Aujourd’hui l’espace médiatique sénégalais est pollué par un faux débat sur la religion musulmane. Pour avoir effectué une sortie anodine sur le problème israélo-palestinien, le leader politique Idrissa Seck subit durement la vindicte des gardiens de la foi et de la morale islamique en terre sénégalaise. Et, depuis plusieurs jours, plusieurs imams, islamologues et théologiens ne lésinent pas sur les mots pour chapitrer sans aménités le patron du Rewmi dont le seul tort est de s’être prononcé sur une problématique dont certains pensent qu’ils sont les seuls à détenir les clés de la solution.
En tant que profane ne maîtrisant pas les profondeurs abyssales et arcanes de l’ésotérisme musulman, je m’abstiendrai de tout jugement de valeur qui prendrait les allures d’un arbitrage ou d’une prise de position dans ce débat stérile qui occulte les vrais problèmes auxquels sont confrontés les Sénégalais dans leur tragique quotidienneté.
Au Sénégal, on est devenu spécialistes des discussions oiseuses, des querelles byzantines, des débats stériles. On se jette mutuellement l’anathème et on s’excommunie constamment de la religion qui est censé nous unir. Les insultes les plus violentes et virulentes sont distillées, au nom de Dieu et pour Lui, par des musulmans dogmatiques à l’encontre de leurs frères et sœurs, dès lors qu’ils divergent avec eux sur un point, fût-il le plus banal.
Aujourd’hui, certains gardiens de la foi islamique se sont érigés en Dieu au point d’excommunier qui ils veulent et considèrent comme musulman qui ils veulent. On s’enferme dans une bêtifiante pensée unique et l’on intolère toute prise de position iconoclaste. Au Sénégal, la religion musulmane est devenue une chasse gardée où un quarteron de bien-pensants, de barbus et d’enturbannés encartés dans des associations-GIE et retranchés sur leur Aventin, refuse tout «ijtihâd : effort de réflexion» sur certaines problématiques suscitées par le texte coranique.
Aujourd’hui, la crise qui secoue la République dans ses fondements est cette grève généralisée des étudiants consécutive à l’homicide de Fallou Sène. On aurait bien aimé entendre le néo-transhumant Bamba Ndiaye et la ligue des imams et prédicateurs du Sénégal se prononcer sur la mort abjecte de l’étudiant de Saint-Louis. De même que sur le retard du paiement des bourses qui a débouché tragiquement sur la mort d’un innocent qui, tenaillé par la faim pour être resté 15 jours sans recevoir le pécule qui lui permet d’assurer sa pitance quotidienne, a voulu à l’instar de ses camarades manger sans ticket donnant accès au restau-U. Quel est le seul dignitaire musulman qui a condamné l’acte lâche qui ôté la vie à l’enfant de Patar ? Le khalife de la famille de Serigne Mame El hadji Rawane Ngom de Mpal a réagi en demandant les étudiants de reprendre les cours sans, au préalable, condamner le meurtre de Fallou Sène, l’élément déclencheur de la violence inouïe dans les campus.
Certains de ces chefs religieux musulmans très prompts à donner des consignes de vote pour la réélection du Président Sall ou à vaticiner sa réélection au premier tour ont brillé par leur mutisme devant ce drame qui étreint la nation toute entière. Encore une fois, seule la voix de l’Eglise catholique par son chef l’archevêque Benjamin Ndiaye s’est fait entendre. « Il ne sert à rien de donner de la place à la violence, parce qu’on ne résout pas les problèmes par la violence… Sans doute, des efforts sont encore à faire pour éviter des lenteurs administratives qui peuvent amener de fâcheuses conséquences. Je pense que nous en tirons, tous, les leçons aux différents niveaux de nos responsabilités », a-t-il déclaré. Il faut souligner que lors de la loi sur le parrainage, il était le seul chef religieux à se prononcer courageusement sur les dangers du vote d’une loi marquée du sceau de la contestation et du défaut de consensualisme. Pendant ce temps, où étaient les gardiens de la foi musulmane qui s’agitent sur les billevesées d’Idrissa Seck ?
