Tandis que le Sénégal affichait un faible taux de réussite de 35,9% au Baccalauréat en 2018, certains lycées se démarquaient positivement : particulièrement Mariama Ba et Prytanée militaire qui réalisèrent un sans-faute : un taux de réussite de 100%. Le Sénégal est en train de connaître une évolution à deux vitesses de son système éducatif : une reproduction de l’élite qui étudie dans les meilleures écoles, où les conditions sont propices et une plèbe dans la trappe de l’ignorance, de la stagnation.
J’ai choisi délibérément Mariama Ba et le Prytanée militaire parce que ce sont des établissements publics. Ces écoles se distinguent par un encadrement de meilleure qualité, des professeurs et élèves mis dans des conditions idéales et surtout ne connaissent pas les soubresauts des autres écoles publiques sénégalaises.
L’année scolaire 2017-2018 fut ponctuée de grèves, au point que certains pensèrent qu’il y aurait année blanche. Certes l’année scolaire fut sauvée, mais au prix d’un quantum horaire non respecté dans la quasi-totalité des lycées publics sénégalais.
On peut rejeter la faute sur les élèves, plus intéressés par les réseaux sociaux que par les livres, qui ne profitent pas des bienfaits de l’internet, qui ne font plus de recherches. Tout cela entrave la réussite scolaire. Cependant, le système ne les aide pas. Imaginons un élève d’un lycée public qui a toujours connu des grèves depuis la classe de 6ème ! Chaque année, le quantum horaire qu’il est supposé étudier est amputé de 30 à 50%. Il accumule des lacunes par rapport aux élèves de la même classe du lycée Mariama Ba et du Prytanée militaire. Cela se ressentira dans les études supérieures. L’élève de Mariama Ba et du Prytanée militaire disposera d’une plus grande chance de réussite, il aura acquis des bases plus solides en mathématiques et en langues. Je parle de moyenne, il peut arriver qu’un élève d’un lycée au fond du Sénégal obtienne de meilleurs résultats, ce qui ne reflète pas les niveaux généraux.
Si ces conditions ont été créées pour ces deux écoles, avec la réussite qu’elles connaissent, pourquoi ne pas les généraliser au Sénégal ? Le Sénégal a besoin de tous ses bras pour réussir à se développer. Si une bonne partie des élèves sénégalais sont peu performants, c’est l’économie sénégalaise qui sera moins performante demain. Le Sénégal ne peut se permettre de laisser une majorité de sa jeunesse sans une base solide pour faire face à la concurrence dans le monde.
Au-delà de la réussite au Baccalauréat, le premier défi à réussir est la qualité de l’éducation. Réussir le Baccalauréat sans acquérir les bases fondamentales pour des études supérieures est inutile. Cela passe par améliorer la qualité des professeurs, les moyens mis à leur disposition et l’environnement scolaire. C’est cette base qui manque à la majorité des élèves et étudiants au Sénégal.
Dans leur livre Freakonomics, Levitt et Dubner ont fait une observation intéressante : les enfants adoptés ont généralement un QI moins élevé que celui des enfants biologiques de leurs parents adoptifs. Cependant, avec le temps, leurs parents adoptifs – généralement ce sont les plus aisés, les plus éduqués qui adoptent un enfant – leur passent certaines attitudes propices à la réussite : la persévérance, différer la récompense, travailler plus dur, avoir confiance en son aptitude à réussir sa vie si l’on fournit les efforts pour cela. Au moment d’entrer à l’université, ces enfants rattrapent leur retard et connaissent une réussite équivalente à celle des enfants biologiques de leurs parents adoptifs.
L’environnement peut corriger les malchances de la loterie de la vie. Si tes deux parents ont fait d’excellentes études, sont aimants, t’ont inscrit dans les meilleures écoles, tu as de plus grandes chances de réussir tes études, comparé à celui qui n’a pas eu cette chance. Tout cela peut être corrigé par l’école : une école de qualité, à l’écoute des élèves, des professeurs acceptant d’aider les élèves à réussir, un environnement propice à la concentration. Quand de telles écoles existeront au Sénégal, le taux de réussite au Baccalauréat augmentera, et mieux encore, le niveau des élèves s’élèvera.
Le ministre de l’Education nationale s’est ému du faible taux des élèves orientés dans les séries scientifiques. Je lui réponds qu’il est aberrant d’orienter les élèves aussi tôt. Chaque élève est unique, les potentiels se développent à des âges différents. La hantise des mathématiques, des sciences est peut-être due à autre chose qu’un élève qui y est irrémédiablement nul. Quelques années plus tard, il peut s’y améliorer et vouloir y poursuivre des études, ce qui s’avèrera difficile avec le système scolaire sénégalais qui traite tous les élèves comme s’ils étaient pareils, ne reconnaissant pas leur individualité. C’est ce que dénonce Salman Khan dans son livre L’éducation réinventée. Dans le chapitre «Le modèle prussien», il revient sur l’origine de notre système éducatif actuel, hérité de la Prusse. Ce modèle étouffe la créativité et l’innovation et encourage le conformisme.
Au-delà d’augmenter le taux de réussite au Baccalauréat, revoir la pédagogie et l’adapter pour que l’élève soit armé face aux défis de ce siècle importe plus. Le changement est permanent aujourd’hui, apprendre comment apprendre s’avère plus important que verser dans le «parcoeurisme». Certains élèves dans certaines écoles sont mieux préparés à cela. C’est l’élève de Mariama Ba, du Prytanée militaire et des lycées d’excellence privés. Ils disposent d’une plus grande chance de réussite, parce qu’ils sont mis dans un environnement propice. Si ces conditions étaient généralisées à l’ensemble des élèves sénégalais, leur niveau moyen s’élèverait.
Dans l’économie de la connaissance, la créativité, la capacité d’innover importent plus que les ressources naturelles. Le Sénégal doit comprendre cela et améliorer son système éducatif, l’améliorer pour une multitude et non pour une élite. En procédant ainsi, il facilitera son développement : de meilleurs élèves aujourd’hui signifient un Sénégal meilleur demain.
P.S : Deux fois au cours cette semaine, je me suis rendu dans une librairie de la place pour me procurer des livres. J’observai des parents acheter des fournitures scolaires à leurs enfants. Ces derniers n’étudient certainement pas dans un lycée public. Ils commenceront leurs cours plus tôt et les suivront plus régulièrement, sans grèves, ni perturbations. Les élèves des écoles publiques ont-ils cette chance ?
Moussa SYLLA
moussasylla@live.fr