«Le plus horrible spectacle de la nature, et un des plus communs, est de voir violer la justice par l’homme préposé pour la rendre», Hyppolite de Livry
Le tollé soulevé par l’affaire du détournement de plus de 29 milliards de francs CFA du Programme national des domaines agricoles communautaires (Prodac) mis en lumière par l’Inspection générale des finances(IGF) s’estompe peu à peu. Entre une soi-disant démission acceptée puis rejetée, une auto- victimisation, des sorties médiatiques politiciennes et l’omerta du président de la République et du Procureur, on dirait que l’affaire est en train de prendre le chemin des dossiers placés » sous le coude ».
Aux premières heures de l’éclatement du scandale Prodac, tous les observateurs de la scène politique sénégalaise avait salué la démission courageuse du ministre Mame Mbaye Niang. Bien qu’il ne soit pas trop apprécié pour sa compétence et son mode de gestion, il venait de poser un acte symbolique à haute valeur républicaine que l’on avait l’habitude de voir que dans les grandes démocraties. Mais avec la tournure prise par l’affaire, on dirait qu’une manipulation de haute facture était derrière les actes posés par le ministre incriminé.
En effet, après le baroud d’honneur du ministre du Tourisme démissionnaire, ses seconds couteaux sont sortis non pas pour apporter des éclaircissements et preuves pouvant blanchir leur mentor mais pour inventer des boucs-émissaires. Loin d’être des manchots politiques, ils ont accusé Amadou Bâ, ministre de l’Economie, des Finances et du Plan, d’avoir «orchestré une sale cabale» contre leur patron. Coupable ne pouvait pas mieux être désigné, si on connaît l’ambition du dauphin du président Macky Sall qu’on colle à l’argentier de l’État et sa fonction de tutelle financière du Prodac. Le plan machiavélique est mis en branle, comme les Sénégalais sont friands de politique politicienne, on veut nous vendre un avant-goût d’une guerre fratricide entre marron – beiges comme ça, la justice qui est centrale dans cette affaire de deniers publics sera très vite oubliée.
Par contre, ce qui est le plus inquiétant dans cette affaire, c’est le silence coupable de l’autorité suprême du pays en l’occurrence le président de la République, qui aux dernières nouvelles aurait eu l’audace de refuser la démission d’un ministre éclaboussé par une affaire aussi grave. Un président dont le règne a été marqué fortement par des affaires judiciaires comme le dossier Karim Wade ou celui de Khalifa Sall, affaires dans lesquelles la transparence et la gestion vertueuse des deniers publics nous étaient vendues. Si cette affaire est étouffée, qui oserait revenir nous vendre la probité des Ofnac, IGE, IGF ou autres organes de contrôle de l’État ? Qui saura nous convaincre de l’existence d’une justice indépendante au Sénégal ?
En fin de compte, les mises en garde du Forum civil, de Birahim Seck, qui depuis plus de cinq ans, n’a cessé d’alerter le peuple sénégalais sur les dangers des réformes introduites dans le code des marchés publics ainsi que le laxisme qui entoure la contractualisation de certains projets exécutés dans «l’urgence», n’ont produit aucun effet sur les gouvernants. Cette affaire dite du «Prodac» en est une parfaite illustration.
Par ailleurs, il ne faudrait pas que le peuple sénégalais soit orienté vers un faux conflit entre acteurs principaux de ce carnage financier. Il ne faudrait pas qu’il soit berné dans un semblant de règlement de compte politique. Il s’agit d’une affaire sérieuse de tromperie portant sur plus de 29 milliards de FCFA du contribuable sénégalais.
Babacar Touré