De tout temps, les chefs religieux musulmans se sont engoncés dans un mutisme éloquent sur des drames où leurs voix dénonciatrices étaient fortement attendues. Quand le 23 juin 2011, le Sénégal a failli sombrer dans la violence, seul le défunt Khalife de Léona Niassène, El Hadji Ibrahima Niasse, avait eu la hardiesse de dire au Président Abdoulaye Wade de retirer son projet monarchique, d’autres marabouts comme Serigne Modou Kara demandaient à ses adeptes de ne point répondre au rassemblement populaire défendant la Charte fondamentale.
L’Eglise catholique, toujours à l’avant-garde des causes républicaines
L’histoire politique du Sénégal montre, que de tout temps, seule l’Eglise a osé prendre des positions courageuses qui vont à l’antipode de l’intérêt de nos gouvernants. Si en République démocratique du Congo, le cardinal Monseigneur Laurent Monsengwo Pasinya mène la cadence et dénonce la barbarie du régime du Président Kabila, au Sénégal, Mgr Hyacinthe Thiandoum, a toujours fait face aux exactions du régime de Léopold Sédar Senghor. Il en est de même pour ses successeurs.
Le regretté journaliste écrivain Chérif Elvalide Sèye rappelle dans son œuvre consacrée à feu cardinal Hyacinthe Thiandoum « le rôle primordial que de ce dernier a joué dans la crise de 1962 entre Senghor et Mamadou Dia. Feu Hyacinthe Thiandoum, Sérère et catholique comme Senghor, et ami de ce dernier, refusa de le soutenir lorsque Mamadou Dia fut injustement accusé de tentative de coup d’État, puis condamné à perpétuité et détenu dans d’effroyables conditions à Kédougou pendant 12 ans. Il protesta énergiquement et publiquement contre l’arrestation et l’emprisonnement de Dia au point de soulever l’ire de Thierno Seydou Nourou Tall, ardent partisan de Senghor. Le khalife de la famille omarienne avait d’ailleurs menacé le cardinal de saisir le Pape à son sujet, sans jamais le faire fléchir ». Au même moment, les chefs religieux musulmans dont les relations avec Mamadou Dia étaient exécrables soutenaient la décision de Senghor.
Le professeur d’université Oumar Guèye, dans une interview parue le 27 janvier 2018 au quotidien le Soleil, fait savoir que, lors de la crise de mai 1968, l’alors Khalife général des Mourides, Serigne Fallou Mbacké, s’est exprimé sur la situation qui secouaient le monde étudiant en ces termes : « Disciples mourides, je vous donne l’ordre de ne pas suivre le mot d’ordre de grève illégale et négative. Je vous donne l’ordre de vous rendre à vos tâches quotidiennes de construction. Sachez que le chef de l’Etat est la vigie de la Nation et que ses désirs, que je sais tous dans le sens de l’intérêt de la Nation, sont des ordres que je vous demande d’exécuter ».
Le professeur Guèye ajoute que « les marabouts Serigne Cheikh Tidiane Sy, El Hadji Modou Awa Balla Mbacké, Khalife de Darou Mousty, El Hadji Ibrahima Niass, Khalife des Niassène ont exprimé eux aussi des messages de soutien à l’endroit de Senghor. Et contrairement aux religieux musulmans, l’Eglise catholique ne fit pas de déclaration officielle de soutien au président Senghor. Au contraire, la position exprimée, lors de l’homélie de la Pentecôte, fut assez critique vis-à-vis du pouvoir. En effet, les Pères dominicains du Centre Lebret apportèrent un soutien de taille aux étudiants pendant les journées de braise ».
