Depuis longtemps déjà on me demande mon avis sur l’affaire dit « Idrissa Seck ». Aujourd’hui encore, après ce tout ce tollé. Si je ne l’ai pas donné, ce n’est pas que le sujet me désintéresse. Il m’obsède au contraire. Ce n’est pas non plus que je redoute de prendre parti sur ce problème qui nous concerne tous. J’aimerais le prendre. C’est tout simplement que sur ce sujet ma religion n’est pas encore faite.
J’ai lu ce qu’il fallait lire, écouté les partisans et les adversaires, pris en compte les arguments des uns et des autres. J’ai essayé de peser le pour et le contre, les avantages et les risques : ma balance est restée étale. Ce qui prouve, soit dit en passant, que la connaissance ne permet pas toujours l’engagement. Sans doute ma connaissance demeure-t-elle insuffisante. Raison de plus pour que je dise : en ce qui concerne le Coran, je ne sais pas.
Après tout, nous n’avons pas réponse à tout. Il faut avoir, à l’occasion, le courage d’avouer son ignorance. Ne demandez pas aux témoins, pour les croire, de se faire égorger chaque semaine. Demandez-leur plutôt de se garder de déposer sur les causes qui les échappent.
Un des maux dont nous souffrons dans ce pays vient de l’abondance du péremptoire. Jamais époque ne fut moins certaine que celle-ci et cependant plus assourdie de certitudes. J’envie ceux qui savent, mais demeure perplexe sur le bruit qu’ils font. Ceux qui parlent fort, ne serait-ce pas pour masquer leurs doutes ? La vérité n’a pas besoin de tant d’éclat et c’est la sérénité qui lui convient. Ils affirment, ils assènent au nom de la religion ; la religion-politique. Par contre cette religion-politique a fait naître moins de sages qui chuchotent que d’orateurs qui crient à tout propos, par tous les temps, et qui se croiraient déshonorés de rester cois.
Le silence aussi a son prix, quand ce ne serait que valoir à qui accepte d’en alterner ses propos, le quitus de l’honnêteté intellectuelle. Au demeurant, le regard soulève plus de questions que la parole n’apporte de réponses.
Si je me suis abstenu de parler de ce sujet, c’est que mon opinion n’est pas arrêtée. Oh certes, mon premier mouvement me porte naturellement du côté de ceux qui défendent Idrissa Seck, mais quand je les entends dire qu’il n’a rien fait, je les suis plus.
De même, ce mouvement qui me porte vers ceux qui le rappellent à l’ordre est cassé quand je les entends lui promettre l’enfer ou dire qu’il est banni de l’Islam. Je ne les suis plus.
Ce que je crois c’est que les extrémismes se suscitent les uns les autres, s’entretiennent de leurs intransigeances mêmes et que si l’on faisait moins la bête d’un côté, on ferait moins l’ange de l’autre.
Toutes ces questions posées qui devraient bénéficier, parce que ce sont des problèmes qui touchent à la vie, de la meilleure donnée, permettant l’examen le plus fin et la solution la plus mesurée sont en réalité faussées parce qu’elles sont posées en terme d’alternative et qu’ils ne nous laissent le choix qu’entre le tout ou rien. Le tout Idy ou le rien Idy.
On a tort, je trouve, de se faire de belles attitudes là-dessus. L’intelligence n’aime pas ce genre de sommation. L’absolu n’est pas moral, quand il exclut la nuance et corsète la liberté.
Dans ce cas précis, bien des attitudes sont des finalement des attitudes réactionnaires, et le diable qui recrute en priorité chez les cyniques et les « après moi rien », reconnait aussi pour siens les purs qui au nom de la religion en viennent à proclamer l’enfer pour un musulman.
La vérité, je crois qu’il faut la chercher dans le milieu, et la sagesse dans la mesure. Au surplus, d’un point de vue pratique, il est plus avantageux d’opposer au fanatisme une objection pondérée qu’un autre fanatisme. On fléchit mieux par la critique que par la censure. Celui qui rejette tout, risque en retour d’être entièrement rejeté.
