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Sénégal, Le Pays Où Les Autoroutes Sont Les Plus Chères Au Monde

Ce que les juristes appellent la « double peine », c’est-à-dire le fait de payer deux fois pour les mêmes faits, est connu. Il faudrait peut-être que les mêmes juristes, épaulés cette fois-ci par des économistes, théorisent ce qu’il serait alors convenu d’appeler la « triple peine ». Laquelle serait surtout valable sur le plan économique et devrait être payée exclusivement par les peuples du Tiers-monde, singulièrement africains. Malheureux peuples faisant non seulement partie des plus pauvres du monde mais aussi obligés de payer plus cher — souvent le double ou le triple du coût en Occident — les biens de consommation mais aussi, et surtout, les infrastructures indispensables à leur développement ! Exemple : les Sénégalais qui ont un revenu par tête quarante fois moins élevé que celui des Français, pour ne citer que ces chers cousins hexagonaux, et à qui des infrastructures routières sont facturées quatre fois au moins leur coût chez Marianne. Ployant sous le poids d’une surfacturation criminelle et systématique sur toutes leurs réalisations d’infrastructures, ces peuples africains, en particulier sénégalais, traînent donc un boulet qui plombe définitivement toutes leurs perspectives de développement. Ou d’émergence, selon l’expression à la mode dans notre cher pays depuis 2012.

Après avoir suivi la magistrale intervention de notre compatriote Bara Tall, patron de Tallyx Group, dans l’émission « Autour du Micro » de Pape Alé Niang, on se demande si tout n’est pas définitivement foutu pour nous. Et si nous ne serions pas voués éternellement à la pauvreté, à la misère et à l’arriération. Un peu à la manière de Sisyphe condamné à faire remonter éternellement son rocher au sommet de la montagne. Pensez donc : le Sénégal, pays parmi les plus pauvres du monde, et dans le milieu du tableau en Afrique, qui paye ses autoroutes trois à quatre, voire sept fois plus cher que des pays plus riches—arrêtons-nous à l’échelle du continent seulement — comme le Maroc, la Tunisie et la Côte d’Ivoire. Un pays, le Sénégal,surtout, dont les usagers acquittent des péages dix à vingt fois plus chers que les conducteurs maghrébins ou même ivoiriens. Il y a assurément, non seulement du vol dans l’air, mais carrément des crimes financiers. Des crimes dont les auteurs, plutôt que de subir la rigueur de nos tribunaux et dormir sur la paille humide des cachots, plastronnent dans les couloirs de la République et crânent dans les manifestations officielles. S’ils ne sont pas décorés pour services rendus à la Nation ! Sévices infligés à la Nation, devrait-on plutôt dire…

Le Maroc a réalisé ses 1785 kilomètres d’autoroutes avec un coût moyen de deux milliards de francs CFA le km. Les 615 kilomètres du réseau tunisien ont coûté 1.600.000.000 (un milliard six cent millions) de francs le kilomètre en moyenne. En Côte d’Ivoire, l’autoroute Yamoussoukro-Tébissou, d’une longueur de 37 km, a coûté 92, 637 milliards de francs CFA, soit 2,5 milliards le kilomètre. Le tronçon Singobro-Yamoussoukro, qui fait 86 km, est revenu à 137 milliards CFA soit 1,59 milliard les 1.000 mètres. Pendant ce temps, au Sénégal, pourtant moins riche que le Maroc, la Tunisie et la Côte d’Ivoire, les prix crevaient le plafond ! Dans ce pays champion continental de la carambole financière, les coûts du kilomètre d’autoroute ont atteint parfois 10 à 12 milliards ! vous avez bien lu, ce alors qu’on n’y trouve ni montagne, ni roches dures à déblayer par des explosifs, ni ouvrages d’art compliqués. Pays à la surface plane et rectiligne, les coûts des routes devraient donc logiquement y être moins élevés qu’ailleurs. C’est mal connaître le génie roublard sénégalais… heu français mâtiné à la sauce maffieuse locale. Une camarilla franco-sénégalaise excellant dans l’art de la surfacturation. Avec, à sa tête, Gérard Sénac, patron d’Eiffage sénégal et artiste en son genre.

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Au pays où les autoroutes sont les plus chères !

