L’ubuesque sortie du Président Macky Sall sur le traitement de faveur des tirailleurs du Sénégal au détriment des autres tirailleurs sénégalais est une preuve irréfragable du complexe de supériorité de l’homo senegalensis par rapport à ses voisins immédiats ; et son complexe d’infériorité par rapport à tout ce qui est français. Boutade ou bourde ? Toutefois, comme l’a si bien dit Boileau : «Tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément.» Et les fameux propos du Président Macky Sall sont tout sauf mal conçus, mal articulés et malaisés.
Cependant, le complexe de supériorité du Sénégalais date de l’époque coloniale et s’explique par la position géostratégique du pays et de sa porosité, pardon, sa teranga. En effet le Sénégal, par sa position géographique – pas plus – a abrité les institutions les plus prestigieuses de la France coloniale : capitale de l’Afrique occidentale française, première école française d’Afrique ouverte en 1817 à Saint-Louis, école William Ponty de Sébikotane d’où sont sortis la quasi-totalité des leaders post coloniaux africains. A cela s’ajoute la très convoitée nationalité française octroyée aux habitants des quatre communes du Sénégal que sont : Saint-Louis, Dakar, Gorée et Rufisque, sans oublier la maison des esclaves de Gorée. A y regarder de très près, il n’y a rien d’anthropologique dans toutes ces démarches. Ce ne sont que des caresses chirurgicales destinées à éventrer aisément le patient.
En fait, cette sollicitude de la France à l’égard du Sénégal a comme contrepartie un complexe d’infériorité du Sénégalais qui se considère comme un obligé de la métropole. C’est pourquoi sur le plan de la revendication, les Sénégalais sont plus réactionnaires que révolutionnaires. Léopold Sédar Senghor en est un exemple patent comparé à Aimé Césaire, Sékou Touré, Modibo Keïta, Djibo Bakary du Niger, etc. Si bien que ces fusibles sont souvent utilisés comme des taupes par les Français pour exécuter les sales besognes dans les galeries de la France d’Outre-mer. En effet en février 1918, alors que la France était acculée par les ennemis et à bout de souffle, Georges Clémenceau, alors chef du gouvernement, intima au gouverneur général de l’Aof d’alors, Van Vollenhoven, l’ordre de réquisitionner davantage de vivres et de tirailleurs dans le cadre de la participation à l’effort de guerre. Devant le niet catégorique de ce Français de la France dont l’humanisme n’a pas permis de faire saigner davantage des êtres humains déjà exsangues, le Président français dépêcha Guélaye Diagne, pardon, Blaise Diagne, avec des pouvoirs de gouverneur général, bien que provisoires, donc calife à la place du calife. Il sillonna l’Aof et harangua les Africains en excitant la fibre émotionnelle de ses frères et sœurs avec des promesses fallacieuses.
Les Français ne sauraient être ingrats à l’égard de ces pantins, ces mandrins, ces hommes-lige prêts à tout faire pour le plaisir de leurs maîtres, sans se tirer une balle dans le pied. Pourtant, ces nationalistes étriqués ne sont motivés que, comme le disait Lamine Guèye, par une indépendance individuelle ; d’où les difficiles relations entre Lamine Guèye et Senghor, avec les fondateurs du Rassemblement démocratique africain, en l’occurrence Houphouët-Boigny, Sékou Touré et Modibo Keïta ; d’où leur absence au Congrès de Bamako de 1945, sous la pression du Parti socialiste français de Guy Mollet. En effet, ce congrès a été organisé en écho à celui de Londres de 1945 sous la houlette du Dr Du Bois, avec comme recommandations l’indépendance immédiate de l’Afrique dans l’union. Du côté de l’Afrique équatoriale française (Aef), l’abbé Barthélemy Boganda de l’Oubangui Chari (actuel Centrafrique) se démenait pour regrouper les pays de l’Afrique centrale autour du Grand Lac : La République centrafricaine. Sans pour autant exclure une union continentale comme le prouve l’envoi de représentants, en l’occurrence David Dacko et Abel Goumba au congrès du Parti du rassemblement africain (Pra) de Cotonou organisé par Léopold Sédar Senghor en juillet 1958. Un congrès boycotté par Houphouët-Boigny, histoire de rendre à Senghor et Lamine Guèye la monnaie de leur pièce. D’ailleurs, le complexe de ces deux Sénégalais et leur nationalisme étroit sont l’une des causes de l’éclatement de l’éphémère Fédération du Mali dans la nuit du 20 août 1960. Alors que l’impondérable, l’inénarrable, le controversé poète de la Négritude déclamait à tout bout de champ de poèmes des vers indépendantistes, il avait déjà promis de façon lyrique au Général De Gaulle de voter oui au Référendum du 28 septembre 1958 : «Indépendance immédiate, mais pas immédiatement».
