C’est le qualificatif « national » qui pose problème. Le président de la République a tenu hier son fameux dialogue sur le pétrole et le gaz, plus précisément sur l’utilisation des ressources issues de l’exploitation de ces ressources. Il y a eu du monde, du beau monde, des hommes politique de la mouvance présidentielle, des représentants du secteur privé national, de la société civile, du monde religieux, de diverses catégories socioprofessionnelles. Des activistes et des opportunistes en diable aussi, sans oublier des flagorneurs à casser le micro… En particulier, il y a eu des experts, beaucoup d’experts, qui nous ont ébloui par leur parfaite maîtrise des questions pétrolières et gazières. Au vu de ce qu’on a entendu, pas la peine d’ouvrir un Institut national du pétrole et du gaz car la matière grise est déjà là à en exporter à travers le monde entier !
Malgré tout, pourtant, on ne nous ôtera pas un amer goût de rencontre « institutionnelle » au vu de tous ces membres d’institutions qui ont rempli les travées du centre international de conférences Abdou Diouf de Diamniadio ! Entre les ministres, les députés, les conseillers économiques sociaux et environnementaux, les membres du Haut Conseil des collectivités territoriales ou du Conseil pour la dialogue des territoires, les maires et présidents de conseil départemental pro-régime, les chefs religieux en cour, les membres de la société civile désireux de siéger au COSPétrogaz, les magistrats… on avait l’impression d’assister à une assemblée générale ou une revue des corps constitués pas à un dialogue des forces vives de la Nation !
Soyons clairs et parlons franchement : peut-on tenir un dialogue national sans participation de l’opposition parlementaire, c’est-à-dire celle-là significative qui bénéficie des suffrages de larges franges de la population ? Assurément non ! C’est, hélas, ce qu’on a prétendu réussir hier. Si on prend les résultats des élections législatives de juillet dernier, dernier baromètre grandeur nature et situation réelle disponible, l’opposition, toutes chapelles confondues, a obtenu un peu plus de 50 % des votes exprimés, la majorité présidentielle n’ayant obtenu ses 125 députés — sur 165 — qu’à la faveur d’un système électoral majoritaire particulièrement inique favorisant le « raw gaddu ».
Eh bien, aucun des représentants de ces plus de 50 % du corps électoral n’était représenté aux assises d’hier ! aucun élu de Mankoo Taxawou Sénégal, aucun de Wattu Sénégal… encore une fois, peut-on prétendre en ce sénégal de 2018 organiser des assises qui se veulent nationales sans qu’y aient pris part, et même se soient fait représenter, des figures ou forces aussi représentatives que le Parti démocratique sénégalais (PDS) — le président Abdoulaye Wade et son fils Karim en particulier —, Rewmi — Idrissa Seck, à partir de La Mecque, a dit tout le mal qu’il pense de ce dialogue à travers une charge d’une rare virulence —, le grand Parti de Malick Gakou, les partisans de Khalifa Ababacar Sall, mais aussi Ousmane Sonko, Mamadou Lamine Diallo, l’ancien président du sénat et de l’Assemblée nationale Pape Diop l’ancien premier ministre Abdoul Mbaye, Abdoulaye Bathily, Mamadou Ndoye etc. sans compter le noyau dur du peuple des assises nationales regroupé autour du patriarche Pr Amadou Makhtar Mbow…
Toutes choses qui font que la grande causerie ramadanesque d’hier — c’est le mois des conférences religieuses et la traite des imams ! — avait plus des airs d’un congrès de majorité présidentielle élargie que de véritable Dialogue national. tant pis si ça peut flatter l’égo du président de la République et fournir un bon argument à ses services de communication qui auront beau jeu de vendre la carte du candidat rassembleur…
Un dialogue national ne peut pas exister dans les conditions actuelles au sénégal où les opposants sont soit emprisonnés ou exilés (Khalifa Sall, Karim Wade, Barthélémy Dias sans compter des dizaines d’autres seconds couteaux), ostracisés des médias d’etat, tenus loin des cérémonies officielles comme la fête normalement nationale du 04 avril, leurs responsables débauchés en une honteuse et permanente campagne d’encouragement de la transhumance etc. Des opposants qui, s’ils manifestent, sont chargés violemment par les forces de l’ordre qui reçoivent après les félicitations officielles du président de la République en Conseil des ministres ! Dans toute démocratie qui se respecte, le président de la République reçoit son opposition avant de prendre de grandes décisions ou, en tout cas, la consulte sur les grands problèmes de la Nation. Dans notre pays, le Président reçoit… des transhumants et transforme son palais en permanence de son parti ! Bref, on ne va pas écrire ici le livre des brimades infligées à l’opposition depuis 2012. Sans compter que même dans les rangs de la majorité présidentielle, le compte n’y était pas hier. Ainsi, le grand Serigne Abdoulaye Makhtar Diop, dont nul ne peut nier la représentativité, a boudé ostensiblement la rencontre. La faute au pouvoir qui a invité son ersatz ou son clone c’est selon. On aura aussi remarqué que le siège réservé à l’envoyée spéciale du président de la République, Mme Aminata touré dite Mimi, est resté désespérément vide…
Dans ces conditions de division du sénégal en deux camps irréconciliables, prétendre appeler à un dialogue national, à huit mois d’une élection présidentielle déjà partie pour être celle de tous les dangers, c’est à tout le moins faire de la provocation. Ou jeter de la poudre aux yeux du bon peuple !
Et puis, faisant partie du 1 % de sénégalais qui ne s’y connaissent absolument pas en matières pétrolière et gazière, et n’osant donc pas m’avancer sur ce terrain glissant, je remarquerais simplement que, dans ce genre d’affaires, l’essentiel se joue généralement en amont, au moment de l’attribution des blocs… qui peuvent ensuite être revendus avec des plus-values… astronomiques ! Attendre d’avoir attribué l’essentiel de l’amont pour ensuite appeler au dialogue sur l’utilisation des ressources à venir, l’aval donc, eh bien cela ressemble pour le moins à un foutage de gueule !