La situation d’instabilité qui s’est installée au niveau des universités du Sénégal dans la deuxième semaine du mois de Mai, à la suite de la mort de l’étudiant Fallou SENE, interpelle tous les citoyens de ce pays notamment sur leurs propres responsabilités sur ces événements qui hélas tendent à être banals. En effet, notre silence coupable, l’absence réelle, au-delà de la clameur et des indignations dans les réseaux dits sociaux, d’une solidarité agissante contre la répression des manifestations d’étudiants affamés et désespérés, sont symptomatiques de cet état de fait. Après Balla GAYE, Bassirou Faye, les forces de l’ordre investissent encore une fois les campus et sèment la mort.
Il y a cinquante ans, le flambeau de la liberté était porté partout dans le Monde par des mouvements d’étudiants comme ici dans notre pays en Mai 68. Pour des questions liées à une baisse des allocations de bourse, les étudiants avaient manifesté dans le campus, le gouvernement de Senghor avait envoyé les troupes qui les réprimèrent férocement. Un vaste mouvement de solidarité des travailleurs se mit en place avec les syndicats de l’époque. Il s’en est suivi une grève générale, des émeutes, une répression sauvage avec des emprisonnements et finalement l’abdication des représentants syndicaux, une année blanche pour l’université, mais une capacité de lutte s’était symboliquement advenue dans l’histoire des luttes d’émancipation du peuple et des travailleurs.
La gauche marxiste naissante ne fut pas en capacité non seulement d’orienter les mouvements dans un sens qui aurait pu changer l’histoire de ce pays, mais elle fut incapable de pallier au long cours à cette défaillance coupable. L’histoire se répétant souvent, cette fois c’est en drame. Le drame de l’absence d’une perspective de fond dans les revendications des masses estudiantines, un silence coupable des intellectuels, des syndicats de travailleurs, notamment d’enseignants, de la gauche marxiste héritière de ces luttes. Ce qui n’a rien à voir avec cette époque, peut- être, mais la situation sociale désastreuse des masses populaires, des travailleurs et même des couches émergentes de la bourgeoisie nationale, semble être le lit de cette vague de contestation profonde et encore en cours. Les longues grèves dans le secteur de l’éducation et de la santé, l’essoufflement des petites et moyennes entreprises nationales au moment où les commandes publiques sont octroyées aux grandes multinationales françaises et que le secteur des services reste dominé par les multinationales étrangères, témoignent de cette conjoncture.
Ce qui avait fait la force de Mai 68, la solidarité des travailleurs, des intellectuels à tout le moins les universitaires avec les étudiants est aujourd’hui ce qui manque le plus. En effet, si le Syndicat des professeurs africains du Sénégal (SPAS) tint une AG et se joignit au mouvement syndical, le Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (SAES) jadis si militant, n’a pas complètement pris la mesure des actions à mettre en œuvre dans ces luttes.
Plus grave, les libertés ne sont pas confisquées, seulement au niveau des campus universitaires, mais la peur des gouvernants s’exprime par la répression de toute manifestation de toute contestation, ce qui traduit la confiscation des libertés d’expression – interdiction tout azimut de toute velléité de manifestation publique – à l’orée des élections de 2019 une perspective sombre au plan politique et social pour notre pays.
En effet, si les étudiants en sont arrivés là, c’est parce qu’à la base les bourses sont payées tardivement et de façon irrégulière, ils les touchent en passant la nuit à suivre d’interminables files. Il s’y ajoute la longueur des années universitaires, selon les cas. La responsabilité du gouvernement dans cette situation générale au-delà, de la violation des franchises universitaires avec l’envoi des troupes pour un rien dans les campus sociaux, procède de l’absence de transparence dans la mise en œuvre du paiement. En effet, des dettes sont dues à ECOBANK qui déclare que l’Etat lui doit une vingtaine de Milliards de Frs CFA. Par ailleurs,les étudiants inscrits dans les universités privées risquent eux aussi de se voir arpenter les rues pour exiger le paiement des dettes dues aux écoles, instituts et universités qu’ils fréquentent.
C’est dire que le non – paiement des salaires des travailleurs contractuels des hôpitaux et structures de santé qui entre autres semble être une des causes de la grève longue en cours dans le secteur, le non – respect des engagements avec les syndicats d’enseignants qui nous ont valu un sauvetage de dernière minute de l’année scolaire dans le secondaire, le retard des paiements des bourses des étudiants et la mort de Fallou SENE , annonce un futur non-paiement des salaires de tous les fonctionnaires, les retards étant récurrents déjà ; toutes choses qui relèvent des mêmes causes, incurie d’un gouvernement qui paradoxalement est engagé dans des travaux titanesques, qui mobilisent de très importantes ressources. Ils se sont endettés pour 1000 milliards qui serviront à quoi devrait on se demander ?
Cependant, la question pertinente qui doit être posée c’est : cinquante ans après 1968, au regard de la situation actuelle, quelle devrait être l’attitude des militants de la gauche, c’est-à-dire de ce qui reste de capacités de contestation et de sortie du consensus BENNO au sein du mouvement syndical et social. Le contexte social dans l’éducation, la santé, la gestion de l’AIBD, la question du TER, l’économie au service des grandes multinationales françaises, l’opacité autour des contrats sur le pétrole, la peur du monarque de cirque, républicain autoproclamé de perdre les prochaines élections (2019) sont constitutifs d’une situation erratique pouvant engendrer, une instabilité profonde dans le pays.
Cette situation délétère montre qu’il devient impérieux tout en restant au cœur des processus et des luttes au plus près des acteurs, et avec eux, de faire le nécessaire travail de mémoire et de bilan sur l’histoire de la gauche marxiste et d’inventer les voies par lesquelles, il faut porter les revendications profondes du mouvement de notre peuple.
Les revendications des étudiants manifestement vont au-delà des augmentations des taux des bourses et de la réduction des prix des tickets de restauration. Il faut faire respecter les franchises universitaires autour du principe, que les libertés académiques (liberté de pensée – exercices de la pensée) doivent être garanties autant dans le campus universitaire en mettant fin à cette abominable distinction campus académique – campus social. C’est dire que les syndicats d’enseignants, le SAES au premier chef, ont un rôle central à y jouer, s’ils veulent sortir du corporatisme ambiant. Les limites quant à une réelle solidarité, montrent que la subjectivité au sein de qui reste de l’idéal de la gauche reste faible sinon erratique. En effet, les compromissions de figures de la gauche dans les foires de BENNO et de celles qui les ont précédées ont rendu opaques toutes les formes de représentation de tout idéal d’émancipation.
Il nous appartient de déclarer que nous sommes loin de l’aplatissement ambiant des anciennes figures de la gauche, les militants révolutionnaires et marxistes que nous sommes, restent impliqués dans le travail d’analyse de nos mémoires et cherchons au travers d’un renouvellement des dispositifs de pensée, de faire encore éclore cette perspective. Il est permis de penser que la grande subjectivité entrevue à travers les luttes multiformes du moment, nous enjoint de rester sur cette voie ouverte il y a cinquante ans.
Un Militant