Dans mon Alerte risques majeurs n° 9 intitulé « la résilience précède l’émergence », j’ai délibérément mis l’accent sur la responsabilité des Pouvoirs publics, c’est-à-dire la résilience qui incombe à l’Etat. Mais, suite à l’accident domestique survenu à Kédougou avec 5 décès, quelques semaines après celui du village de Fass Barigo, j’ai eu le regret de n’avoir pas plus insisté sur la résilience communautaire. Mon regret est d‘autant plus grand, qu’au cours d’un échange avec des amis hauts cadres sur l’urgence de doter les familles de plans de préparation et de réponse (Plan familial de mise en sûreté/PFMS) pour éviter le renouvellement de ce genre de drames, ils ont répliqué que « la priorité serait ailleurs. « Quand les gens vivotent, ils n’ont pas le temps de penser à la prévention ».
Cette posture est révélatrice de la faible résilience communautaire, source d’accidents domestiques de plus en plus graves. Contrairement à cette opinion, la pauvreté s’accommode difficilement de la gestion de crise. N’est-il pas plus aisé d’installer un extincteur que de devoir reconstruire une maison après sa destruction par les flammes ? Ce qui ne peut se concevoir sans une révolution préalable des mentalités.
Quand une société évolue, les populations doivent adopter leur mode de vie à cette évolution. Aujourd’hui, l’électricité et le gaz font partie du quotidien des populations urbaines. Ils génèrent des incendies plus que par le passé. Face à ce risque, l’unique alternative est de doter les domiciles d’extincteurs et de former les familles à l’organisation des premiers secours. L’installation d’alarme ne devrait plus être perçue comme un luxe, mais un élément important de prévention des risques majeurs d’incendie.
Il faut mettre un terme à la coexistence d’ateliers de menuiseries métalliques et de dépôts de bombonnes de gaz qui peuvent prendre feu à la moindre étincelle. Il en est de même de la tendance au « tout sécuritaire » qui consiste à fermer avec des grilles tous les accès des domiciles. L’existence de plans familiaux d’organisation des secours permettra la matérialisation des issues de secours pour faciliter l’évacuation de personnes en cas de nécessité.
Quel que soit la rapidité de l’intervention des sapeurs-pompiers, elle ne peut remplacer les premiers secours, surtout quand ils découlent d’un plan suffisamment éprouvé. Il ne faut pas se voiler la face à Dakar et pour diverses raisons, les soldats du feu auront de plus en plus du mal à intervenir dans des délais courts sur les lieux des sinistres :
• une circulation bouchonnée où les véhicules de secours ne bénéficient pas de la priorité de circuler ;
• des voix routières mal conçues (absence de bande d’arrêt d’urgence par exemple) ;
• l’imprécision dans l’adressage urbain qui rend difficile la localisation des sites ;
• l’occupation anarchique des voies publiques inadaptées au déplacement d’engins lourds ;
• l’obstruction et l’inexistence de bouches d’incendies de proximité etc.
La densification du parc automobile à Dakar a transformé certains quartiers en parkings géants où règne l’anarchie. Les propriétaires se garent sans laisser des espaces nécessaires pour manœuvrer et sortir en cas d’urgence ou de passage des moyens de secours. Il s’y ajoute que la quantité de carburant dans les réservoirs des véhicules stationnés dans ces ruelles représente des centaines de litres d’essence. Il est évident que la survenue d’un incendie dans de telles circonstances aurait des conséquences dramatiques.
Nombreux sont les endroits de la ville de Dakar où des stations d’essence partagent le même mur de clôture avec des maisons ou donnent sur des balcons (Liberté VI Extension, Sicap Foire, etc.)
Ce tableau de vulnérabilité ne serait pas exhaustif sans l’évocation des installations électriques défectueuses pour ne pas dire des branchements clandestins. C’est le lieu de relever également les transformations qui ne respectent pas les normes architecturales requises et les matériaux de construction. Dans certains quartiers de Dakar, au moins 10 personnes, souvent des travailleurs domestiques sans attache à Dakar (femmes de maison et charretiers), partagent la même chambre dans des conditions de précarité totale : murs fissurés, dalles colmatés, humidité permanente, sans eau ni électricité. En cette période d’hivernage, une infiltration est vite arrivée suivie d’un effondrement avec la perte potentielle de plusieurs vies humaines. Ce phénomène de surpeuplement est très visible à Grand Yoff, Hlm montagne, Arafat, grand Dakar, etc. La seule réponse à ces différentes situations de risques majeurs domestiques est la résilience communautaire qui, hélas, fait cruellement défaut au Sénégal !
En effet, la prise de conscience de ces risques majeurs domestiques est de la responsabilité première de chaque famille. Elle est individuelle avant d’être collective. Au demeurant, cette résilience communautaire est fortement tributaire de la disponibilité de l’information préventive qui relève principalement de la responsabilité de l’Etat. Et tout cela procède d’une culture qui se construit dans la durée.
Ousmane SECK
Formateur Rme
Membre de l’Institut français des formateurs risques majeurs
et protection de l’environnement (Ifforme),
Président de l’Association urgence et développement (Aud)