La société sénégalaise arrive à un moment où il est temps de repenser son système éducatif à travers un projet global en cohérence avec un monde en mutation. Par conséquent, il est indispensable de procéder à une réforme du système éducatif dans son ensemble. Pour cela, personne n’a le monopole de la vérité et la conception d’un tel projet de société doit être participative et inclusive. Après les deux approches sectorielles des Assises de l’Education et de la Concertation nationale sur l’avenir de l’Enseignement supérieur, il devient impératif de procéder à une réflexion holistique et globale avec des objectifs précis sur le citoyen sénégalais du 21è siècle à former, les compétences comme les valeurs cardinales pour une société harmonieuse dans un environnement durable. Des états généraux impliquant tous les segments de la société deviennent incontournables pour inventer un système éducatif en cohérence avec le modèle de développement et pour opérer toutes les ruptures aptes à tenir compte de toutes les erreurs passées et présentes qui ont fini d’installer l’école et son système dans l’impasse. Cette approche est incontournable, car l’école et le savoir constituent la clé de voûte de tout développement.
Le système éducatif a toujours été et reste un secteur sensible sur la stabilité et la gouvernance du pays. Aussi, un pilotage à vue est-il savamment entretenu pour faire preuve de créativité. Tous les gouvernements successifs ont été confrontés à gérer des états d’âme et des plateformes revendicatives et il est possible de se demander s’il existe réellement une politique sectorielle bien pensée d’amont en aval, privilégiant la durabilité, la soutenabilité et la pertinence, en se fixant les objectifs précis sur des finalités éducatives bien définies.
Les efforts consentis par les différents régimes n’empêchent pas à l’école sénégalaise de connaître une crise récurrente et profonde qui affecte tout le système éducatif dans son ensemble. A peine sort-on des perturbations dans l’élémentaire et le secondaire que l’enseignement supérieur relativement stable cette année s’embrase à la faveur d’un mouvement d’humeur des étudiants de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis ayant abouti à la mort de l’étudiant Fallou Sène suite à l’intervention des forces de l’ordre. La gestion hasardeuse de cette crise montre des signes de fébrilité et de vulnérabilité en contradiction apparente avec le programme affiché dans le secteur puisque l’Etat du Sénégal atteste avoir mobilisé plus de 430 milliards entre 2013 et 2018 représentant 2,5 fois ce qui a été dépensé en cinquante-deux ans, avec la déduction vite tirée que le président Macky Sall aurait fait plus dans l’enseignement supérieur que les présidents Senghor, Diouf et Wade. Il aurait ainsi construit des universités, des Instituts supérieurs d’enseignement professionnel, des Espaces numériques ouverts (Université virtuelle du Sénégal), des Centres de recherche et d’essais, des amphithéâtres, des milliers de lits additionnels et des laboratoires-salles de travaux pratiques, etc. Pendant le même temps, le régime affirmerait aussi avoir mis sur la table environ 51 milliards rien que pour les bourses des étudiants, sans compter les nouvelles mesures dans le cadre de la gestion de la crise.
Cela ne nous fait pas oublier les trois universités créées en 2007 sous le régime du président Wade et évidemment cela avait été vanté de la même manière par rapport à ses prédécesseurs qui n’auraient laissé que deux universités. Sous ce magistère, figuraient dans l’appellation du ministère de l’Enseignement supérieur, les Centres universitaires régionaux (Cur) qui devraient être parmi les innovations majeures de cette époque. Sans jamais avoir existé, ces Cur ont disparu de la carte alors que beaucoup de moyens ont été mis en œuvre pour qu’ils participent à diversifier l’offre de formation au niveau du supérieur, de même qu’une abondante réflexion avait été menée pour la mise en œuvre de l’enseignement à distance. La période 2000-2012 avait été aussi marquée par des investissements importants au niveau de la case des tout petits, de l’élémentaire et du secondaire. De même, pour faire dans l’enseignement de proximité, beaucoup de collèges et de lycées de proximité ont été érigés et qui ont contribué à une meilleure démocratisation de l’offre éducative et c’est à croire, en partie, que ce sont ces choix qui ont contribué à l’accroissement du nombre de bacheliers. Nous suggérions à l’époque une diversification à faire intervenir avant le baccalauréat pour fournir beaucoup de techniciens et moins de bacheliers. La même approche devrait s’appliquer dans le premier cycle du secondaire.
