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La Transhumance Au Pays De Thierno Souleymane Baal

La Transhumance Au Pays De Thierno Souleymane Baal

Aujourd’hui, au Sénégal (dans le pays de Thierno Souleymane Baal) la politique permet d’être très riche mais aussi d’enrichir sa famille, ses cousins et ses amis. Dans les grandes démocraties, les hommes politiques commencent à s’enrichir quand ils quittent le pouvoir, ils gagnent de l’argent en écrivant des livres, en faisant des conférences et en travaillant dans les organisations internationales. Dans les petites démocraties comme le Sénégal, ils quittent le pouvoir avec des milliards en laissant le peuple dans le dénuement total.

C’est cette ruée des politiciens vers l’argent qui explique la transhumance motivée par l’intérêt personnel, le manque d’éthique et de principe en politique. Le plus grave est que ce phénomène politique est cautionné et motivé par nos dirigeants actuels. Le président Macky Sall dans l’émission « Perspective 2012 » de Walf TV avant le démarrage de la campagne électorale disait à propos de la transhumance : « Il faut mettre de l’éthique dans tout cela, il faut que les gens reviennent aux valeurs ». À Kaffrine lors de la conférence de presse, après le conseil des ministres décentralisé de Kaolack, il disait à propos de la transhumance : « C’est un jeu tout à fait normal en politique, il ne faut pas dramatiser ».

Le président Macky Sall et son régime doivent savoir que la démocratie ne consiste pas seulement en l’organisation d’élections libres et régulières. Elle est avant tout une question d’éthique et de valeurs. Les tournées « économiques » sont des occasions pour réveiller les démons de la transhumance. À chaque fois que le président visite une région, il en profite pour effectuer des opérations de débauchage de responsables et élus politiques. Une pratique longtemps condamnée par les opposants de Wade, dont le président Macky Sall, avant d’arriver au pouvoir pour ensuite le reconduire. Cette pratique est partie pour demeurer puisque le nouveau régime n’entend pas y mettre fin, au grand dam de l’éthique politique.

Cautionner la transhumance, c’est trahir le choix des Sénégalais qui avaient décidé lors d’élections de sanctionner une gestion, un personnel politique en les renvoyant du pouvoir. La logique démocratique voudrait que ce personnel sanctionné reste dans l’opposition et joue pleinement son rôle de contre-pouvoir pour la bonne marche du pays. Mais ne voyant que leur propre intérêt, sans vertu, ni éthique, les hommes politiques changent d’un camp à l’autre en détruisant les mœurs politiques sénégalaises.

Cette pratique politique a un caractère alimentaire mais sert aussi de parapluie pour éviter la prison après une mauvaise gestion des deniers publics. La conservation du pouvoir doit passer par la satisfaction des doléances des Sénégalais et non par l’utilisation de méthodes malsaines (manipulation des audits de la Cour des comptes et de l’inspection générale d’État, corruption, etc.. ).

Aujourd’hui au Sénégal, on a réduit la dose d’éthique exigée dans l’action politique en remplaçant l’objectif de bien gouverner par des méthodes malsaines de conservation du pouvoir, comme la gouvernance communautaire.

Le président Macky Sall est dans la gouvernance communautaire. Les communautés ( de partisans, religieuse ou ethnique) se suivent au palais et les audiences se ressemblent par le discours et par les promesses. Chaque communauté est appelée au palais pour être servie par le prince. Les communautés se sucrent (financements, aides) pendant que la grosse communauté incarnée par le peuple et foudroyée par les dures conditions de vie attend encore et encore des lendemains meilleurs. Si le président devait rencontrer toutes les communautés sénégalaises, il n’aurait pas le temps de travailler. Les communautés se sucrent au palais pendant que la grosse communauté souffre des coupures d’électricité et d’eau, pendant que l’éducation et la santé broient le noir, pendant qu’à Kolda, à Kédougou ou à Matam les femmes meurent en donnant la vie.

Les audiences communautaires doivent cesser au palais et l’autorité politique doit apprendre à s’occuper de la seule communauté qui en veut la peine, c’est-à-dire le peuple. La gouvernance communautaire a des soubassements clientélistes et partisans et est dangereuse car elle peut créer de la jalousie entre les communautés. La communauté sénégalaise est une et indivisible.

L’homme politique pense que la démocratie est un jeu dont la seule règle est la conservation du pouvoir par des méthodes clientélistes comme le partage des postes entre partis politiques mais aussi des richesses entre communautés (religieuse, ethnique, culturelle, etc.). Ainsi dans l’incapacité notoire de s’occuper des affaires du peuple, on s’occupe de ses démembrements.

Nos hommes politiques ont une certaine conception du pouvoir, pour eux l’enjeu principal n’est que le contrôle de la distribution des richesses comme les fonds politiques. Aujourd’hui notre élite politique est loin de la gouvernance républicaine. Nos hommes politiques adorent le confort du pouvoir et ne jurent que par ça. À la fin des élections les partis perdants viennent retrouver le pouvoir pour soi-disant participer à la construction du pays, créant ainsi des coalitions contre nature où les acteurs ne sont attirés que par le confort du pouvoir.

