La tristement célébrissime affaire Idrissa Seck, née d’une malencontreuse déclaration dont il qualifie le contenu d’opération marketing pour vendre la destination Sénégal, a fini de nous installer dans un radicalisme confrérique dangereux. S’il faut se désoler d’une telle situation, il nous faut par ailleurs reconnaître qu’elle n’a fait que catalyser un processus depuis fort longtemps en gestation au Sénégal.
Pour rappel, il y a un an, d’autres propos tenus par l’iconoclaste célébrité Ahmed Khalifa Niass, nous avaient glissé dans une polémique quasi – similaire. Il importe dès lors de diagnostiquer le fait religieux au Sénégal, pour ensuite analyser la stratification religieuse en vue d’illustrer les raisons qui motivent notre invite solennelle au candidat Seck au renoncement à briguer le suffrage des sénégalais aux prochaines élections, en fin.
1. Le fait religieux au Sénégal :
Le Sénégal, pays à majorité musulmane (96% de la population) Sunnite, de rite malikite (avec une minorité chiite de 22 000 personnes essentiellement libanosyrienne), a cette particularité sous-régionale d’être le pays le plus imprégné du soufisme et de l’islam confrérique. En effet, première confrérie à y être introduite, la Qadria constitue 08% de la population et la communauté Layeen – que d’aucuns considèrent à tort comme une confrérie -, en constitue 0.6%. Si la première nommée a 3 bastions (Ndiassane, Nimzat et Boutlimit) dont deux en dehors du territoire sénégalais, la seconde trouve son ancrage essentiellement dans la communauté lébou du cap-vert. Majoritaires au Sénégal, les confréries Mouride(31%) et Tidjane(49%) constituent l’essentiel des musulmans1 . Suivant des trajectoires d’implantation différentes, ces deux confréries sont si influentes au point de faire et de défaire dans tous les domaines de la vie de la nation.
2. Analyse de la stratification religieuse
Si la confrérie Mouride est la seconde la plus populaire, elle est tout de même la plus influente aux plans économique d’abord et politique ensuite. En effet, Touba, deuxième ville la plus peuplée du pays demeure un réservoir électoral que les politiques ont toujours intégré dans leurs calculs. Pour rappel, de Senghor à Macky, jamais le temporel et le spirituel n’ont autant collaboré ailleurs.
Cette collaboration a historiquement pesé sur le choix des talibés mourides d’où des expressions inscrites à jamais dans le marbre de l’histoire telles que <> de feu Serigne Fallou Mbacké ou encore le fameux ndigeul de Cheikh Abdoul Ahad Mbacké, à voter pour Diouf en 1988. Même si les consciences se sont davantage émancipées et que l’impact des petits-fils n’est plus le même que celui du temps des fils de Serigne Touba, force est de reconnaitre que le Calife de Touba détient toujours une réelle emprise sur sa communauté que nul autre Calife ne détient sur la sienne. Si la Tidjanya reste la confrérie majoriataire du pays, son influence aux plans économique et politique est moins grande pour au moins deux raisons. La première a trait au fait qu’il n’y a aucun foyer tidjiane ayant une autorité sur les autres.
La famille Omarienne, avec seulement un Califat au Sénégal parmi les 3 dont elle dispose en Afrique de l’ouest, continue d’incarner un tutorat au plan strictement symbolique. Par ailleurs, Tivavouane, bien que bénéficiant d’une légitimité historique avec la caution morale de Elhadj Omar lui-même, sort à peine de 60 ans de conflits internes. Il en est de même de la famille d’Elhadj Abdoulaye Niass de Kaolack, victime d’une dyarchie depuis l’avènement de la fayda tidjanya d’octobre 1929. De nos jours, avec la réelle massification de Médina Baye, une sourde querelle de leadership s’opère dans la Tijanya du Sénégal.
