‘’Question aux experts et inexperts : pourquoi les médias sénégalais accordent-ils tant d’espaces aux prévisions des saltigués et autres devins ? Pourquoi le Cnra ne sévit-il pas, puisque ces médias participent ainsi à une agression contre le bien-être public ?’’. Une question que nous avons lue cette semaine sur un des réseaux sociaux auxquels votre serviteur se connecte plusieurs fois par jour sans être (pensons-nous) happé par une certaine addiction. Oui, des journalistes sénégalais ont, de manière visible et indéniable, été intéressés, préoccupés, voire terrorisés par les déclarations routinières des saltigués sérères de Fatick, lors de leur ‘’xoy’’ (assemblée nocturne de prédictions) d’annonces, de présages, funestes les uns et heureux les autres. Et c’est ainsi que ces diseurs d’avenir ont prédit la mort d’un GRAND JOURNALISTE (sic). Tant et si bien qu’être salué par ce titre flatteur ou sincère de journaliste de renom fait bondir de distingués ou de médiocres de ces professionnels dont le métier est de recueillir et d’annoncer des informations sur les médias !
Manière de parler : le Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie (Cored, organe d’autorégulation des médias sénégalais) devrait ou aurait dû s’autosaisir ou être saisi ! Donner de la frousse à toute une profession (qui a une haute idée d’elle-même) mérite dénonciation pour faire un exemple contre la tentation d’accorder une considération à une échéance inéluctable (la mort d’un être humain). Si tant est que cette non-information avait une once d’intérêt, on aurait pu l’accompagner, pour en rigoler, d’un de ces genres rédactionnels adéquats (commentaire, billet, chronique) pour le traitement de ce type de nouvelle. La mort prochaine d’un journaliste est une non-information et les saltigués qui ne sont pas payés pour le savoir ne devraient tirer aucune gloire à le prédire. Tout comme un journaliste doit savoir qu’annoncer ‘’la fin prochaine’’ du gouvernement n’est pas tant que ça une information.
Il serait important, pour sa crédibilité, que la presse ne se laisse pas prendre à la fringale de communiquer sur ces saltigués pris au goût des médias et d’être la vedette de ces derniers. A l’époque où il était impensable de rapporter à des non-initiés ce qui s’est dit à un ‘’xoy’’, ces assemblées se tenaient la nuit pour qu’aucun intervenant ne fût identifiable. Malheureusement, la société sérère n’est plus celle qu’elle fut, par exemple quand, voulant prendre la parole, un savant pouvait s’entendre interdire de parler à un assistant qui lui rétorque savoir ce qu’il allait dire et qu’aucune de ses prédictions ne serait exacte. A l’époque, avant l’ouverture de la cérémonie, rien n’était autorisé qui pût éclairer un visage, enregistrer une voix, photographier une silhouette… Les saltifgués sérères, trop modernes, sont pris au jeu médiatique. Et c’est un célèbre journaliste sérère qui, dans une boutade, se navra en disant que ‘’les saltigués sérères ne voient plus rien depuis qu’ils boivent du café Touba’’. Comprenez qui pourra et n’en riez surtout pas ! Un saltigué n’a pas vocation à être surmédiatisé ; les canaux pour relayer ses prédictions étaient bien classiques, voire archaïques, mais les messages n’en parvenaient pas moins aux destinataires avec diligence et sans déchets, ni parasites.
Au micro, étalage de salaires : Il pourrait venir un jour où des journalistes, animateurs de radio et de télévision et autres personnels des médias étaleraient à la connaissance du public le montant de leur salaire et autres détails de leur paie pour valoriser leur ‘’généreux’’ et puissant employeur et à faire un pied de nez à un précédent patron mauvais payeur. On croyait que ce narcissisme bancal (y’en a-t-il, d’ailleurs, qui soit équilibré ?) était la spécialité de tel groupe de presse, mais voilà que, hier 29 juin 2018, on entendit un journaliste révéler que ‘’quand j’étais à telles radios (trois au total et nommément citées) il me fut arrivé de gagner… 1 000 F mensuels !’’ A telle autre, on témoigne grande reconnaissance au patron pratiquant des salaires inouïs ! Et ça aime à dire et répéter : ‘’Quand j’étais à telle radio, à telle autre télé et patati et patata…‘’
Il y a, dans ce pays, et presque partout ailleurs à travers le monde, une certaine pudeur autour du montant du gain exact d’un salarié. Il y a quelque élégance à ne pas le profaner, ce tabou, pour épater le public et polir l’image de l’employeur. Il est, peut-être, légitime de flétrir l’image d’un patron mauvais payeur, mais ceux qui font la roue comme des paons sur les radios, doivent à ces radios de les avoir créés de toutes pièces, de leur avoir donné une renommée et une expérience qui leur ont permis d’être découverts et recrutés. Cela peut être une leçon d’humilité, de retenue et de décence. Ce n’est pas faire de l’antisyndicalisme que de l’écrire.
J’ai admiré, admire encore et respecte le stoïcisme et la pudeur de journalistes et autres personnels de deux groupes de presse qui ne roulent pas sur l’or, mais qui abattent, au quotidien, un travail d’un professionnalisme respectable. Ils sont la preuve qu’on ne vient pas au journalisme pour s’enrichir, ni jouer de la mandoline ou encore agiter un encensoir autour d’un employeur.