D’un coût de 380 milliards de francs (un coût comprenant tout de même, outre les travaux routiers proprement dits, plusieurs composantes sociales et environnementales ainsi que l’expliquaient alors, dans une mise au point adressée au patron de Jean Lefebvre Sénégal, les services de l’ancien ministre d’Etat Karim Wade), à 380 milliards, donc, pour construire 31 km, l’autoroute Dakar-Diamnadio est incontestablement la plus chère du monde ! Et les jaloux viendront, après cette performance planétaire, prétendre que le Sénégal ne détient aucun record olympique…

D’après donc toujours cette mise au point du ministère des Infrastructures, de la Coopération, de l’aménagement du territoire etc., le coût des travaux proprement dits serait de 8 milliards de francs par kilomètre. Soit quatre fois plus qu’au Maroc et cinq fois les prix pratiqués en Tunisie et en Côte d’Ivoire ! Que voulez-vous, en matière d’escroquerie financière, les sénégalais sont toujours les plus forts… Dire pourtant que M. Bara Tall avait proposé de construire une autoroute Dakar-Thiès, longue de 65 kilomètres donc, au prix de 120 milliards de francs, soit à peu près deux milliards de francs le kilomètre ! Une offre qui n’avait pas été jugée digne d’intérêt. Sans doute parce que le prix proposé ne permettait pas aux décideurs de « manger », comme on dit en Côte d’ivoire, suffisamment. Et pourtant, la meilleure preuve que ce prix de revient de deux milliards au kilomètre est plus conforme à la réalité vient d’être administrée par l’actuel pouvoir qui va réaliser l’autoroute côtière Dakar-Saint-Louis, 190 kilomètres, à… 480 millions de dollars, 250 milliards CFa à peu près. Si l’on fait le calcul, cela donne moins de deux milliards le kilomètre. L’autoroute Dakar-Diamniadio a coûté 367 milliards dont les 49 % apportés par l’Etat, les 17 % par Eiffage (on a vu dans quelles conditions), les 11 % par l’Agence française de développement (soit 28 % par la France au sens large), les 14 % par la Banque mondiale et les 9 % par la BAD.

Pour en revenir à l‘artiste Gérard Sénac, il a donné toute la mesure de son génie financier dans la construction du tronçon Pikine-Diamniadio de l’autoroute à péage (le premier tronçon, Patte d’Oie-Malick sy, 7 km, a été intégralement financé sur fonds propres par l’Etat sur 7 km en deux fois 3 voies à un coût de 23 milliards de francs auquel il convient d’ajouter un avenant de quatre milliards, ce qui fait un total de 27 milliards. il a été réalisé par un consortium composé de la compagnie Hénan-Chine et Jean Lefebvre Sénégal de notre compatriote Bara Tall). Parodiant l’ancien slogan de la chaîne de supermarchés français Auchan — « au pays où la vie est la moins chère » —, on pourrait donc dire du sénégal, « bienvenu au pays où les autoroutes sont les plus chères ! »

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Le tronçon Dakar-Pikine, donc, devait être donné à un privé à condition qu’il en finance la construction pour un coût de 45 milliards environ. Eiffage l’a réalisé au prix astronomique de… 148 milliards de francs. Soit trois fois le prix réel ! Mais il y a mieux puisque l’Etat a accepté de participer à hauteur de 87 milliards aux travaux qui coûtaient en réalité… 45 milliards. Autrement dit, le sénégal les a intégralement financés en donnant un rabiot de 42 milliards à l’ami Gérard Sénac… qui considère que l’Etat reste lui devoir la somme de 61 milliards vu que c’est le coût estimé par lui de ces travaux. Et en attendant que l’Etat s’acquitte de cette même somme, il a emprunté 61 milliards qu’il s’est reversés ! Du grand art. A ces tarifs, on s’étonne que le patron d’Eiffage ne soit pas encore un bâtisseur mais seulement un « rafistoleur » de cathédrales !

