L’histoire a prouvé, à travers les âges, que l’eau, le pétrole et le gaz naturel ont souvent aiguisé des appétits et provoqué des conflits armés. Ces ressources que nous offre la nature ont permis à des peuples, jadis inconnus et opprimés, de sortir de l’ombre pour devenir des nations prospères et industrialisées. Une telle émergence au profit d’un peuple dépend essentiellement de ses dirigeants et de leur degré de patriotisme. Cela dépend également des visions politiques pertinentes, bien étudiées et rigoureusement appliquées, avec comme fondement la transparence et la concertation préalable avec toute les forces vives de la nation.
Dans la plupart des pays sous-développés, la culture n’a pas toujours bénéficié d’un appui significatif de la part des pouvoirs politiques. En effet, très souvent, les détenteurs du pouvoir considèrent la culture comme une activité accessoire et non prioritaire. En Afrique, la culture est souvent considérée comme une activité ludique, folklorique et sans importance. Elle est reléguée au second plan. Elle ne bénéficie guère d’un traitement de faveur ou d’un caractère vital.
Le Sénégal, sans être une exception, a été toujours perçu comme un pays de culture, un Etat sensible aux créations artistiques, littéraires et cinématographiques. Ce privilège, nous le devons en partie à la qualité de nos écrivains très connus bien avant les indépendances. Je pourrais citer Léopold Sédar Senghor, Amadou Cissé Dia, Ousmane Socé Diop, Abdoulaye Sadji, Birago Diop, etc. Des acteurs du théâtre comme Douta Seck, Maurice Sonar Senghor, Lucien Lemoine et son épouse Jacqueline Scott ont également joué leur brillante partition dans l’essor remarquable de la culture sénégalaise.
A l’aube des indépendances, d’autres talents, tels que Sembène Ousmane, Mbaye Gana Kébé, Aminata Sow Fall, Annette Mbaye d’Erneville, et tant d’autres plumes fécondes ont émergé et écrit les plus belles pages de la littérature africaine d’expression française. La nouvelle génération d’écrivains a révélé des talents indiscutables avec des thèmes nouveaux et très attrayants, basés sur les préoccupations prioritaires de notre peuple.
La musique sénégalaise, elle aussi, n’est pas en reste. En effet, avant et après notre indépendance, elle s’est toujours imposée comme une activité enracinée mais aussi ouverte aux souffles d’autres continents (Amérique Latine, Europe, Asie, Amérique, monde arabe, etc.)
Le cinéma de notre pays, faut-il le rappeler, a toujours été considéré comme le pionnier du cinéma africain avec des caméras d’or comme Sembène Ousmane, Johnson Traoré, Tidiane Aw, Mansour Sora Wade, Maguette Diop, Ben Diogoye Bèye, Delgado, Cheikh Ngaïdo Bâ, Moussa Touré, Moussa Sène Absa, récemment Alain Gomis, lauréat de l’Etalon de Yennenga, et tant d’autres. Notre peinture en tableau ou en tapisserie des Manufactures des arts décoratifs de Thiès est présente dans la quasi-totalité des grands espaces mondiaux comme l’Unesco, l’Onu, la Banque mondiale, la Fao, l’Isesco et l’Union africaine, hauts lieux de la communauté internationale où se décide le destin de nos peuples.
Ces exemples prouvent, s’il en était besoin, que notre culture a été réellement florissante avant et après les indépendances. Et ce, jusqu’à nos jours. Nous avons connu d’excellents ministres de la Culture. Certains d’entre eux ont écrit des pages impérissables dans l’histoire du patrimoine culturel de notre pays. Parmi ces autorités de grande envergure, nous pourrons citer Moustapha Kâ, Penda Mbow, Abdoulaye Elimane Kane, Makhily Gassama, Youssou Ndour et l’actuel ministre, Abdou Latif Coulibaly. Il faut reconnaitre que tous ces ministres écrivains ou artistes compositeurs n’ont pas toujours bénéficié de moyens pouvant leur permettre de dérouler leurs plans de politique culturelle.
D’autres ministres classés politiques ou simplement intellectuels comme Mbagnick Ndiaye, Safiétou Ndiaye Diop, Mamadou Diop Decroix, Modou Bousso Lèye, Awa Ndiaye et Abdoul Aziz Mbaye ont, de leur côté, marqué de leur empreinte l’itinéraire culturel de notre pays. Mais, personne ne pourra oublier l’incontournable Alioune Sène qui a marqué d’une encre indélébile la culture de notre pays.
De 1960 à 1966, le président poète Léopold Sédar Senghor a dû reporter à trois reprises le Festival mondial des arts nègres, faute de moyens adéquats. Plusieurs décennies après, le Sénégal a eu l’honneur d’organiser la première rencontre mondiale en terre africaine du Pen International en juillet 2007 et avec beaucoup de difficultés certes, mais avec succès sous le président Abdoulaye Wade.