Il faut prendre en compte d’autres autonomies que font prévaloir les autres foyers religieux incarnant également l’incandescence dans cette voie soufie: Sokone, Médina Gounass, Famille Cheikh Abass Sall de Louga, Famille Ba de Matam, Thiénaba, Famille Ndieguène de Thiès, Famille Elhadj Omar Ndao de Darou Salam, non loin de Nioro(liste non-limitative). Cet émiettement ainsi que les enjeux de leadership réels font que la Tidjanya ne détient pas une capacité d’influence proportionnelle à son calibre dans la vie économique d’abord (pas de lobby tidjane) et politique ensuite.
3. Invite solennelle
Au vu du déroulement des évènements, avec des propos épidermiques de part et d’autre, il n’est pas besoin d’être devin pour savoir que nous nous acheminons certainement vers un radicalisme confrérique qui ira crescendo. Ainsi, une candidature de Idrissa Seck dans pareille situation ne produira que des frustrations aux conséquences incalculables quel que soit le verdict des urnes. Nous donnant rendez-vous à la Korité, tout porte à croire que le candidat Seck va continuer à jouer à fond la carte électorale mouride en accentuant un processus de victimisation déjà enclenché. Talentueux communicant, doté d’un charisme et d’une éloquence uniques sur l’échiquier politique, le trop plein d’usage commence à friser l’abus sans doute nocif pour la <<santé>> de notre unité nationale ! En effet, s’il remporte les élections, cette victoire sera perçue comme celle d’un camp, Mouride, sur l’autre, Tidjane et vice-versa.
Dans une telle situation, nous lui invitons à renoncer à sa candidature au nom de la paix sociale, si réellement il brule de passion pour le Sénégal comme il l’a proclamé urbi et orbi : << (…) J’aspire à diriger le Sénégal. Par conséquent, je ne voudrais pas que le pays soit réduit en cendres.>> Le président Amadou Makhtar Mbow, dans une interview en 2011, confiait qu’on peut bien servir son pays sans être président. Nous tenons par ailleurs à inviter tous les acteurs de la scène politique à plus de pondération. Le président Abdou Diouf, tidjane de souche (père et mère) a toujours observé une équidistance à l’endroit de toutes les chapelles religieuses. Avec le recul, il y a lieu de reconnaitre qu’il l’avait très bien réussi. Il en est de même du président Senghor.
Ainsi, il va nous falloir très rapidement refermer cette boite de pandore que Wade avait ouverte car il y va de notre cohésion nationale. Plus qu’un débat idéologique sur la laïcité, c’est une question de gouvernance technique d’un pays où il y a toujours eu une pluralité confessionnelle et ou l’Etat a le devoir impérieux de préserver cette harmonie!
Le Pr Cheikh Anta Diop, pourtant mouride de souche, né à Ceytu, en pays mouride, petit-fils de Massamba Sassoum Diop, dignitaire Mouride, neveu et homonyme de Cheikh Anta Mbacké, frère cadet de Cheikh Ahmadou Bamba et un des premiers argentiers de la confrérie, beau-fils de Cheikh Ibra Fall, plus illustre disciple de Khadim Rassoul et par ailleurs ami intime de Cheikh Ahmadou Mbacké gaindé fatma dont son fils ainé porte le nom, n’a jamais utilisé ses attaches au sein de cette confrérie pour des dividendes électoralistes. Selon Fatou Kiné Camara de l’UCAD, l’expression <> avant d’être galvaudée signifiait <> pour dire que le roi, une fois élu, doit se détacher de toute forme de parenté et d’appartenance pour se hisser à un niveau où chaque composante de la nation peut se reconnaitre en lui.
C’est ainsi et seulement ainsi qu’il pourra épouser les contours d’un leader national. Dans leurs exigences programmatiques, les électeurs ont le devoir d’inclure celle-ci dans leurs critères de choix prioritaires. Nous avons foi au candidat Seck et au génie politique qu’on lui a toujours prêté !
Alhassane Diop
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