Au regard des efforts consentis, il est à se demander si les performances ont suivi avec une bonne balance. Pour cet exercice, nous avons pris comme repères, les données fournies pour l’année scolaire 2016-2017. Des sources officielles ont indiqué que, malgré une année scolaire 2016/2017 relativement stable, sans perturbations récurrentes et pouvant être considérée comme une année académique avec zéro faute, n’eussent été les fuites et fraudes notées lors des évaluations nationales, notamment pour le concours général, le Baccalauréat et le Brevet de fin d’études moyennes (Bfem), le taux de réussite du Baccalauréat a connu une chute de 5 points avec 31,6 % en 2017 contre 36,6 % en 2016, tout comme les examens du Certificat de fin d’études élémentaires (Cfee) et le Bfem qui ont respectivement enregistré 45 % en 2017 contre 54 % en 2016 et 56 % en 2017 contre 58 % en 2016. Pour un budget annuel qui serait de 402 milliards FCfa, l’école aurait obtenu 70 % d’échec dans le secondaire, 55 % dans le moyen et 44 % dans l’élémentaire, en plus de la progression du taux d’abandon (19,4 dans le moyen, 9,8 dans le secondaire) et de redoublement, du déficit criard des intrants pédagogiques. Ce serait là quelques péripéties d’une année certes apaisée, mais qui a enregistré beaucoup d’échecs. Ce qui a amené un acteur du système, Oumar Wally Zoumarou, à qualifier l’année de chaotique avec des fuites allant jusqu’à considérer l’année de nulle ou blanche. Ces résultats ne sont guère reluisants et, au contraire, c’est un aveu d’une école de l’échec.
Malgré tout, sur les 147 602 candidats ayant pris part à l’examen du bac en 2017, les 46 652 ayant décroché leur sésame (1er et 2ème tours réunis) ont dû poser un casse-tête pour leur orientation dans le supérieur. Les cohortes reçues sont sans commune mesure avec la capacité réelle d’accès. Les universités publiques ayant atteint leurs limites, une mesure conservatoire a consisté à déverser le trop-plein dans les écoles privées selon un processus en cours depuis quelques années. Dans le Supérieur, les échecs et les abandons font également légion et les effectifs de la première année au master évoluent suivant une pyramide.
Naguère considéré comme un luxe pour nos pays par la Banque mondiale, l’enseignement supérieur est devenu fréquentable depuis son séminaire d’Accra de 2003 intitulé : «L’Enseignement supérieur, ce qui marche». Les paradigmes ont ainsi bien changé car, avec l’ajustement structurel, l’on se souvient du tollé créé par les dépenses sociales qui avaient fait l’objet de coupes sombres. Pendant de longues années, l’orientation des bacheliers était sélective et n’était plus obligatoire. C’est en 2001 que beaucoup de mesures sont prises pour corroborer une idée chère au président Wade qui considérait à juste raison que les dépenses sur l’éducation sont des dépenses d’investissement, mais aussi comme des mesures d’apaisement suite au meurtre de l’étudiant Balla Gaye. C’est ainsi que l’engorgement de l’accès dans le supérieur et la massification dans les universités constituent des problèmes d’une extrême délicatesse auxquels des réponses hardies devraient être trouvées. D’un autre côté, ces problèmes ne devraient point occulter les autres besoins comme la formation continue, l’éducation pour tous ou au cours de toute la vie. Pourtant, il est possible de se demander si ces aspects sont mieux gérés maintenant comparativement à la période à une seule université.
D’autres questions peuvent être posées sur les passerelles entre les différentes filières et les différentes universités ainsi que les mises en cohérence et les complémentarités pour éviter les redondances. Quelle est la cohérence des différents parcours depuis l’élémentaire ? Toutes ces questions parmi tant d’autres posent le problème de la pertinence d’un plan stratégique global bien pensé qui constituera la commande publique ou la lettre de politique sectorielle pour une durée et une planification déterminées. Les questions juridiques, éthiques, de norme, de qualité, de transparence et de sécurité constituent un domaine stratégique vital dans un système où le diplôme cède la place à des attestations avec une conformité souvent difficile à établir.
