« L’homme qui vit au milieu du tumulte et dans l’agitation des passions, sans être retenu par aucun principe, est semblable à un vaisseau jeté sur une mer orageuse, sans pilote et sans boussole ».
Cette citation de Chauvot de Beauchêne (Les maximes, réflexions et pensées diverses) s’accommode bien avec la politique sénégalaise. C’est connu, au Sénégal, le reniement est le défaut le mieux partagé chez nos hommes politiques. Lorsqu’ils sont conviés à la table du Roi pour le partage du …gâteau, ils ont tendance à insulter leur passé. Mais quand cela concerne certaines personnes, on est en droit de s’inquiéter pour l’élite sénégalaise. En écoutant, sur les ondes de la Rfm, le ministre de la culture, Abdoulatif Coulibaly, soutenir l’arrêté Ousmane Ngom et accabler l’opposition, on se demande si réellement c’est ce grand intellectuel qui défendait, jadis, les valeurs de démocratie, de la justice sociale…
Selon lui, l’opposition aurait dû se comporter en « homme d’Etat » et respecter l’arrêté préfectoral. Autrement dit, Oumar Sarr et Cie ont eu tort de braver l’interdiction de marche. Cette prise de position, empreinte d’arrogance, est tout de même curieuse venant de la part d’un homme qui a été défendu par les démocrates contre le défunt régime de Wade. La solidarité gouvernementale ne saurait expliquer un tel reniement.
En démocratie, rien n’est acquis d’avance encore moins définitivement. La liberté ne se donne sur un plateau; elle s’arrache. Les tenants du pouvoir actuel, opposants d’hier, se sont toujours battus pour les libertés démocratiques; ce qui a conduit à la deuxième alternance. Alors, il est inacceptable qu’aujourd’hui aux affaires, qu’ils veuillent remettre en cause ces principes pour lesquels plusieurs sénégalais ont perdu leur vie. La marche est un droit consacré par la Constitution. Son interdiction doit être une l’exception et non la règle. Dans un contexte pré- électoral où la quête du pouvoir devient un enjeu existentiel, les faucons n’hésitent pas à attiser le feu pour plaire au.. Prince. Ce dernier doit se souvenir que ces laudateurs d’aujourd’hui ont été ses pires ennemis d’hier et le seront demain une fois qu-il a perdu le pouvoir.
On se souvient encore des déclarations de Latif Coulibaly à propos de son combat contre le défunt régime libéral. Se définissant comme « opposant de conscience », « l’ancien journaliste », dans une interview parue dans La Voix Plus, disait ceci:
« J’ai un objectif précis en écrivant mes livres, celui de combattre le régime d’Abdoulaye Wade, donc que je suis un opposant. En réalité, ce ministre ne sait pas qu’il me fait plaisir en disant cela. Je ne suis pas un opposant politique, mais un opposant de conscience. En tant qu’intellectuel, dans mon pays, tout ce qui heurte ma conscience dans la conduite du projet national m’aura en face. C’est dire que je suis opposant à Abdoulaye Wade non pas dans le sens politique parce que je ne suis membre d’aucun parti politique, mais en tant que membre de la société civile qui travaille dans les médias. J’ai toujours compris que les politiciens ont dans leur tête la volonté ferme d’accaparer tout l’espace public. Je m’insurge contre cette volonté car elle est erronée. L’espace public est pour tout le monde, les politiques tout comme tous les autres acteurs du projet démocratique. Chez nous, les hommes politiques ont le sentiment quand un journaliste écrit et dénonce des faits de mal gouvernance que ce journaliste est un opposant. Ils disent que ce journaliste s’est démasqué, qu’il fait de la politique. Cette critique vient aussi bien des partis au pouvoir que ceux de l’opposition. C’est vraiment ne pas comprendre ce que c’est que l’espace public au sens grec du terme. S’ils l’avaient compris, ils n’auraient pas eu un tel jugement. C’est justement parce qu’ils n’ont pas compris qu’ils conduisent nos pays dans le mur, dans le désastre. Ils pensent qu’il n’y a qu’eux qui doivent s’occuper de la chose publique et qu’ils ne doivent même pas être surveillés par personne parce qu’ils ont caporalisé tout le parlement. »
Aujourd’hui, devenu ministre de la République, Latif Coulibaly tourne casaque et renie ses principes. Le neo-aperiste rétorquera peut-être que « la réalité est tout autre lorsqu’on est dans un gouvernement » (ce qu’il avait confié à l’émission « Point de vue » dont il était l’invité)- On lui le concède. Mais, cela ne saurait être une excuse. Car rien ne l’empêche de démissionner du gouvernement lorsqu’on est pas d’accord avec son gouvernement comme l’a fait Nicolas Hulos, désormais ex ministre de la transition écologique de la France. C’est vrai que tout n’est pas Hulot.
Daouda Gbaya
journaliste