A la suite de 04 mois de perturbations scolaires, le président Maky Sall, la mort dans l’âme, décide d’augmenter substantiellement l’indemnité de logement des enseignants. La presse unanimement titrait : « le président Maky Sall sauve l’école d’une année blanche ». Qu’elle tromperie ! Nous devons travailler à éveiller l’opinion.
Ces grèves, débrayages et rétentions de notes des élèves devenus monnaie courante ne sont que la partie visible de l’iceberg. Ce sont les manifestations d’un malaise profond que rumine le vaillant peuple du Sénégal imbu de valeurs ancestrales de foi, de solidarité, d’endurance, de bravoure et d’excellence. En effet, les crises sont nécessaires. Elles annoncent l’avènement de paradigmes nouveaux et meilleurs dans le développement des sociétés quand on sait leur apporter les réponses appropriées.
Forcément, quand une société est enrhumée, son école tousse. De génération en génération les crises scolaires et universitaires se succèdent en précipitant la cadence autour de l’année 2000. 1968 marque le premier séisme scolaire et universitaire. 20 ans après, c’est-à-dire une génération, le second séisme donne naissance à l’année blanche de 1988, suivie de l’année invalidée de 1994. Depuis lors les choses s’emballent. Cependant, d’importantes réformes curriculaires ont été réalisées depuis l’éducation préscolaire jusqu’ à l’enseignement secondaire en passant par l’élémentaire et le moyen. Les taux d’accès ont connu des bonds significatifs. On s’achemine vers un TBS de 100%.
En effet, les autorités dans une réflexion prospective ont tenté de rêver au type de sénégalais nouveau à former. En 1971, fut votée la première loi d’orientation de l’éducation nationale. Encore 20 ans après, en 1991, la seconde loi d’orientation de l’éducation nationale naquit. Dans les deux textes, la constance demeure la transformation du milieu, l’avènement d’une société sénégalaise développée fondée sur ses propres valeurs nationales en liant l’école à la vie, la théorie à la pratique et l’enseignement à la production. Hélas, aujourd’hui l’abîme est là, béant. Le produit livré par notre école ne nous satisfait pas encore après 58 années d’indépendance.
En plus de la crise identitaire qui caractérise l’homo sénégalensis dans sa foi et sa pensée, tous les produits de valeur que nous consommons, nous sont étrangers. La langue de travail et de promotion sociale nous est également étrangère. Nos pouvoirs successifs ont travaillé à tuer l’école du Sénégal, l’école publique dont ils sont pourtant les purs produits. Celle-ci est aujourd’hui transformée en marché. Les niveaux des enseignés à tous les niveaux font la honte. Tous les signes de perturbation et d’explosion future restent présents. Les causes sont endogènes et sont inhérentes au mode de fonctionnement du système elle-même. Cette école publique qui jadis faisait la fierté de tous est actuellement désertée par ses usagers et considérée comme pestiférée par ceux qui détiennent un certain pouvoir économique et notamment ceux qui dirigent le pays.
Bref ! De qui se moque-t-on ? On martèle dans la conscience du citoyen : « le Président Maky Sall a sauvé l’école… ». Les enseignants, dégoûtés et démotivés se sont tus. Ils savent bien que ces propos ne sont pas justes. C’est une ruse qui ne fait que différer et accumuler les problèmes de l’école. Les parents le savent également. Tout le monde le sait. On refuse de regarder le problème en face. Malgré les investissements colossaux réalisés dans le système, le sénégalais ne croit plus à son école. Il faut arrêter ! Trop c’est trop ! On ne joue pas avec l’éducation de la jeunesse. L’éducation est un domaine de priorité stratégique que tout Etat responsable doit traiter sérieusement. L’éducation est le plus sûr investissement qu’un peuple peut s’offrir pour accéder au développement intégral.
Qu’on nous dise comment l’éducation et la formation constituent une priorité au Sénégal, quand on entasse pendant plus d’une décennie un déficit horaire annuel de 400 heures, quand on viole tous les standards internationaux de qualité en matière d’éducation et de formation, quand on entretient un déficit chronique dans la formation des enseignants « corps émergeants », quand la situation économique et les conditions de travail des enseignants se dégradent de plus en plus et que le statut social de ces derniers est aujourd’hui durement éprouvé? Qu’on nous démontre également par quelle alchimie pédagogique peut-on résorber le volume horaire perdu cette année en prolongeant les apprentissages de deux semaines ?
S’y ajoute maintenant l’assassinat récurrent d’étudiants sur les campus parce qu’ils réclament le payement de leurs allocations d’études. Quand on veut s’approprier un peuple il faut s’attaquer à l’industrie qui produit ses ressources humaines. Le mode de colonisation à la française l’a assez bien démontré. Colonisé hier, puis décolonisé aujourd’hui, le sénégalais est atteint dans le cœur et dans l’esprit.
Au total, il ne s’agit point de sauver chaque année l’école mais de travailler à construire une école fondée sur nos valeurs culturelles. Il nous faut une école restructurée, orientée vers les besoins nouveaux de notre société et ouverte à la modernité. Nous devons : I. introduire nos langues nationales, II. Assurer une bonne formation initiale et continuée des enseignants à tous les niveaux, III. Orienter les masses de jeunes, selon leur capacité, dès le lycée, dans les filières en fonction des ressources locales, IV. Faire des universités, exclusivement, des espaces d’excellence et de recherche pour les meilleurs bacheliers, notamment pour les nouvelles filières et les métiers du futur, V. Enfin promouvoir l’économie du savoir.
Amadou Koné, inspecteur de l’enseignement à la retraite, Saint-Louis.
A-t-on sauvé l’école sénégalaise ? .