En écoutant Mame Mbaye Niang (MMN) soumis au feu des questions de Pape Ngagne Ndiaye, l’animateur de l’émission Faram Facce, les Sénégalais avaient du mal à le reconnaître tant l’homme qu’ils ont connu, chambreur, cogneur, pourfendeur, insulteur, diffamateur, cracheur d’insanités et d’obscénités venimeuses paraissait troublé, anesthésié voire tétanisé par une angoisse profonde qui l’inhibait devant la coriacité du journaliste. Le scandale du Programme des domaines agricoles communautaires du Sénégal (Prodac) est passé par là.
Pâle, les yeux rougis, la tête baissée, les épaules voûtées, MMN, le pseudo-démissionnaire ministre du Tourisme s’échinait à masquer sa souffrance mais n’y parvenait pas. Et pendant plus d’une heure, c’est un pitoyable MMN confus, drapé dans une vertu partie en lambeaux, qui s’emberlificotait dans ses propres contradictions et réponses mensongères. Visiblement le journaliste qui ne maitrisait pas bien ce dossier Prodac cédait, par intermittences, couardement devant les réponses truffées de contrevérités de MMN alors qu’il lui suffisait de camper inflexiblement sur ses positions pour terrasser le ministre déjà ébranlé.
Pour ce qui est de sa démission, le ministre du Tourisme affirme l’avoir déposée, le 10 juin 2018, jour d’inactivité à la maison de Boun Dionne après avoir fait petite une promenade dominicale à la Primature. Mais ce qui est cocasse dans ce tragi-comédie assurée par l’histrion de ministre, c’est quand lui, l’autorité contractante du marché du Prodac, affirme toute honte bue qu’il reste dans le gouvernement grâce à l’intercession du président de la République qui lui a renouvelé sa confiance. Et par conséquent, s’estimant être blanchi de ce plus grand scandale du magistère Sall, il est revenu sur sa décision de rendre le tablier. Puisque ce dossier du Prodac produit par l’inspection générale des finances (IGF) a certainement échappé au coude du blanchisseur du palais, il ne restait à ce dernier qu’à se substituer au Juge d’instruction pour délivrer une ordonnance de non-lieu à son ministre factotum. C’est le triomphe de la République vicieuse et nébuleuse.
Dans ce scandale du Prodac, MMN soutient mordicus que sa responsabilité est très limitée voire nulle parce que n’assurant que la tutelle technique. Une tutelle technique dont il ne parvient pas définir l’étendue et les limites dans l’affaire Prodac. Et c’est comme si assurer la tutelle technique l’absolvait du carnage financier du Prodac. En réalité, en assurant cette tutelle, l’ex-ministre de la Jeunesse disposait d’un ensemble des moyens de contrôle réglementaires sur le Prodac en vue de le maintenir dans le respect de la loi et la transparence et faire prévaloir l’intérêt public supérieur. Or dans cette affaire de délinquants et d’escrocs, seuls des intérêts crypto-personnels ou crypto-groupusculaires ont été privilégiés.
L’argument soutenu par MMN pour accorder le marché à Green 2000 ne résiste pas à la vérité des faits. Vouloir accorder à l’entreprise israélienne un marché de 29 milliards par entente directe en le fondant sur la détention d’un droit d’exclusivité et sur l’une urgence de la réalisation des Dac alors que la Direction centrale des marchés publics (DCMP) avait émis un avis négatif, c’est déjà tremper dans des manœuvres frauduleuses. Selon l’article 76 du code des marchés publics, il ne peut être passé de marchés par entente directe qu’après l’autorisation de la DCMP dans le cas de marchés destinés à répondre à des besoins qui, pour des raisons tenant à la détention d’un droit d’exclusivité, ne peuvent être satisfaits que par un cocontractant déterminé. Or dans ce marché puisque jamais l’entreprise israélienne n’est parvenue à démontrer, malgré son douteux brevet d’exclusivité, qu’elle se situait bien en situation monopolistique.
Par conséquent, rien n’autorisait l’autorité contractante qu’était l’alors ministre de la Jeunesse et de l’Emploi à passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalable sous le fallacieux prétexte que ce marché ne pouvait être attribué qu’à Green 2000 pour des raisons tenant à la détention de droits d’exclusivité.
L’ARMP valide la forfaiture de MMN
Malgré tous les obstacles dirimants soulevés par la DCMP, l’Agence de régulation des marchés publics (ARMP), dépendant du Premier ministre qui a approuvé le marché, est parvenue par on ne sait quel tropisme à délivrer un quitus qui agréait le gré à gré de 29 600 536 000 francs CFA. La raison avancée : permettre à Green 2000, détenteur d’un droit d’exclusivité, de livrer dans les meilleurs délais les Dac de Sefa (Sédhiou), Keur Samba Kane (Bambey), Keur Momar Sarr (Louga) et Kédougou (Itato).