Dans les grandes démocraties que cela soit en Europe (gauche-droite) ou en Amérique (démocrates-républicains), ceux qui ont gagné exercent le pouvoir et ceux qui ont perdu s’opposent (contre-pouvoir). La démocratie a deux poumons, le pouvoir et l’opposition et les élections en sont la respiration. Si on veut que la démocratie respire dans un pays, il faut que ceux qui ont gagné exercent le pouvoir et ceux qui ont perdu s’opposent. Ce qui se passe dans nos pays ne participe guère à la bonne marche des affaires publiques.

La raison d’être de la société civile ou de la presse est de dénoncer toutes ces entraves à la bonne gouvernance institutionnelle. Mais aujourd’hui cette société civile et certains journalistes qui devaient se mettre au service de la République et constituer un contre-pouvoir ont changé de visage. Maintenant certains journalistes et autres acteurs de la société civile après avoir combattu en dehors du pouvoir ont décidé de le rejoindre. Ils ont pris des postes et s’impliquent dans la gestion des affaires publiques. Avec l’arrivée du président Wade au pouvoir ce phénomène était moindre mais c’est avec l’arrivée du président Macky Sall qu’il s’est amplifié. Mme Penda Mbow disait dans l’hebdomadaire Nouvel Horizon numéro 898 de janvier 2014 : « Être patriote, c’est aussi instaurer les valeurs portées par la société civile au cœur de l’exercice du pouvoir. » Voyons quelles sont les valeurs portées par la société civile. Nous avons l’indépendance, l’autonomie, l’action axée sur l’esprit citoyen, la lutte contre la mal gouvernance dans toutes ses formes et surtout une démarche non partisane. Je me demande si ces acteurs de la société civile qui ont rejoint le pouvoir sont en train d’instaurer, comme le dit Mme Penda Mbow, ces valeurs portées par la société civile au cœur du pouvoir, je ne le pense pas. Aujourd’hui, tous ces acteurs de la société civile et de la presse ont renoncé à leurs convictions et vivent dans le confort du pouvoir.

Ce phénomène s’explique par le fait que nos institutions ne sont pas fortes. Au Sénégal, l’État est au service d’un homme ou d’un parti politique. Les gens sont aux fonctions publiques pour servir un homme ou un parti et non un État. Ceci fait que quand des personnalités de la société civile sont appelées aux affaires pour servir l’État, elles répondent facilement aux sirènes du parti au pouvoir car elles se rendent compte que la seule réalité c’est le parti et non l’État.

Nos hommes politiques ont fragilisé l’État, ils ont fragilisé nos institutions pour mieux les instrumentaliser. Au Sénégal l’État est tellement fragilisé au point que les citoyens le désavouent. Aujourd’hui, l’État est assimilé au parti politique et les citoyens le font reculer. Après avoir autorisé la construction d’un mur sur la corniche pour l’ambassade de Turquie et envoyé des bombes lacrymogènes aux manifestants, l’État avait fini par reculer. Après avoir félicité en conseil des ministres, les ministres de l’Intérieur et de l’enseignement supérieur pour la répression à l’université, l’État avait capitulé devant la pression des étudiants. Après avoir affirmé dans l’émission « La table de la presse » que la manifestation du PDS n’aura pas lieu, l’État est revenu sur sa décision. Les citoyens confondent le parti à l’État, le font capituler et les étudiants n’hésitent pas à caillasser le cortège du président car ils ne voient que la couleur marron-beige autour et non les valeurs de la République, ce qui dévalorise l’État. Nous devons protéger l’État du parti politique et lui donner tout le respect qu’il mérite. Malheureusement, ceux qui sont censés défendre l’État (société civile et journalistes) rejoignent le parti au pouvoir dans cet exercice de déconstruction.

Les hommes politiques abusent souvent du pouvoir une fois qu’ils ont été élus. Ils transforment souvent leur parti en un instrument de pouvoir et disent souvent : « Nous avons gagné les élections » ou « C’est nous qui avons été élus » pour légitimer leurs décisions. Barack Obama, en commentant les événements en Égypte lors de sa visite en Tanzanie en début juillet 2013, disait que la démocratie ne se limite pas aux élections, il s’agit aussi de faire en sorte que les voix du peuple égyptien soient entendues et portées par leur gouvernement, y compris celles des nombreux Égyptiens qui manifestent à travers le pays. Il disait encore que même si Morsi a été élu démocratiquement, il faut faire plus pour créer les conditions dans lesquelles chacun a le sentiment que sa voix a été entendue. En quelque sorte la démocratie n’est pas la loi de la majorité à l’élection mais la loi du peuple qu’on dirige. Le peuple peut toujours se faire entendre s’il sent que le pouvoir qu’il avait confié à l’homme politique est détourné au profit de son clan (exemples du Burkina Faso, de la Tunisie, de l’Égypte).