Il ne faudrait pas oublier la recherche qui reste une des missions essentielles et qui constitue le ventre mou de nos universités. Il se pose également le problème de son financement à travers des projets structurants pilotés par la demande sociale. Là aussi, la recherche universitaire libre par essence gagnerait à s’appliquer à résoudre les problèmes du développement par un plan stratégique bien maîtrisé.
Un grand peuple arrive à transcender des problèmes parce qu’il privilégie de réfléchir, de comprendre et d’agir sans mettre en avant les sentiments. Dans le cadre de cette crise accidentelle, des mesures conservatoires peuvent et doivent être prises pour calmer les esprits et cela est absolument nécessaire (peut-être seront-elles politiques), mais pour la durabilité des options à entreprendre pour agir utilement, selon mon intime conviction, il faut convoquer des états généraux sur l’école avec toutes les forces vives sans exclusive. Il y va de l’intérêt de toute la nation sénégalaise. Il s’agit de bâtir dans la durée, une école, un système éducatif, un seul pour l’atteinte des objectifs jusqu’aux plus récents de la gestion de nos ressources naturelles gazières et pétrolières. Cette question, par sa centralité, mérite bien un dialogue national pour éviter de renchérir une école qui coûte déjà très cher avec des résultats médiocres, comme en attestent les rangs des deux universités sénégalaises figurant sur le classement top 200 des universités africaines (48 et 157 places pour Ucad et Ugb respectivement).
Après Fallou Sène et les deux autres qui l’ont précédé, un esprit pessimiste a pu prédire que le prochain meurtre d’étudiant interviendra en 2021. Quel esprit optimiste pour prédire le contraire et nous assurer que cela ne se reproduira jamais. C’est cela qui est attendu de qui de droit. Cette réponse n’est possible qu’à la seule condition qu’un bon diagnostic soit effectué sans complaisance avec une thérapeutique appropriée. Pour ma part, les causes sont multiples et systémiques. Une éradication sûre doit connaître toutes ces causes pour enrayer à jamais la survenue de tels évènements. Encore, là aussi, il est aisé de comprendre combien le pédagogique est inféodé au social.
Les investissements infrastructurels doivent être en adéquation avec les mesures sociales pour éviter l’entrée en conflit entre les composantes d’un même système. De même, les projets culturels comme ceux de l’éducation gagnent à porter l’adhésion de sa communauté éducative qui est le premier intrant pour sa réussite. Nulle surprise que l’Université du Futur Africain soit restée en l’état embryonnaire en étant victime de sa malformation congénitale. Dans ce cas d’école, notre futur a voulu se construire en oubliant le passé et le présent. Si nous admettons humblement que les mêmes causes produisent les mêmes effets, les actions durables dans le domaine de l’éducation et de la science doivent être fondées sur le socle de l’expertise collégiale de tous les Sénégalais, en plus de la diaspora et ses amis pour éviter les erreurs préjudiciables à notre avenir.
Au demeurant, les fractures scientifique, numérique, technologique et autres constituent un lourd handicap pour nos pays dans un monde dominé par l’information et le savoir. L’éducation doit être à la hauteur de ce défi pour éviter un décrochage. Pour être efficace, le système éducatif doit être réformé en profondeur au regard de finalités imposées par le contexte. Le type de citoyen à former est une tâche ardue, car il s’agit d’un citoyen ancré sur nos valeurs cardinales et ouvert sur un monde en devenir, donc une citoyenneté planétaire responsable. L’école constitue ainsi la solution et non le problème. Or, le pilotage du système par les crises crée des dysfonctionnements qui tuent le système. Aussi n’est-il pas nécessaire de mettre sur pied un Conseil supérieur de l’Education pour assurer, en toutes circonstances, la continuité et la veille dans ce domaine clé ?
Prof. Papa Ibra SAMB
Recteur Honoraire Fondateur de l’Université de Thiès
Membre Titulaire de l’Académie Nationale des Sciences et Techniques du Sénégal
Président de la Convergence d’Initiatives pour le Sénégal
Des états généraux indispensables pour sauver le système éducatif (Par Prof. Papa Ibra SAMB) | .