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La Justice à L’épreuve Des Contingences Politiques : Peut-on Réellement Parler D`un Pouvoir Judiciaire Au Sénégal

La Justice à L’épreuve Des Contingences Politiques : Peut-on Réellement Parler D`un Pouvoir Judiciaire Au Sénégal

S’il y a un constat qui ne souffre d’aucune contestation, c’est que le fonctionnement et la crédibilité de notre justice, mis à rude épreuve, sont de plus en plus, sous le feu des projecteurs. Entre reproche de partialité et soumission à l’Exécutif, l’idée d’une justice à double vitesse semble, à tort ou à raison, s’ancrer, davantage, dans l’esprit de bon nombre de nos concitoyens.

Ici et là, les critiques fusent de partout. La relation de confiance entre l’institution judiciaire et les justiciables semble se détériorer de jour en jour. Sous la pression d’un Exécutif aux prérogatives exorbitantes, dame Justice est souvent obligée de ployer sous le poids d’exigences politiques, avançant la tête basse, titubant d’embarras. L’éthique levain d’une justice honorable, truelle pour bâtir un Etat de droit, est bien souvent éjectée du temple de Thémis, donnant l’impression d’une justice qui boude le droit, en servant davantage la politique. L’indépendance de la justice devient ainsi un concept déclamatoire, un axiome relevant davantage du sophisme que de la raison. L’idéal d’aequitas, représenté par la balance de la justice, cette justice de l’autre versant, celle qui essuie les larmes des orphelins, semble ainsi se cantonner à une simple fiction juridique.

Les griefs contre dame Justice semblent d’autant plus fondés qu’ils émanent de ses propres enfants. On se rappelle encore de la récente démission du téméraire juge Dème, du Conseil Supérieur de la Magistrature, et plus tard, de la magistrature tout court, pour, disait-il, dénoncer l’instrumentalisation de l’institution judiciaire par l’Exécutif. « Je démissionne d’une magistrature qui a démissionné », fustigeait-il.

Lui emboîtant le pas, Souleymane Téliko, président de l’Union des magistrats du Sénégal, s’exprimait en ces termes: «Personne ne peut contester, aujourd’hui, le manque d’indépendance de la justice. Dans toutes les grandes démocraties, c’est le Conseil supérieur de la magistrature qui garantit la transparence de la justice. Tout le monde sait que quand l’Exécutif a la mainmise sur la carrière d’un magistrat, indirectement, il a une mainmise sur le fonctionnement de la justice. La justice ne peut pas être rendue dans un climat d’insécurité et d’instabilité.»

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De la nécessité de passer de l’indépendance formelle à l’indépendance réelle

Tel un phoenix qui renaît constamment de ses cendres, la question de l’indépendance de la magistrature est souvent remise au goût du jour, au gré de l’actualité politico-judiciaire. De l’affaire Karim WADE à celle Khalifa SALL, en passant par les dossiers sous le coude lourd du président de la République, l’indépendance de la Justice a été toujours le principal point d’achoppement de son impartialité.

Pourtant, la Constitution sénégalaise de 1963 qui est un héritage de la Constitution française de la Vème République, pose le principe de l’indépendance de la justice. Mieux encore, notre pays a dépassé la France en la matière dans la mesure où, là où la France parle d’autorité judiciaire, le constituant sénégalais opte pour le pouvoir judiciaire. Les dispositions de l’article 80 de la Constitution du 17 mars 1963 stipulent sans ambages : « le pouvoir judiciaire, indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire est exercé par la Cour suprême et les cours et tribunaux. Les juges ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité de la loi ; Les magistrats du siège sont inamovibles. Ils sont nommés après avis du Conseil supérieur de la magistrature ».

Nonobstant cette disposition, très claire, notre pouvoir judiciaire semble patauger dans la fange de son rapport féodal avec l’hyper puissant Exécutif. Certes, la responsabilité individuelle des magistrats n’est pas à écarter, car l’indépendance est avant tout une question d’homme, mais il faut mettre l’homme qui veut être indépendant dans un environnement adéquat, pour pasticher l’ancien président de l’Union des Magistrats du Sénégal (UMS), M. Aliou Niane.

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De l’inefficacité des garanties d’indépendance

L’indépendance de la magistrature est garantie, du moins formellement, par deux verroux. Il s’agit du principe de l’inamovibilité et l’existence d’un Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Le principe de l’inamovibilité est, pour les juges, une des principales garanties de leur indépendance à l’égard des pouvoirs politiques. C’est une prérogative de certains magistrats, en vertu de laquelle ils ne peuvent être déplacés, rétrogradés ou suspendus de leurs fonctions sans la mise en œuvre de procédures protectrices exorbitantes du droit commun disciplinaire.

Or actuellement, pour contourner la règle de l’inamovibilité, l’autorité politique use et abuse du procédé de l’intérim en violant les dispositions de la Constitution et de la loi. A en croire l’ancien président de l’Union des magistrats du Sénégal (UMS), M. Aliou Niane, aujourd’hui, près de la moitié des magistrats sont à des postes où ils ne sont pas titulaires. Ce qui les fragilise, car les mettant dans une position où ils ne sauraient bénéficier de la protection du principe de l’inamovibilité. De la même façon, l’autorité politique utilise, à volonté, les nécessités de service pour passer outre l’inamovibilité des magistrats du siège.

L’autre gage formel de l’indépendance de la magistrature est théoriquement constitué par l’existence d’un Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Cet organe chargé principalement de la gestion de la carrière des magistrats a les mains liées, en ce sens que sa présidence n’échappe toujours pas au pouvoir exécutif, en l’occurrence le président de la République. Sa composition constitue aujourd’hui, son principal facteur de blocage et l’empêche de jouer valablement son rôle. Il serait alors souhaitable de tendre vers le modèle français. Dans ce pays où il n’existe même pas de pouvoir judiciaire, mais plutôt une autorité judiciaire, le CSM, à la faveur de réforme sur la modernisation des institutions de 2008, n’est plus présidé par le Président de la République.

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Quid de la rupture du cordon ombilical liant le parquet à l’Exécutif ?

L’article 7 du statut de la magistrature dispose : «Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice… Ils peuvent être affectés sans avancement par l’autorité de nomination d’une juridiction à une autre s’ils en font la demande ou d’office, dans l’intérêt du service, après avis du Conseil supérieur de la Magistrature». Comme pour se faire bonne conscience, l’article 7 précité précise «qu’à l’audience, la parole est libre » consacrant le vieil adage «la parole est libre, la plume serve».

Malgré cette liberté théorique de la parole, il n`en demeure pas moins que le cordon ombilical liant le parquet à l’Exécutif jette le premier dans le rouleau compresseur du second. Il est alors nécessaire que le parquet soit indépendant du pouvoir exécutif, à l’instar des magistrats du siège. Une bonne administration de la justice l’exige, une véritable séparation des pouvoirs le commande. Le combat est loin d’être gagné et l’UMS devra être en première ligne.

 

Abdoulaye FALL

Doctorant en droit privé à l`UCAD

Abdoulaye91@hotmail.fr

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