Dans notre pays, il ne se passe pratiquement pas un mois, sans que la presse ne rende compte d’un suicide ou d’une tentative de suicide. Il y aurait près de 14 cas par an. Cette statistique bien macabre pose avec acuité la question de la prise en charge de la santé mentale. Toutes les personnes atteintes de troubles mentaux ne sont pas suicidaires. En revanche, « les suicides présentent des troubles mentaux dans 90% des cas », apprend-on dans un article sur Les aspects épidémiologiques du suicide à Dakar.
Partout dans le pays, des personnes, âgées, jeunes et moins jeunes tentent, et souvent y arrivent, de mettre fin à leurs jours. Ce sont alors des familles dans le désarroi, l’incompréhension, l’incrédulité, de nombreuses questions en suspens. Qu’est-ce qui leur est passé par la tête ? Qu’est-ce qu’ils/elles ont dû traverser ? Comment se fait-il que personne n’ait rien remarqué ? De tout âge, de toute condition, ces personnes « végètent » pendant longtemps dans la dépression, les troubles de l’anxiété, la schizophrénie, la bipolarité, etc. Généralement en silence et dans l’indifférence, elles luttent contre « les démons de la folie » que sont traditionnellement les esprits malveillants et les drogues.
Aujourd’hui, les démons qui nous hantent ont entre autres noms pression sociale, précarité, manque, chômage. Selon des statistiques de l’ANSD, 63% des chômeurs au Sénégal ont entre 15 et 34 ans. De nombreux jeunes sont en proie à des troubles mentaux, qui sont aussi la conséquence de l’effritement des mécanismes de solidarité, la fragmentation de la cellule familiale, la dégradation de la qualité de vie.
Les troubles mentaux, nous dit Papa Mamadou Diagne, sont le résultat d’un processus de désaffiliation des personnes affectées. Un faible soutien psychoaffectif de l’entourage et de la famille finit par exacerber une instabilité émotionnelle latente. La rupture sociale s’achève avec la « désolidarisation de la famille, son écrasement moral et sa déchéance financière ». Incompris, isolés, les malades se retrouvent souvent dans la rue, sujets aux agressions, subies ou infligées, et à la violence symbolique. Pour faire face à la maladie, certaines familles ont recours à la médecine traditionnelle notamment en raison de la proximité géographique des marabouts et autres guérisseurs et de l’accessibilité des consultations.
En milieu Lebu, les cérémonies de Ndëpp permettent d’exorciser les esprits malins. D’autres familles allient médecine traditionnelle et psychiatrie. D’autres encore ont exclusivement recours aux services psychiatriques. Dans beaucoup de cas, la prise en charge psychiatrique arrive quand la personne affectée est dans ses derniers retranchements. Les pesanteurs socio-culturelles font que peu de gens admettent souffrir de troubles mentaux. Et peu de familles sont enclines à reconnaître un « malade mental » en leur sein.
Les malades ont donc accès aux soins tardivement, après des crises d’hystéries ou de violences physiques notamment portées sur les autres. Selon le Dr Diagne, « le service psychiatrique du CHNU de Fann reçoit 1542 patients par an alors que le CHNPT de Thiaroye a une fréquentation annuelle de 2030 cas par an ». Mais la couverture sanitaire en termes de santé mentale est insuffisante. Un article du quotidien Enquête Plus révèle « qu’il n’y a que 32 psychiatres au Sénégal » dont quatre à la retraite.
Le ratio est de un psychiatre pour 400 000 habitants. Alors que l’OMS recommande au moins un psychiatre pour 10 000 habitants. D’importantes disparités sont notées en termes d’allocation des ressources et même de formation du personnel de santé. Pour les acteurs, la santé mentale est le parent pauvre de notre système sanitaire. Ils préconisent une amélioration et une augmentation des services psychiatriques.
Ndeye Debo Seck