Ainsi, décréter qu’Idrissa Seck « n’est plus musulman », qu’il sera « pensionnaire de l’enfer »…ne participe qu’à jeter de l’huile sur le feu. En revanche dire qu’il s’est trompé, lui opposer une explication claire et nette, voilà qui a une chance d’être pris en considération. On ne répond pas à l’instinct par le raisonnement. On l’éduque par la preuve.
Maintenant le fait qui intrigue et qui est troublant, c’est d’entendre Idrissa commencer ses excuses en évoquant son appartenance confrérique d’autant que ce qu’il disait dans sa fameuse vidéo n’avait rien à voir avec le mouridisme. Quand beaucoup d’observateurs l’ont entendu, ils se sont dit voilà le début d’une longue et dangereuse polémique dans notre pays.
Quand est républicain, on est à équidistance de toutes les religions d’autant que notre pays a proclamé la laïcité dans la constitution.
Au demeurant je rappelle à tous les responsables politiques que dans leur parti il y’a un peu de tout : des musulmans, des chrétiens, des animistes et toutes les confréries y sont représentées.
Les khalifes et les politiques sont tous des guides. Ceux-ci d’une communauté avec une foi religieuse et ceux-là d’une nation.
Le moins que l’on puisse dire est que ces deux-là ne parlent pas le même langage et n’indiquent pas le même chemin. La terre des hommes dont il est question, on dirait que ce n’est pas le même. Ici la terre a un ciel dessus, là elle n’en a pas. Le politique doit nous parler d’économie, le khalife de morale. L’un parlera de compétition, l’autre d’unité. « Il nous faut gagner », dira le premier, « il nous faut servir », dira le second. De la bouche de l’homme politique doit tomber les mots « croissance », « peloton de tête », « rattraper les plus forts ». De la bouche de l’homme de Dieu on attend les mots « famille humaine ‘communauté) », « paix » et « générosité ».
Les magistères sont différents, c’est vrai, et les champs d’activité aussi où sont semées ces paroles d’exhortation. Mais comme il s’agit de la même humanité et que les hommes n’ont pas deux avenirs sur terre, il serait quand même souhaitable que les discours, au lieu de se contredire, se complètent et s’harmonisent.
Dans un système politique où le peuple est souverain, celui qui s’en prétend le guide ne peut que gesticuler. Prince de papier, il utilise la part de pouvoir qu’on lui concède pour se donner l’illusion qu’il est un prince de fer. Si tel n’était pas le cas, il aurait juste suffit à un politique de dire « votez pour moi » pour que le peuple s’exécute.
Le peuple est libre et fort de par sa souveraineté.
Il faut que les frontières soient bien délimitées et respectées. Nous n’avons pas besoin d’un leader politique pour nous indiquer comment rencontrer Dieu, pour cela nos guides religieux nous suffisent. C’est d’autant plus vrai aussi que pour choisir le meilleur programme pour notre pays, nos politiciens nous suffisent.
Que chacun reste dans son domaine !
Maintenant vouloir entretenir une querelle « enfantine » entre tijaanes et mourides est une hérésie. Si un seul politicien pense tirer profit de cet imbroglio, il se trompe lourdement et ce serait même trahir Bamba et Maodo que de vouloir emprunter ce chemin.
De Touba à Tivaouane, le même sang noble et familial coule dans les veines de nos chers guides. Selon une généalogie clairement établie par des historiens sénégalais, Mame Maaram Mbacke, un grand érudit et pionnier de l’enseignement coranique et religieux dans nos contrées ancestrales, serait l’arrière-grand-père commun de deux de nos plus vénérés guides que sont Cheikh Ahmadou Bamba (rta) et Mame El Hadji Malick (rta).
À la lumière de cette découverte historique, il est clair que l’entente et la cordialité entre les confréries sénégalaises sont séculaires, ils constituent un héritage non négligeable pour les générations présentes et celles futures, et un rempart imprenable pour les dérives comme le terrorisme et les nouvelles formes d’extrémisme auxquels le monde musulman est confronté.
Libre à nous maintenant de mériter cet héritage ou de montrer que nous n’avons pas été dignes de confiance.
Wa Salam !
Souleymane LY