La Biennale des arts et des lettres a vu le jour en 1990 sous l’impulsion du président Abdou Diouf avec de modestes moyens. Depuis lors, elle s’est pérennisée malgré des difficultés toujours présentes. L’édition de l’année 2018 a pu relever le défi du succès et de la mobilisation avec des moyens additionnels non négligeables et avec un comité d’organisation compétent, sous l’impulsion du ministre de la Culture, Abdou Latif Coulibaly.
L’attribution des Grands prix du président de la République pour les arts et les lettres a connu une pause de 10 ans, faute de moyens adéquats. Leur relance, par le président Macky Sall, a connu un succès incontestable avec surtout une augmentation substantielle du montant des prix attribués aux lauréats et qui sont passés de 10 à 20 millions de FCfa.
Ces rappels historiques indispensables nous permettent de revenir à l’actualité et de parler du président de la République, Macky Sall, qui vient de convoquer une large concertation nationale dans le but de recueillir les avis et suggestions de toutes les composantes de la nation sénégalaise à propos de la gestion des ressources pétrolières et gazières de notre pays.
En saluant cette heureuse initiative, le devoir m’impose aussi d’apporter ma modeste contribution à ce défi national qui interpelle notre présent mais aussi notre avenir dans le contexte de la culture, notre activité principale. La manne financière engendrée par les ressources pétrolières et gazières nous impose une réflexion sereine, sérieuse et pertinente dans la perspective d’une utilisation rationnelle et durable des fonds générés au profit des secteurs démunis et souvent négligés comme celui de la culture.
Contrairement à ce que disent les afro-pessimistes qui considèrent le pétrole comme source de malédiction, je crois fermement qu’une répartition équitable et adéquate des ressources pourrait contribuer, de manière exceptionnelle, au sursaut du secteur culturel et lui donner une dimension jamais égalée. Il s’agira alors d’instaurer un fonds spécial pour le développement de l’industrie culturelle alimenté par les ressources pétrolières et gazières.
A ce titre, je voudrais citer l’exemple de l’Iran qui a créé un fonds spécial alimenté par les ressources tirées du pétrole et qui permet de financer tous les projets culturels à travers la Fondation Farabi, domiciliée au ministère de la Culture.
Ce fonds a, par exemple, permis de développer le cinéma iranien avec une production de près de 200 films par an et la construction de la Cité du cinéma. En plus, il a été construit un décor gigantesque représentant la doublure de la ville de Téhéran reconstruite et réservée aux séries cinématographiques et télévisuelles modernes. Idem pour d’autres décors représentant les villes saintes de Médine et de la Mecque pour les besoins de tournage des films historiques à caractère religieux. Le développement de l’industrie culturelle iranienne a touché des secteurs comme l’édition littéraire avec des tirages de 10.000 à 100.000 ouvrages traduits dans les principales langues à travers le monde. La prestigieuse tapisserie iranienne et les arts plastiques ont également bénéficié de ce fonds spécial. C’est dire qu’il s’agit là d’un exemple parmi tant d’autres, mais un bel exemple dont notre pays pourrait s’inspirer pour booster son industrie culturelle.
Il est évident que les ressources pétrolières au Sénégal permettront d’alléger les charges du gouvernement pour l’organisation de grandes manifestions internationales afin de redonner à Dakar et au Sénégal leurs lustres d’antan. Les ressources issues de cette manne pétrolière pourront permettre de bâtir des complexes culturels de dernière génération dans toutes les régions au Sénégal. Des instituts supérieurs spécialisés dans la formation des acteurs de l’industrie culturelle vont pérenniser le patrimoine et la compétence des acteurs dans tous les secteurs vitaux actuellement à l’arrêt, faute également de moyens conséquents. Nous saluons chaleureusement la contribution des Fonds d’aide à l’édition, au cinéma, aux arts et à la culture urbaine, pour lesquels l’Etat a consenti des efforts remarquables appréciés par tous. Cependant, quand on sait qu’un film historique en Iran, consacré à l’imam Hossein, à coûté 07 milliards de FCfa, soit plus de trois fois le budget alloué au Fopica, on comprend alors aisément les limites de ce fonds. Cela, malgré la bonne volonté du chef de l’Etat.
Alors, on se rend compte que si les fonds issus du pétrole pourraient bénéficier d’un pourcentage global de 50 milliards de FCfa par an sur 10 ans, cela suffirait aisément à développer toute l’industrie culturelle de notre pays et assurer sa diversité. La bénédiction du pétrole sera incontestablement un facteur déterminant pour le développement du potentiel culturel de notre pays.
L’implication des acteurs culturels dans ce processus de développement est à saluer et à encourager pour que notre pays, connu de par son patrimoine culturel prestigieux, serve de torche d’espoir pour illuminer l’avenir de notre jeunesse passionnée d’art et de lettres, je devrais dire de notre admirable patrimoine culturel, symbole d’un passé glorieux, d’un présent radieux et d’un futur fait d’espérance sacrée et de défis relevés.
Alioune Badara BEYE
Ecrivain