Probablement ébranlé par la marée humaine du 13 juillet, le directeur de cabinet du président de la République a tenu, à Thiadiaye, des propos dont la tonalité heurte les esprits sains. Selon lui, «l’opposition utilise le ‘thiat’ pour contrecarrer les actions du président». Pour les non wolofophones, le ‘thiat’ désigne une malédiction ou un mauvais sort accompagnant les paroles d’un adversaire et capable de provoquer, comme la pointe empoisonnée d’une flèche, une brutale paralysie, par exemple celle des 715 chantiers que le pouvoir marron est incapable de faire aboutir.
Prenant ses aises dans cet espace conceptuel peu banal, l’avocat a également accusé l’opposition de s’adonner au ‘ndiabar’, autrement dit des pratiques de sorcellerie de nature, si on comprend bien, à occasionner des pénuries d’eau, d’essence, de médicaments… et de victoires de l’équipe nationale à la Coupe du monde de football. En deux mots, M. Youm attribue à l’opposition la responsabilité des échecs répétitifs de son président, et glisse par effraction un argumentaire non conventionnel dans la discussion politique nationale. Il est permis de rire de ce prétexte de la magie, qui témoigne cependant que le clan au pouvoir a commencé à perdre une compréhension lucide des événements politiques et sociaux. Une chute mentale annonciatrice d’une chute électorale.
La magie, on le sait, est l’ultime recours de ‘Amoul-Yakar’, l’homme sans espérance. Mais, souvent, elle n’est que prestidigitation, habileté à escamoter une réalité et à fabriquer de fausses apparences. Sous cet angle, le directeur de cabinet a suivi la trace de son président qui, quelques jours plus tôt, à Diamniadio, a accusé l’opposition de «confondre politique et mathématique». Cette attaque se voulait une riposte cinglante aux démonstrations de l’opposition, qui a démasqué l’utilisation abusive des résultats de la révision des comptes nationaux pour propager l’illusion d’un grand succès économique concrétisé par un taux de croissance de l’ordre de 6 à 7 %.
Depuis que l’opposition a éventé le stratagème consistant à utiliser une distorsion statistique pour leurrer l’opinion, l’agitation s’est emparée d’un pouvoir désormais préoccupé par la recherche de prétextes plus que par la production de résultats concrets. Ce qu’on attendait de la cérémonie de Diamniadio, c’est la publication des chiffres de croissance base 1999 et base 2014, de 2000 à aujourd’hui, pour qu’on puisse comparer les pommes avec des pommes et non des pommes de terre. Cela permettrait de comprendre définitivement pourquoi les Sénégalais se plaignent d’une forte progression de la pauvreté depuis 2012.
En attendant cet improbable exercice de vérité, il y a lieu d’espérer qu’un mathématicien expliquera au président que, comme la statistique ou la musique, la politique est une application de la science mathématique, tant qu’elle demeure fondée sur une logique rationnelle, c’est-à-dire tant qu’elle n’est pas défigurée par les délires d’un avocat marron.
Mamadou Bamba Ndiaye
Ancien député, secrétaire général du MPS/Selal