Des individus se sont, ces derniers temps, illustrés en proférant des insanités et en accablant certaines gens de grossièretés qui nous montrent la déliquescence que traverse, aujourd’hui, certaines franges de notre société au grand dam des corps sains de ce même tissu social. Ils se sont fait une honteuse célébrité, ces porteurs d’un phrasé et d’un lexique qui défient la décence et la pudeur républicaine. Il est normal que le rapport à celui qui exerce l’autorité suprême évolue dans le temps et connaisse même une sorte d’effritement de l’image de souverain «respecté et craint». Il en est de même pour les chefs religieux et les «petits-fils». De là à adopter cette attitude irrévérencieuse, outrancière…
Les dérapages s’égrènent comme sur un mauvais chapelet de cauchemars pour notre histoire collective. L’impudique bavardage est devenu l’ordinaire de nos oreilles acquises au doux et noble chant démocratique. Les mots « Kersa » et « Soutoura » ne sont, en réalité, devenus que les vestiges de nos prétentions. Nous ne sommes plus ce que nous prétendons être. Nous ne sommes plus ce modèle auquel nous prédestine notre cheminement.
Les barrières de l’éthique chutent au gré des tempêtes de la démesure et de l’irresponsabilité triomphante. Le Sénégal est aujourd’hui littéralement cerné par des peurs : montée de l’intolérance dans la sphère publique, engagement de militaires démissionnaires en politique, démission de juge, radiation d’inspecteur des impôts, propos jugés « blasphématoires » du leader du Parti politique Rewmi… Des actes qui peuvent sembler anodins. Mais, à y regarder de plus près, ils dénotent d’un profond malaise dans notre société. Ces actes posés avec véhémence, quelquefois même avec toute la responsabilité qui sied, traduisent un traumatisme réel qui désempare les masses et désarticule les fondamentaux. La peur s’empare de nous. Une peur légitime au vu des actes posés en un laps de temps.
Le délire porté par des locuteurs enfiévrés par leur propre ego tente de couvrir le pacte séculaire de vie commune, en toute bienséance. Le Sénégal n’a jamais connu de violences causées par les appartenances confessionnelles. Les militaires, eux aussi, ont toujours su faire montre d’un esprit de discernement devant l’appel de la nation et la défense de leurs propres intérêts. L’instrumentalisation souvent propre aux hommes politiques de mauvaise foi n’a jamais prospéré sous nos cieux.
Avec les derniers développements de l’affaire Idrissa Seck, ancien Premier ministre, un des leaders importants de l’opposition et président du Parti politique Rewmi, il est fondé de se demander si le compromis tacite de cordialité n’est pas révolu. La tension est montée d’un cran, par presse interposée, entre des «intellectuels arabes» et lui. Une folie destructrice s’empare des trésors de notre sociabilité et notre allégeance à la République, ce bien commun qui transcende les différences.
Face à ces signaux inquiétants, il est du devoir des pouvoirs publics de montrer la voie en faisant preuve d’autorité mais également de responsabilité sans considération aucune des petites chapelles. Ça n’en prend pas le chemin. L’Etat a l’obligation de s’acquitter de sa double fonction de veille et de régulation. Il est attendu du gouvernement de poser de véritables actes allant dans le sens de desserrer l’étau de l’intolérance. Il n’y a point de société saine sans une neutralisation de la permissivité mais également sans une bonne distribution de la justice.
Hélas, l’espace public devient une scène des incongruités et des indignités. Nous assistons, de plus en plus, à la théâtralisation et à l’instrumentalisation de toutes les angoisses sénégalaises. Certains hommes politiques n’hésitent plus à se livrer à une vile et cynique récupération des tragédies de ces instants tumultueux. Ils n’hésitent même plus à jouer avec la fibre religieuse. A quelques mois de l’élection présidentielle, certains acteurs politiques versent, sans retenue, dans l’irrationalité. On jette l’anathème sur le «faible» quitte à offusquer toute une communauté. Les honneurs à qui effraie plus.
A ce rythme, notre pays, terre de germination démocratique, est en pleine régression. Cela semble même inexorable. Nous mettons en péril nos acquis, coupons notre élan collectif, décevons nos espérances, altérons notre foi en un Sénégal prospère et harmonieux, nos desseins assumés. Ceux qui jouent, aujourd’hui, à installer la discorde ou le chaos, portent une responsabilité historique. Celle que semble ignorer le président Macky Sall est encore beaucoup plus lourde. Ils apparaîtront, demain, comme les héros pernicieux de notre roman national.
Notre classe politique doit se redresser. L’opposition comme le pouvoir. Les intervenants dans l’espace public ont besoin d’asseoir une nouvelle légitimité pour être dignes de notre écoute. On ne peut à la fois briguer le ministère de la peur et la présidence de la République. L’alliance entre notre allégeance à la République et l’anarchie n’est pas possible. Il est temps d’agir pour ne point subir le délitement de notre espérance collective. Tout de même, mieux vaut prévenir que guérir !