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Sauver Le Tirailleur Du Racisme Colonial

Sauver Le Tirailleur Du Racisme Colonial

Le président Sankara a dit un jour : « L’impérialisme est dans nos plats ». Aujourd’hui, la colonialité est dans les imaginaires que nous perpétuons. C’est dans cette perspective qu’il faut lire les déclarations du Président Macky Sall sur les « tirailleurs sénégalais ».

On sait que les soldats africains ont vécu l’horreur. En guise de reconnaissance, la France leur a servi le mépris pour toujours et la sauvagerie, comme au Camp Thiaroye en  décembre 1944. On sait aussi l’état d’esprit suprémaciste de la France coloniale.

On se remémore la déclaration d’Adolphe Messimy, ministre français de la Guerre en 1911 qui, pour justifier devant l’opinion européenne l’enrôlement des Africains dans la Première Guerre mondiale, dit ceci : « L’Afrique noire nous a coûté des millions de soldats, des monceaux d’or et des flots de sang (sic), mais les hommes et le sang, elle doit nous les rendre avec usure ». Pour Messimy, l’Afrique est redevable à l’Occident qui lui « a apporté la civilisation ».

Décoloniser les représentations

Pour Macky Sall c’est ça l’amitié… Et puis, je vois mal comment on peut se targuer de l’amitié d’un bourreau parce que, soit disant, il vous nourrirait mieux qu’il ne nourrit vos propres frères… Passons ! Oui passons, l’heure n’est plus aux lamentations ou à l’apitoiement sur notre sort. Il est juste temps de décoloniser les représentations dans le sillage de la décolonisation des savoirs.

Quelle perception avons-nous de nous-même ?   Qu’est ce qu’on fait des images coloniales qui banalisent et ridiculisent le rôle des « anciens combattants » ?  Il ne s’agit pas d’une énième dénonciation, mais d’interroger ces concepts et ces terminologies intelligemment distillés dans l’école de l’assimilation, appris par cœur et récités en chœur. Il faut s’arrêter !  Pour ensuite commencer à évoquer l’Histoire avec des mots justes.

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Boubacar Boris Diop se demande dans son dernier roman Bàmmeelu Kocc Barma (Éditions Céytu, janvier 2018), comment un peuple peut continuer à chanter les mérites de ses propres bourreaux. À quel titre et au nom de quoi devons nous continuer à véhiculer cette image du soldat africain, à travers le terme « tirailleurs » ? Ou l’image du noir « banania, ya bon, de l’Africain hilare content de son maître » s’il n’est pas « cruel et méchant » dans les colonies en rébellion comme en Algérie et en Indochine.

Je ne dis pas qu’il faut supprimer des mots de notre langage, nier l’Histoire ou la refaire au risque de faire oublier les horreurs subies par les Noirs. Mais il faut valoriser des termes dépourvus de toute haine raciale. Si l’on en arrive à ce qu’un président sénégalais voit dans la colonisation des signes d’amitié, c’est qu’il est urgent de revoir les imaginaires que les Africains ont d’eux-même et leur apport dans la marche du monde.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, s’il y a eu Londres pour l’appel à la Résistance, il y a eu Brazzaville pour l’opérationnalité de la Résistance. N’empêche, au moment de la libération de Paris, les Alliés ont « blanchi les troupes ». C’est à dire, retenir les soldats noirs (Africains et Africains-Américains) hors de la capitale française pour laisser entrer en triomphe les seuls Blancs.

Patrimoine mémoriel vandalisé

Le retard de la décolonisation des représentations, l’attitude passive ou seulement dénonciatrice de certaines élites, la non prise en compte par nos décideurs politiques des propositions pour réincarner notre histoire, font que notre patrimoine mémoriel est chaque jour vandalisé. Comment expliquer à la postérité cette Place de l’Europe à Gorée ? Qui peut imaginer à Auschwitz une place baptisée « Allemagne » ?

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Les présidents africains doivent comprendre que ce n’est pas en se rabaissant jusqu’à nier leur dignité qu’ils gagnent l’amitié ou le respect des autres. Il n’y a pas d’amitié, s’il n’y a pas de respect.

Terminons par cette anecdote, rapportée par un ancien soldat français dans le film documentaire L’histoire oubliée : les tirailleurs sénégalais, réalisé par Moussa Touré et Alain de Sedouy. Au début de la Première Guerre, en 1914, une compagnie de soldats africains s’est retrouvée face à l’armée allemande à Furnes, en Belgique. À la fin de la bataille, la compagnie est décimée par l’artillerie surabondante de la garde prussienne. Il n’y eu que onze survivants sur les 180 soldats de l’unité.

Arrivés sur la place du village, les rescapés tombent sur les habitants qui jouaient de la musique. Alors ils se mettent à danser, pensant que la fête avait été organisée en leur honneur. Ils ignoraient qu’en réalité, c’était le jour de l’anniversaire du roi Albert 1er, pour qui la fête avait été donnée. Un siècle plus tard, il y a Macky Sall, sur le podium de l’Histoire, qui danse, pensant encore que la musique que joue l’Europe est pour lui…

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