Et voilà que pour permettre à l’entreprise israélienne d’empocher ses premières tranches de paiement a émis un ordre de service de démarrage des travaux le 24 mars 2016 alors que le contrat n’été notifié que le 25 juillet. Ce qui constitue un vice de procédure puisqu’il y a un écart de cinq mois entre l’ordre de service de démarrage et la notification du contrat à Green 2000. Et voilà, dès le 30 mai 2016, Locafrique, sur la base l’ordre de service de démarrage, commençait à payer à Green 2000 alors qu’elle n’avait encore satisfait aucune de ses obligations contractuelles.
Ainsi avant l’enregistrement du contrat assujetti au paiement des frais d’enregistrement et de timbre (250.284.000 francs CFA) et le dépôt d’une caution d’avance de démarrage, l’entreprise israélienne a empoché une somme de 5.016.383.928 francs CFA au titre de l’avance de démarrage. Même la redevance de régulation d’un montant de 75.255.600 francs CFA dont l’entreprise de Daniel Pinhassi devait s’acquitter n’a jamais été payée à l’ARMP. MMN qui revendique la tutelle technique du Prodac, Jean Pierre Senghor et Mamina Daffé (ancien et nouveau coordonnateurs nationaux du Prodac) n’ont jamais privilégié la sauvegarde des deniers de l’Etat en signant respectivement un ordre de service de démarrage des travaux avant notification du contrat et en faisant pression sur Locafrique pour libérer les premières de paiement en faveur de Green 2000. De telles pratiques peu orthodoxes, peu catholiques puent la corruption et la prise d’intérêt illégale. Ça exhale les miasmes des pots-de-vin et les bakchichs.
Le Prodac : une affaire de copains et de coquins
L’intérêt personnel ou groupusculaire est d’autant plus privilégié dans cette nébuleuse du Prodac que le sieur Ibrahima Cissé, spécialisé dans le commerce de détail hors magasin, a bénéficié du marché de transit et du transport des équipements de Green 2000 grâce à sa proximité avec MMN. Son autre frère Bafodé Cissé, directeur des opérations du Prodac, est aussi ami du ministre du Tourisme et de Mamina Daffé successeur de Jean-Pierre Senghor à la coordination nationale du Prodac. Ibrahima Cissé, qui n’a aucune expertise dans le domaine du transit, a sous-traité le marché en procédant à beaucoup de surfacturations sur les droits de douane, les prestations et la TVA. Usant de faux et usage de faux et escroquerie sur les deniers publics, l’ami de MMN s’est retrouvé indûment avec un demi-milliard dans ses poches au point que l’IGF a demandé sa traduction devant une juridiction compétente. Même dans le marché de la communication du Prodac, il y a l’implication de MMN comme l’a indiqué la seule bénéficiaire.
Nonobstant les quatre lettres d’alerte de Locafrique adressées à MMN entre octobre 2016 et avril 2017 dans le sens de mettre en lumière les manquements de Green 2000 à ses obligations contractuelles, jamais le ministre signataire du contrat au nom de l’Etat n’a réagi efficacement. Au lieu de stopper l’hémorragie financière au moment opportun, il attend que la victime soit exsangue pour demander l’envoi d’un médecin qui puisse diagnostiquer le mal. Et pourtant cet audit assuré par l’IGF est remis en cause par son commanditaire parce qu’il est le premier responsable de ce scandale financier pour avoir permis à Green d’empocher indûment de l’argent et d’avoir mis ses amis dans la gestion du Prodac. Aujourd’hui le ministre du Tourisme, paria emblématique du gouvernement, cherche secours au niveau de l’Inspection générale d’Etat (IGE). Normal puisque ladite institution de contrôle, sous la coupe et le coude du chef de l’Etat, ne poursuit que les adversaires politiques du Président candidat.
Aujourd’hui ce qui provoque l’indignation des Sénégalais, c’est la lâcheté de MMN à assumer ses responsabilités dans cette ingénierie de prédation financière. Les Sénégalais sont-ils pour autant convaincus par cette auto-blanchiment de l’ex-patron du Prodac qui échappe pour le moment à toute poursuite judiciaire ? L’affaire est-elle terminée ? Que nenni puisque l’opinion publique, indignée par l’inertie effarante du Procureur de la République qui semble être déjà en vacances judiciaires, s’intéresse de plus en plus à cette nébuleuse du Prodac. Et au plan politique, les jeunes de Rewmi ont déjà tiré les premières salves psychologiquement dévastatrices sur Mbaye Prodac.