10 ans après, que reste-t-il des Assises Nationales lancées le 01er juin 2008 surtout que les initiateurs de ces consultations citoyennes sont au pouvoir et occupent pour l’essentiel des postes de responsabilité ? Le président Macky Sall ne s’est pas privé récemment de revendiquer une sorte de droit d’inventaire de la charte de ces Assises. Autrement dit, une application à la carte en faisant valoir que ladite charte n’est ni la Bible, ni le Coran encore moins la Thora. Ce samedi, autour du président Amadou Makhtar Mbow, les « assisards » ont posé le débat sur la problématique de l’avenir des Assises nationales.
Les élections législatives du 3 juin 2007 ont été boycottées par l’opposition significative (Parti socialiste, Alliance des forces de Progrès, Ligue démocratique/ Mouvement pour le parti du travail, Parti de l’Indépendance et du Travail…) regroupée au sein du Front Siggil Senegal. Un boycott qui faisait suite au refus du président Abdoulaye Wade de procéder à un audit du fichier électoral remis en cause au lendemain de l’élection surprise au premier tour, à l’issue de la présidentielle de cette année-là, du candidat du « Sopi ». Ce mot d’ordre de boycott avait été massivement suivi par les Sénégalais puisque le taux de participation n’était que 34,7 % soit 1 738 185 d’électeurs qui avaient pris part au scrutin sur un total de 5 002 533 inscrits. D’ailleurs, c’est cette absence d’adversaires de poids qui explique la marée bleue de 131 députés sur 150 lors de ces échéances électorales. Mais ayant mesuré et appréhendé le danger politique de n’être représenté dans aucune institution pendant cinq ans, l’opposition d’alors eut l’idée d’organiser des Assises nationales (AN). C’était en réalité une très intelligente forme de contestation de l’alors mode de gouvernance wadienne.
Les Assises nationales, un contre-pouvoir au régime de Wade
Déjà le 10 juin 2007, soit une semaine après la tenue des législatives, Abdoulaye Bathily, lors d’un bureau politique de la Ld/Mpt, dénonçait « l’illégitimité des principales institutions de la République que sont le président de la République, l’Assemblée nationale et le futur Sénat ». En conséquence, il exigeait « la convocation d’assises nationales entre le pouvoir, tousles partis politiques, les organisations syndicales et les autres composantes de la société civile ». Et cela, non seulement pour « réévaluer les institutions de la République, mais aussi et surtout pour examiner la situation économique du pays au regard des difficultés croissantes que rencontrent les populations des villes comme des campagnes ». Pour atteindre cet objectif, le Bureau politique de la Ld/Mpt estimait qu’il fallait « renforcer la mobilisation des militants, organiser et mettre en mouvement les populations dans les villages et les quartiers, pour mettre en place, progressivement, une résistance populaire capable d’imposer à Wade la convocation de ces concertations nationales ».
C’est le 1er juin 2008 que lesdites AN sont lancées sous la direction d’Amadou Makhtar Mbow, ancien directeur général de l’UNESCO. Ces rencontres qui embrassaient toutes les sensibilités politiques, les organisations citoyennes, syndicales, patronales, féminines et autres catégories professionnelles se voulaient un contre-pouvoir, une remise en cause et, avant tout, un diagnostic de toutes les politiques mises en œuvre depuis 1960. Ce dans le but de trouver les solutions de sortie de crise aux problèmes globaux du Sénégal. La démarche se voulait inclusive, participative. Même la mouvance présidentielle était invitée à contribuer à cette réflexion collective concernant, selon ses initiateurs, le devenir de la Nation. Lesquels ambitionnaient de regrouper toutes les expertises requises et appropriées pour réussir un tel projet politique. Le profil des personnalités dirigeant les travaux de ces Assises crédibilisait ces rencontres politico-citoyennes qui se distinguaient des conférences nationales tenues dansles années 90 danscertains pays d’Afrique en déficit démocratique. Et les politiciens du Front Siggil Senegaal, pour ne pas donner du grain à moudre à ceux-là qui considéraient les AN comme une sorte de shadow cabinet pour créer une structure opposante plus renforcée, plus crédible aux yeux de la population, avaient préféré habilement se mettre au second plan, laissant devant des personnalités jugées neutres ou, en tout cas, moins colorées politiquement.
Le président de la République d’alors, Me Abdoulaye Wade, ayant une claire du véritable objectif des AN, fit pression surses partisans, alliés et leur somma de ne pas participer à ce forum d’opposants qui voulaient le renverser. D’ailleurs le chargé de la propagande du PDS, Farba Senghor, n’avait pas manqué à l’époque de menacer les participants des foudres de l’Etat, tout en s’attaquant violemment au très respecté Amadou Makhtar Mbow. Ainsi, le Conseil national du patronat et le Conseil sénégalais des femmes se retirèrent des AN. Mais l’adhésion populaire fut réelle puisque les animateurs des « assises », qui avaient sillonné tout le territoire national pour recueillir les avis et suggestions des citoyens à la base, n’avaient jamais été reçus avec des signes d’hostilité. Pourtant, Wade, en juillet 2008, recevant à Dakar Serigne Bara Mbacké, alors khalife général des mourides, et sa délégation avait laissé entendre sa nouvelle position sur les AN :« Que quelqu’un soit avec ou contre moi, même ceux qui sont dans leur coin et mènent la réflexion, je leur ai dit, quand ils en auront terminé, qu’ils me les ramènent et je les appliquerais à la mesure du possible. Si nous pouvons les réaliser ensemble, nous le ferons. Mais, ceux qui ne veulent pas aller avec moi, qu’ils me donnent au moins les fruits de leurs réflexions qu’ils pensent être les meilleures pour le pays. La réflexion ne m’est pas destinée personnellement, c’est pour le pays ; et si c’est le cas, je l’appliquerais. A moins que ce ne soit de pures palabres ».
