La scène politique sénégalaise commence dangereusement à devenir le paradis de la violence, de l’insolence et de la débilité. On n’a généralement pas des théories divergentes, on n’a que des intérêts qui divergent et c’est ce qui donne à la scène politique sénégalaise cette allure d’être un lieu d’affrontement et jamais un lieu de débat civilisé. On ne fait pas de la politique uniquement avec sa tête, Max Weber a raison d’insister là-dessus, il faut du cœur dans l’engagement politique, mais ce serait une grave illusion de croire qu’on peut faire de la politique uniquement avec le cœur, c’est-à-dire sans sa tête.
Vouloir faire de la politique en congédiant le respect de la différence et le discours rationnel comme ultime arbitre des antagonismes, c’est courir le risque du totalitarisme et de l’expression violente des passions. La violence verbale en politique est toujours une filiale de la médiocrité intellectuelle et politique : on n’y recourt que parce qu’on veut s’en servir comme cachette de son abaissement politique et intellectuel. Ce n’est pas à la violence de ruser avec la raison, c’est au contraire à la raison de ruser avec la violence, en la laissant montrer sa négativité et son impasse pour s’imposer à sa place comme la seule alternative. Jean-Paul Sartre disait dans « Situations » que la violence, sous quelque forme qu’elle se manifeste, est un échec. La violence est un échec parce qu’on n’en use que lorsqu’on désespère non seulement de l’humanité de sa cible, mais aussi de sa propre humanité.
Notre humanité réside dans notre foi infaillible en la vertu du dialogue et dans notre résolution sans faille à renoncer ou à différer la mise en œuvre des moyens que nous partageons avec les
animaux, or la violence en fait partie. Dans la tempête générale de l’engagement politique habituellement fait de ferveur aveugle, la société politique a besoin de la calme attitude de tempérance que seule la réflexion procure. Á moins de donner raison à Alfred de Vigny qui pense que « il n’y a point de bienfaits en politique ; il y a des intérêts », on doit s’employer à assainir la vie politique de toutes les sources de violence et, par conséquent, d’égoïsme. On ne peut pas prétendre bâtir un pays avec des comportements inciviques donnés chaque jour en exemple. On a besoin d’anoblir la politique pour la réconcilier avec les citoyens qui l’ont désertée à juste raison.
Or, pour ce faire, on a besoin de la force d’un verbe bien instruit de la situation plutôt que d’une force brutale ; on a besoin de la rigueur intellectuelle qui charrie un charisme irrésistible plutôt que de l’habilité en intrigues ; on a besoin d’envoyer aux jeunes un modèle de réussite sociale, professionnelle et intellectuelle qui s’engage en politique uniquement pour relever les défis et jamais pour se servir. On ne bâtit jamais les grandes œuvres en sacrifiant la diversité, pas plus qu’on ne produit un beau poème avec les mêmes vers. L’une des caractéristiques de la rationalité moderne c’est une exigence tyrannique d’uniformité, or ce que l’intelligence politique exprime de façon claire est que l’uniformité est souvent handicapante. La diversité et la différence ne sont pas forcément synonymes d’absence d’identité ou d’unité.
Il faut savoir tirer profit de la diversité politique, car elle est soit enrichissante soit motrice de la concurrence qui stimule la représentativité politique. On proclame partout que le paysage politique sénégalais est caractérisé par une absence de valeurs et que les politiciens sont d’habiles kamikazes. Ce n’est pas faux et le constat empirique le montre tous les jours : à part la surenchère verbale et la défiance réciproque, on ne sait rien de vraiment notoire. La raison de cette crise de valeur est double : d’abord on milite pour des hommes et non pour des idées ; ensuite l’engagement politique est fondamentalement motivé par la recherche de strapontins. Le Pape Jean Paul II disait avec beaucoup de lucidité intellectuelle qu’une « démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois comme le montre l’histoire ».
Il suffit d’écouter ceux qu’on prétend offrir à la nation et à la démocratie sénégalaise comme la relève pour désespérer de l’avenir politique de ce pays. Des hommes et des femmes qui s’imposent par l’activisme éhonté, l’invective, et l’insulte, ont usurpé des fonctions et des titres à travers des structures bidons tout juste montées pour nager dans le fleuve de l’impunité politique. C’est cela un totalitarisme sournois qui, non seulement travestit la démocratie, mais porte atteinte au droit de ses concitoyens à la quiétude. On les entend à longueur de journée dans des médias inondés de journalistes à leur image proférer des menaces, des propos orduriers et dépourvus de toute profondeur d’esprit.
Pape Sadio Thiam