La cité doit être gouvernée de façon horizontale, tout le monde sur la même ligne en matière d’opportunité et seule la compétence doit prévaloir. Quand tout le monde est sur la même ligne, si chacun fait un pas, c’est la cité tout entière qui avance. Une ville ou un pays ne pourra se développer qu’avec ce modèle (vertu, crédibilité et redevabilité).

Dieu a créé la nature et y a installé des êtres vivants (hommes et animaux). Mais Dieu a choisi l’homme et l’a doté de la faculté de réfléchir. Cette faculté de réfléchir a permis à l’homme d’être le maître dans l’univers, les difficultés de subsistance l’ont contraint à être ingénieux et à triompher de la nature et des animaux. Au début de notre ère, l’homme s’est directement servi de la nature pour régler ses besoins (pêche, chasse et cueillette). Après, il a commencé à s’organiser et à devenir producteur. Les premières sociétés s’étaient mises en place sur le long de la vallée du Nil (au Néolithique), les familles se sont constituées et les hommes se sont rapprochés et se sont réunis. Ils utilisaient le troc pour vivre et pouvaient jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant. Des millénaires et des siècles passèrent et aujourd’hui un nouveau « dieu » est apparu dans la société : l’argent. L’argent s’obtenait par l’effort, par l’épargne, disons par le travail mais aujourd’hui il renvoie à lui-même.

En effet, depuis plus d’une décennie, une certaine pratique de la politique s’est accentuée au Sénégal, à savoir que la carrière politique n’est plus définie en termes de vocation mais en termes de profit, en termes d’argent. Le militantisme a cédé la place à l’investissement et beaucoup de nos hommes politiques courent après la fortune et non après la gloire. La vertu qui renvoie à l’intégrité requise de toute personne dépositaire d’un mandat publique ne fait pas parti de leur vocabulaire. Ils viennent pour s’enrichir et le font sur le dos du contribuable. Mohamed Mahathir, le bâtisseur de la Malaisie moderne qui est aujourd’hui l’un des pays les plus prospères d’Asie disait : « Le leadership, c’est la capacité d’un homme ou d’un groupe à rassembler les énergies du plus grand nombre pour les dresser vers un objectif unique d’amélioration du bien-être des citoyens. Le leader doit penser que les fruits de son action serviront à tout le monde. » Mandela disait que le succès n’aura pas de limites dès lors que l’on ne se préoccupera pas de savoir à qui il profitera.

Dans un entretien au journal américain Foreign Affairs en fin juin 2013, avant la visite du président Obama, le président Macky Sall répondant à une question d’un des journalistes sur l’origine de son patrimoine disait qu’ils (hommes politiques) avaient bénéficié de privilèges relatifs à leurs positions. Le président Macky Sall disait que c’est grâce à leur position au sein du pouvoir qu’ils (hommes politiques) sont devenus très riches.

Ainsi, au Sénégal la position c’est l’explication de la fortune des hommes occupant des fonctions publiques. La position au sein de l’État (une fonction publique) ne doit pas être une station pour se servir, une station pour amasser une fortune. Dans un État, la position donne toujours des privilèges et profits. Mais au Sénégal, ce qui est grave c’est le profit abusif que les gens tirent de leur position dans l’État (détournement, trafic d’influence ou corruption passive), un profit abusif qui se fait au détriment du contribuable, de la démocratie et de l’éthique. Souvent la position fait courir nos hommes politiques et souvent aussi nous assistons à des guerres fratricides de positionnement entre eux à cause de ces profits abusifs. La position au sein du pouvoir doit être une station pour servir le peuple et non pour amasser une fortune. Aujourd’hui, il faut une volonté politique forte pour lutter contre les dérives mais aussi pour éviter que la position au sein du pouvoir soit une station pour se servir.

La vertu n’a qu’un sens, c’est l’entier dévouement de l’homme à ses semblables et du citoyen à sa patrie. Que deviendrait la vertu, quand il faudra s’enrichir à quelque prix que ce soit ? Le leader politique ne court point après la fortune, mais il est à la recherche de la gloire. C’est dans la simplicité que le leader politique devient vertueux. Serigne El Hadji Mansour Sy conseillait de s’éloigner de la flatterie et de l’applaudimètre, que nos hommes politiques aiment tant. Ceci offense la vertu du vrai leader et les louanges mêmes peuvent faire tort à sa gloire. Le seul éloge digne d’un leader est celui qui se fait entendre non pas par la bouche mercenaire d’un orateur, mais par la voix d’un peuple libre qui a la possibilité de s’exprimer pour se faire entendre.

 

El Hadji Mansour Samb

Economiste – Ecrivain

Cellule des Cadres de Rewmi

Responsable Pôle Economie et Prospective

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