« La bourse ou la vie ! »

Bien évidemment, quand on construit des autoroutes hors de prix, on pratique destarifs exorbitants pour rentrer dans ses fonds. De ce point de vue, là aussi, l’ami Sénac ne plaisante pas. Ses prix relèvent tout simplement de l’extorsion de fonds genre « la bourse ou la vie ». De fait, des malheureux ont laissé la vie sur cette belle autoroute dite « de l’avenir » pour y avoir heurté des boeufs en divagation en pleine nuit ! Après avoir payé les yeux de la tête le droit de rouler sur ce lisse macadam… il en coûte, comme tout le monde le sait, 3.000 francs pour emprunter les 32 kilomètres de cette infrastructure routière. Sur Patte d’Oie-Pikine, moins de cinq kilomètres, il faut débourser 400 francs soit 80 francs le kilomètre. A titre de comparaison, en Côte d’Ivoire, l’automobiliste qui prend l’autoroute à péage pour se rendre d’Abidjan à Yamoussoukro — ou dans l’autre sens — ne paye que 2500 francs pour 250 kilomètres, soit 10 francs CFa le kilomètre.

Chez nous, c’est 80 francs les 1000 mètres ! On paye 3000 francs pour parcourir les 32 kilomètres de l’autoroute Dakar-AIBD, 500 francs plus cher qu’au pays des éléphants pour parcourir huit fois moins. A à peu près 100 francs le kilomètre sur toute l’autoroute (et non plus seulement sur le tronçon Patte d’Oie-Pikine), on est dix fois plus cher qu’en Côte d’Ivoire, pays dont le revenu par tête est une fois et demi plus élevé que celui du Sénégal ! Au Maroc et en Tunisie, c’est encore moins cher. Au Royaume chérifien, le tarif est de 23 dirhams (calculer 60 francs CFA pour un dirham) soit 1380 CFa pour le trajet Casa-Rabat pour la classe 1 et 34 dh pour la classe 2. Autrement dit, une moyenne de 23 francs le kilomètre. Pour Casa-Marrakech, il faut acquitter respectivement 80 et 120 dirhams ; 102 et 154 dh sur la distance Casa-Tanger. Pour aller de Rabat à Marrakech, le conducteur devra débourser 103 ou 114 dirhams selon la catégorie.

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En Tunisie, le tarif, pour aller de Tunis à Gabès — 390 km — est de 3,9 dinars (un dinar = 220 francs CFa) soit moins de 500 francs CFA. Une longueur qui fait plus de dix fois celle de notre autoroute Dakar-AIBD ! Bref, quand on compare les prix pratiqués dans ces pays à ce qui se fait chez nous, ce n’est plus du retour, c’est du boomerang sur investissement ! Et l’ambassadeur de France viendra encore nous parler des risques pris par son compatriote Gérard Sénac en investissant dans notre autoroute à péage. Des risques comme ça, on est mille fois preneurs, Monsieur l’ambassadeur !

Quand macky sall évoquait le manque de compétitivité des entreprises françaises

J’avais eu le privilège d’accompagner l’alors premier ministre Macky Sall au cours de la visite de travail qu’il a effectuée en France sur invitation des autorités de ce pays. C’était en 2007. Parmi les multiples activités au programme de ce voyage, une visite au siège du Medef (Mouvement des entreprises de France). Sur un ton à la limite de l’insolence, le membre de la section Afrique du patronat français chargé de lui souhaiter la bienvenue avait interpelé Macky Sall sur la corruption au Sénégal et, aussi, la perte de parts de marché des entreprises françaises (au profit, mais il ne l’avait pas dit, d’entreprises chinoises et indiennes notamment).

Ce jour-là, la réponse de Macky Sall avait été cinglante et, franchement, avait empli de fierté le cœur des membres de la délégation qui l’accompagnait. S’agissant de la corruption, il avait dit à son interlocuteur que le Sénégal n’avait pas le monopole de ce fléau en citant quelques cas de scandales relatifs à ce fléau qui défrayaient la chronique à ce moment-là dans l’hexagone. Quant à la perte de parts des entreprises françaises, voici ce qu’il avait dit à peu près : « Ecoutez, il va falloir que vos entreprises apprennent à être compétitives ! nous venons d’attribuer un marché de travaux routiers (ndlr, l’autoroute Malick sy-Patte d’oie) à un consortium formé par une entreprise chinoise et une sénégalaise. Figurez-vous que l’offre de la société française qui a concouru était plus chère de 15 milliards de francs ! Comment voulez-vous, dans ces conditions, gagner des marchés chez nous ? il va falloir que vous appreniez à redevenir compétitifs… »

Cela, bien évidemment, c’était avant…

 

Mamadou Oumar Ndiaye

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