés (les couches défavorisées, les personnes vulnérables les handicapés, les malades, les vieillards, les jeunes, les femmes). L’Etat doit prêter attention aux plus mal lotis dans la société afin d’éviter de se préoccuper seulement des plus riches et des plus puissants. Dans cette voie, Franklin D. Roosevelt aimait nous rappeler que la grandeur d’une nation ne se juge pas à ce qu’elle apporte aux mieux pourvus, mais à la façon dont elle traite ceux qui sont le plus dans le besoin. C’est pourquoi, nous sommes pour un Etat démocratique, social et populaire qui protège les droits économiques, sociaux et culturels, qui prend en charge aussi les revendications de reconnaissance. C’est dans ce sillage que le professeur Djibril Samb a écrit dans L’heur de philosopher la nuit et le jour : « Tout ce qui importe pour les membres de la société, c’est que l’Etat, devenu civilisateur, ait pour option […] de répondre à leur besoins fondamentaux (travailler, manger, boire, se soigner, s’instruire et s’éduquer) et d’assurer les conditions de l’épanouissement de chacun et de tous (culture, sport, divertissement). Toutes les ressources publiques doivent être mobilisées et utilisées à cet effet, et non selon les pseudo-programmes de groupes privés qui prétendent remettre à plus tard la satisfaction des besoins des gens ».
Ainsi, même si les gouvernants sont élus, nous ne leur devons obéissance que s’ils respectent la loi et l’esprit de la loi. Sinon, nous n’avons aucune raison de collaborer avec un régime qui ne respecte pas les droits fondamentaux des citoyens, à moins qu’on nous impose d’obéir par le biais de la force et la violence. Dans un cas de figure où le pouvoir use de l’appareil coercitif pour soumettre un groupe ou une personne, le pays quitte le régime démocratique pour tomber dans la dictature. Les citoyens ne doivent obéir qu’aux lois justes. Les magistrats ne doivent rendre que des verdicts justes, équitables et impartiaux. Si la loi n’est pas juste, les magistrats ont le pouvoir de l’interpréter dans le sens de l’approfondissement de la démocratie et de la protection des libertés fondamentales et inaliénables. Il devient clair qu’on ne doit obéissance qu’aux lois justes. La légalité ne suffit pas pour assurer la justice, car la loi elle-même peut être injuste. Les tribunaux ne suffisent plus pour dire la justice, car comme nous le voyons au quotidien ils ne sont pas à l’abri d’influences politiques pathogènes.
Si une loi n’exprime plus la justice nous lui devons défiance, désobéissance pour montrer notre attachement indéfectible à la justice. Finalement, il s’agit de comprendre que nous ne devons obéissance à une autorité que si elle est légitime, c’est-à-dire si elle applique des règles de droit justes, justifiables et susceptibles d’être acceptées par tous les membres de la communauté politique. En conséquence, de telles règles sont impartiales, ne stigmatisent et ne discriminent aucun membre de la société.
Dans toutes les contrées du monde, l’injustice produit la violence à long terme. La Côte d’Ivoire est un exemple proche de ce qu’elle peut créer comme désorganisation dans une société. Pour cette raison, nous devons tous travailler à éteindre le venin de la violence de l’injustice et de l’inégalité. Les magistrats ont une responsabilité lourde dans la sauvegarde de la paix sociale. L’harmonie et la stabilité sociales ne sont garanties que par des institutions dont les citoyens sont convaincus qu’elles sont équitables et impartiales. Nous soutenons, en dernière analyse que la paix civile est la finalité de la démocratie et de toute bonne justice. Jean Jaurès avait l’habitude de dire : « La justice est plus vaste que l’humanité elle-même ». Pour nous, une société juste est celle qui garantit les libertés fondamentales, celle doté d’un «État civilisateur » défini par le professeur Djibril Samb comme « État de tous et de chacun… État fait pour tous et par chacun, État fait pour tous et pour chacun ». L’État civilisateur est un État démocratique, social et populaire qui corrige les inégalités sociales et économiques pour procéder à une redistribution plus équitable des ressources et des droits. Forts de tous ces grands principes de liberté et d’égalité, nous affirmons devant la face du monde que la justice est la finalité de notre projet politique. Les deux balances qui symbolisent l’équité et l’équilibre dans notre société resteront un principe immuable par lequel nous comptons gouverner le Sénégal d’aujourd’hui et de demain.
Dr Babacar DIOP,
Secrétaire général Forces démocratiques du Sénégal (FDS)
babacar.diop1@gmail.com
Pourquoi nous avons choisi les deux balances de la justice ? .