Notre agrégé de grammaire avec ses costumes que lui auraient enviés même les Français de France se voyait mal derrière des syndicalistes qui n’ont jamais fait ne serait-ce que la propédeutique, encore moins enseigner le français aux Français. L’erreur de Senghor, c’est de se laisser faire croire, comme on le lui a enseigné à l’école des Blancs, que le savoir c’est de l’érudition. Ce sont les diplômes. Cependant, bien qu’il n’ait pas fait des études poussées, le sage de la Côte d’Ivoire était un illuminé. Nanan Houphouët avait une vision très claire de la politique et de l’économie. Et grâce à la vision du Vieux, après une décennie d’indépendance, son pays commençait à décoller économiquement, à tel point que dans les années 1970, la Côte d’Ivoire était devenue l’eldorado de l’Afrique de l’Ouest. Cet essor économique soutenu par une stabilité politique a drainé beaucoup de ressortissants burkinabè, sénégalais, maliens, etc. Alors qu’à cette époque, le pays de Senghor pataugeait dans des crises répétitives dès 1963. Des crises qui ont atteint leur paroxysme en 1968 et aboutissent à son abdication en 1980.
En ce qui concerne le bouillant syndicaliste guinéen, l’homme du 25 août 1958, qui infligea en cette date mémorable une douche froide insupportable au redoutable homme du 18 juin 1940. Avec son Bac moins, il est parvenu par sa verve, son courage sans faille et son panafricanisme inébranlable à séduire la jeunesse africaine en général et guinéenne en particulier. A tel point que Senghor disait de lui qu’il aimait l’Afrique d’un amour tyrannique. En effet, en 1982, à la mairie de Paris, Sékou Touré a délivré un cours magistral historique, incollable, digne d’un professeur titulaire de chaire. Après l’intervention de son hôte Jacques Chirac, l’ex-Président français, alors maire de Paris, qui lisait une note diplomatiquement très bien préparée, l’ex-Président guinéen prit la parole et commença à gloser sur le Peuple, le temps, l’espace et le développement à l’improviste, en se basant sur le discours de son hôte. Pendant environ vingt minutes, il a tenu en haleine son public. Ce discours historique est une preuve que le vrai savoir ne se trouve pas dans des livres, que le vrai savant n’est pas l’érudit, mais celui à qui Dieu irradie sa lumière. Ainsi, si le Sénégal a son Cheikh Anta Diop, le Mali a son Modibo Diarra, le Burkina Faso son Joseph Ki-Zerbo.
Dans ses mémoires, Nelson Mandela avoue son complexe devant tout ce qui vient de l’Angleterre. Cependant, si Senghor et Mandela peuvent bénéficier de circonstances atténuantes devant le tribunal de l’histoire – étant nés respectivement en 1906 et en 1918 – ce ne serait jamais le cas pour Macky Sall, lui qui se targue d’être né après le lever du soleil des indépendances. Colonisation quand tu nous tiens !
P.S : Van Vollenhoven démissionna de son poste de gouverneur général de l’Aof face à cet abus de pouvoir du Président français, George Clémenceau, et rejoint l’Armée française en Asie, où il tomba l’arme à la main. Ironie de l’histoire, le lycée Van Vollenhoven disparaît et le lycée Blaise Diagne apparaît. (Lire l’œuvre Amkoulel l’enfant peul de Amadou Hampâté Ba)
Elimane BARRY
Professeur d’Anglais,
au lycée Maciré BA de Kédougou
eltonbarry87@gmail.com