Et Macky renia les Assises
Au bout de presque un an, plus précisément le 24 mai 2008, les résultats destravaux des Assises furent couchés dans un document ayant pour objectif de servir légalement de programme de gouvernement. D’ailleurs tous les hommes politiques du Front Siggil Senegaal qui convoitaient le fauteuil occupé par Abdoulaye Wade avaient souscrit à la Charte de bonne gouvernance qui est la quintessence des AN et s’étaient engagés à mettre en application ses recommandations, une fois élus à la magistrature suprême. Le candidat Macky Sall, naturellement, n’avait pas dérogé à la règle.
10 ans après, que reste-t-il des AN surtout que les initiateurs de ces consultations citoyennes sont au pouvoir et occupent pour l’essentiel des postes de responsabilité ? Le président Macky Sall ne s’est pas privé récemment de verser dans le déni d’application des conclusions des AN. Récemment, lors du lancement du tome 1 de ses livres intitulés » Conviction républicaine », il avait déclaré qu’« il ne faut pas, en tant qu’intellectuels, faire des AN la Bible, le Coran ou la Thora. Il faut que l’on comprenne que c’est une réflexion et qu’au moment où les Assises se tenaient, notre pays faisait face à des risques graves sur l’existence même de la République. Le contexte peut marquer la pensée. Mais cette pensée peut évoluer et doit évoluer.»
Le président ne fait que réitérer une vieille position faite de réserves par rapport à la charte des AN. S’il déclare toujours qu’il a signé en émettant des réserves par rapport au régime parlementaire, force est de constater que, desdites Assises, il n’a rien respecté à part l’institution d’un Haut conseil des collectivités territoriales confiée à un allié de taille. Quand, dansle projet de constitution de la CNRI (Commission nationale de réforme des institutions), il avait été fait mention d’une recommandation des AN relative à la séparation de la fonction de chef de parti de celle de président de la République, les zélotes du chef de l’Etat s’en étaient violemment et insolemment pris à Amadou Makhtar Mbow. Ces attaques contre l’ancien ministre de l’Education du président Senghor ne sont que le reflet d’un profond désir de conservation des privilèges hérités constitutionnellement du présidentialisme senghorien. L’esprit des AN a été trahi. D’ailleurs le président Mbow, lors de la célébration des 10 ans des AN ce weekend, a sans circonlocution déclaré que le président Macky Sall n’a pas du tout respecté les accords des Assises nationales. Selon lui, « Macky Sall ne peut pas être président de la République et chef de parti ». Dans le même sillage, Ousmane Sonko a lui aussi parlé de trahison : « Macky, dans l’entre-deux tours, s’était plié à quatre devant ces Assises pour avoir le soutien des Peuples des Assises. Et cette Charte était très explicite, toutes les parties prenantes qui l’auraient signée s’engageaient à en appliquer les conclusions.» Serigne Mansour Sy Djamil, très remonté contre le président Sall, a martelé à son tour que « de reniement en reniement, de trahison en trahison, Macky a mis de côté les conclusions des AN ».
Le docteur Dialo Diop a, pour sa part, pointé un doigt accusateur sur les reniements du président Macky Sall qui n’aurait pas voulu, selon lui, honorer sa signature apposée au bas du document où sont consignées les recommandations des consultations citoyennes. « Le système judiciaire, la lutte contre la corruption, la dé- pendance économique et monétaire, la crise du franc CFA… Sur toutes ces questions vitales pour l’avenir de l’Etat et de la société sénégalaise, des solutions durables avaient été énoncées. Mais, malheureusement, elles ont été royalement ignorées par le président Macky Sall », s’est désolé le leader du RND (Rassemblement national démocratique).
Mais pour Seydou Guèye, porteparole du gouvernement, « dire que Macky Sall n’a pas respecté la Charte des Assises nationales, c’est faire un mauvais procès au Président » car selon lui « Macky Sall a été élu sur la base du YoonuYokkuté, son projet politique validé en 2012 ».
Niasse et Tanor : les pères infanticides
Toujours est-il qu’aujourd’hui, l’échec des AN est imputable en premier à ses figures de proue qu’étaient Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng. En cela, on peut accuserces deux présidents d’institutions sous l’actuel régime d’infanticide pour avoir tué le bébé qu’ils ont conçu. Pour cause, jamais ils n’ont eu à peser de leur poids pour amener le président Macky Sall à appliquer les recommandations phares des AN. Sous les ors du pouvoir, ils ont prononcé l’oraison funèbre des AN. Jouissant des voluptés du pouvoir et enivrés de privilèges indus, ils sont devenus amnésiques par rapport à leurs engagements de 2008. Au diable les AN ! Ayant des salaires mensuels faramineux de presque 10 millions, roulant carrosse, disposant de caisses noires nanties de plusieurs millions, ayant la possibilité de caser leurs militants chômeurs, disposant de passeports diplomatiques, Niasse et Tanor ont renié et trahi l’esprit des AN. Ils ont troqué leurs convictions contre les passe-droits octroyés par sa Majesté Sall. « Les vertus se perdent dans l’intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer », dixit La Rochefoucauld.
Et dans le même registre des traitres qui ont brûlé la Charte des AN, on peutciter Amath Dansokho, Ibrahima Sène, vieux retraité casé à la Miferso, des représentants de la LD dans le gouvernement, Momar Samb qui a enterré son légendaire « penthio » pour le « paathio » au CESE etc. Ainsi, dix ans après l’espérance suscitée par les AN, les Sénégalais sont en droit de dire : « tout ça pour ça ! »