S’il y a une pratique indécente et immorale à laquelle nous ont habitué les régimes successifs de 2000 à nos jours, ce sont bien les cérémonies funéraires politisées. En effet, du président Abdoulaye Wade à son successeur Macky Sall, nos hommes politiques sont devenus des experts dans l’art de transformer toujours les cérémonies de deuils en tribune politique. Nous assistons ainsi à une prolifération de vautours dans la faune politique à la recherche de deuils-charognes. Les politiciens nécrophores prolifèrent car les cérémonies funéraires sont des instants tant rêvés de rassasiement politique. Toute cette horde de politiciens voraces, opposants comme gouvernants, pense que certains deuils médiatisés constituent les meilleurs moments pour récolter des dividendes politiques.
Aujourd’hui, les cérémonies de présentation de condoléances transformées en foire politique sont de grands moments d’enrôlement voire de mise à l’encan des ruminants-transhumants pressés de brouter dans les prairies fertiles du parti au pouvoir. Et chaque fois que le chef de l’Etat se déplace pour une présentation de condoléances, ses metteurs en scène, telle dans une tragi-comédie, imaginent un scénario politique qui valorise sa motion au détriment de l’émotion du deuil. L’ancien premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye, nouveau PCA de Air Sénégal, qui promettait l’exécution des transhumants par la fusillade, en est une illustration éloquente. Le décès de la mère de Samuel Sarr a été le moment opportun pour ne pas dire opportuniste pour Macky Sall d’enrôler son « ami et frère » Souleymane Ndéné. Bamba Fall et Modou Diagne Fada, invités discrètement au banquet du pouvoir par le président lors de la disparition respective de l’oncle et du père, atermoient et louvoient pour tourner casaque.
Le Sénégal est toujours en proie à des démagogues immoraux qui polluent son environnement politique. Voici venu le temps des condoléances hypocrites et des émotions affligeantes sur les causes du drame survenus à l’UGB le 15 mai dernier. C’est comme si tous les acteurs politiques sans exception se sont sentis obligés de faire le mariole pour promettre la lune à la famille de Fallou et aux étudiants ou de tirer des plans sur la comète. Et pourtant, devant les drames de cette ampleur, les mots balsamiques suffisent plus que les promesses mensongères ou les libéralités ostentatoirement hypocrites. On fait semblant d’avoir de la compassion pour la famille du disparu afin d’occuper l’espace médiatique avec un pharisaïsme révulsant alors qu’on cherche en réalité à récolter des dividendes politiques.
Depuis que l’étudiant Fallou Sène, ressortissant de Patar, est mort dans des conditions tragiques, nous assistons à un carrousel interminable de tartuffes politiciens au domicile du père de l’étudiant tué le 15 mai 2018 à l’UGB. Les hommes politiques tels des vautours nécrophiles voire nécrophages se sont empressés d’investir la maison mortuaire pour s’enivrer des exhalaisons du cadavre encore chaud de Fallou. Les images insoutenable dans ce bal des faux-culs politiciens jouant les outragés sont révoltantes alors que personne d’entre eux n’a jamais élevé préventivement la moindre voix pour dénoncer les causes de la jacquerie permanente des étudiants dans les campus universitaires. Embourbés, dans une pratique politique ancestrale amorale, ces politiciens s’escriment à faire, par rapport à la mort tragique de Fallou, de la récupération politique dont les signes sont patents à travers la kyrielle de promesses tenues et les faux altruismes manifestés à l’endroit de la famille du défunt.
Les prières insincères, les fausses émotions, les torrents d’argent qui pleuvent sur la tombe de Fallou ne gommeront jamais cette vilénie qui lui a ôté le bien le plus précieux sur terre. Ils ne pourront jamais, sous le prisme déformant des xyloglossies, des promesses et autres hommages de circonstances, des larmes de crocodiles, le cliquetis des billets de banque, apaiser la douleur qui tétanise la famille de Fallou.
Comment comprendre cette noria de politiciens qui défilent à Patar en promettant monts et merveilles à la famille du défunt Fallou ? Au lendemain du décès tragique de ce dernier, c’est Bougane Guèye Danny, leader de Gëm Sa Bopp, qui promet à la famille de Fallou deux années de bourse soit 864 000 francs CFA pour assécher les larmes d’un père, d’une mère et d’une femme consternés par le décès de Fallou Sène. Une véritable insulte pour une famille qui s’échinait pour disposer du corps de son enfant balloté entre Saint-Louis, Dakar et Diourbel. Ensuite ce fut au tour de Malick Gakou de promettre de rehausser la bourse estudiantine. S’ensuivra Cheikh Alassane Sène qui sera désigné parrain de l’enfant du regretté Fallou. Idrissa Seck, lui, a pris la décision de transformer la cagna des parents de Fallou.
Mais dans cette opération de prédation, le président Macky Sall, plus expérimenté, coiffera au poteau tous ses opposants qui l’ont précédé à la maison de l’étudiant de Patar et ce, en cassant la tirelire pour s’attirer les sympathies de la famille du disparu. Par l’entremise de son émissaire, Aminata Tall, présidente du Conseil économique social et environnemental (CESE), le chef de l’Etat a remis « gracieusement » à la famille de Fallou dix millions de francs CFA, deux billets pour la Mecque, promis deux emplois pour l’épouse et le frère du défunt et une prise en charge de son fils jusqu’à l’âge de 18 ans. Ces libéralités présidentielles octroyées à la famille du défunt Fallou sur fond d’agitprop médiatique, relayées par la RTS en premier et suivie d’autres télés privées, s’apparentent à une tentative du pouvoir d’oblitérer la douleur profonde causée par la mort sordide de Fallou. D’ailleurs certains étudiants, dès lors que ces largesses ont été distillées par les médias, ont crié au scandale car, selon eux, le pouvoir tente d’ensevelir le meurtre de Fallou dans les abysses de l’omerta.
Aujourd’hui, nous vivons dans un Sénégal déviant et déroutant, un Sénégal où les valeurs et vertus qui fondent le socle axiologique de notre société disparaissent les unes après les autres.
Aussi, les politiciens doivent-ils méditer sur les propos du prêcheur Taib Socé qui sonnent et tonnent comme une mise en garde à l’endroit de ceux qui transforment les cérémonies funéraires en meeting politique : « Les politiciens n’ont aucun droit de faire des déclarations durant les cérémonies religieuses. Ce n’est pas décent. Tout musulman devrait penser les cérémonies de deuil ne doivent servir en aucun cas de prétexte pour établir un discours politique. La religion et la dignité humaine ne l’acceptent pas. En tout état de cause, le sort qui leur est réservé ne change pas. »
Serigne Saliou Guèye
sgueye@seneplus.com