Les dignitaires du clergé catholique sont connus pour leur franc-parler devant l’attitude corruptive ou intimidante de nos gouvernants. En aucun moment, ils n’ont manqué de se prononcer sur les maux qui gangrènent le pays, là où certains de leurs homologues musulmans se sont engoncés dans un mutisme complice.
Monseigneur Hyacinthe Thiandoum, qui n’avait pas sa langue dans la soutane, n’hésitait pas à intervenir sur le champ politique pour asséner ses vérités et faire triompher les causes justes. Ainsi, le 09 mai 1993, quand les résultats des législatives sont proclamés avec à la clé 84 députés pour le Ps et 27 députés pour le Pds, le journaliste correspondant de RFI Nicolas Balique, accusé d’avoir diffusé des informations favorables au PS, est sauvagement agressé devant le domicile de Me Wade. Seule la voix du chef de l’Eglise catholique sénégalaise Hyacinthe Thiandoum se fit entendre pour condamner cette agression. « La liberté d’informer juste et vrai, accordée au journaliste dans l’exercice de son métier, constitue le rempart ultime de la citadelle de toutes les libertés. Si on y porte atteinte, on s’achemine tout droit vers la dictature et le terrorisme », martela le cardinal.
Dans une interview accordée au quotidien le Soleil quelques années avant sa mort, Monseigneur le cardinal Thiandoum, après avoir vivement regretté «qu’on ne travaille pas assez au Sénégal» et incité les Sénégalais «à rompre avec la facilité», martèlera avec la franchise qui le caractérisait que «le bien commun n’appartient pas à une personne, mais à tout le monde, à la Nation tout entière. Ces détournements qui continuent de se produire, c’est une gangrène, un cancer qu’il faut extirper de la société sénégalaise».
Dans le même sillage, le chef de l’Eglise catholique du Sénégal, le cardinal Théodore Adrien Sarr, faisant le 4 novembre 2009 le compte-rendu de la deuxième assemblée spéciale pour l’Afrique du synode des évêques, qui s’était tenu à Rome du 04 au 25 octobre 2009, avait appelé la classe politique sénégalaise à s’atteler aux problèmes du pays au lieu de parler d’élections à presque trois années avant les échéances.
L’aphonie des dignitaires musulmans
On aurait bien aimé sur des sujets pareils qui intéressent toute la nation (musulmans, chrétiens, athées, païens, juifs…) entendre la voix de ces prêcheurs, prédicateurs, oulémas, imams, islamologues khalifes et autres donneurs de leçon de morale islamique entendre. On aurait bien aimé les entendre se prononcer sur cet esclavage moderne exercé sauvagement en permanence sur les jeunes talibés au nom d’un apprentissage du coran dévoyé à des fins bassement matérielles et financières. On aurait aimé les entendre sur les abus sexuels et les sévices dont sont victimes ces chérubins de la part de certains leurs enseignants sans éthique. La seule fois que la ligue des imams et prédicateurs s’est tristement signalée, c’était lors du référendum où elle a pondu un communiqué de soutien aux propositions présidentielles. Et ce, au moment où beaucoup d’hommes politiques opposants au chef de l’Etat et d’autres dignitaires musulmans soutenaient que certains points soumis au vote donnaient des droits aux homosexuels notamment ceux parlant des nouveaux droits. On a connu l’éphémère collectif des imams de Guédiawaye qui est aujourd’hui tombé en léthargie depuis que sa figure de proue Youssoupha Sarr siège dans Comité de restructuration et de relance du secteur de l’énergie en échange de jetons de présence.
En République, il faut savoir que la liberté d’expression transcende la pensée unique et les croyances religieuses. Par conséquent, il faut accepter que certains « hérétiques » commettent des erreurs en parlant de religion mais à condition de vouloir en débattre sans se comporter comme les détenteurs exclusifs et absolus du monopole de la vérité.
Construire une République où la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres, voilà le seul véritable rempart contre l’intolérance de fanatiques aveugles et la violence de chauvins dogmatiques.
Serigne Saliou Guèye