Wade rejette toute idée de plan B du PDS aux élections de février 2019. La candidature de Karim aux élections de 2019 n’est donc plus un débat au sein du PDS. La dévolution de la légitimité a donc été achevée. Avec l’affaire Madické Niang, Wade a réglé un problème politique au sein du PDS, mais aussi pour le pays tout entier. La présupposition de laquelle nous partons pour une autre compréhension du problème est que la meilleure façon pour le PDS d’avoir un plan B et d’en tirer le maximum de profit, c’est de ne point en avoir.
En politique, même dans les pays et les partis les plus démocratiques, les stratégies ne sont jamais démocratiques. Les « Think tanks » (réservoirs de pensée) officient dans l’ombre et les décideurs agissent comme des joueurs d’échecs. La politique spectacle, c’est juste la scène, mais la vraie politique, c’est le « behind the scene ». Et dans une démocratie comme la nôtre, qui n’est démocratie que de nom, ce serait suicidaire de marcher à visage découvert. Il faut paramétrer son agenda politique dans le double langage, le double jeu et la duplicité temporelle. Agir dans un temps pour récolter dans un autre, évoquer le passé pour rendre flou le présent, se projeter dans le futur pour être maitre du présent : tels sont les différents éléments du paramétrage politique.
Or qu’arriverait-il aujourd’hui si le PDS déclarait publiquement qu’il a un plan B ? Ce serait non seulement une capitulation politique, mais aussi un la mort politique et du PDS et de son candidat, Karim Wade. Convoquer un congrès extraordinaire pour choisir un autre candidat à six mois des élections serait une bombe qui éclaterait définitivement ce parti. C’est évident aujourd’hui que les « Karimistes », devenus très importants dans le parti, pourraient être tellement affligés qu’ils s’abstiendraient d’accompagner le parti et de voter pour le néo-candidat de celui-ci. Pire, parmi les éventuels prétendants qui, aujourd’hui, pourraient se prévaloir de plus de légitimité que Karim ?
La légitimité ne s’obtient que deux façons : par la popularité ou par l’héroïsme. Les vétérans de la guerre de Corée bénéficient d’une légitimité naturelle aux Etats-Unis. La popularité n’a qu’un seul baromètre : les élections ou l’engouement populaire (les masses) encore qu’il peut être artificiel. Au sein du PDS y a-t-il objectivement plus populaire que Karim Wade ? Du point de vue de l’héroïsme, c’est-à-dire la lutte et de la résistance face aux exactions du pouvoir, qui a enduré plus que Karim ? Il faut rappeler que 23 hiérarques du régime de Wade étaient sur la liste du procureur spécial Alioune Ndao. Seul Karim a été jugé et envoyé en prison ! Pourquoi et comment les autres ont réussi à s’extirper de cette machine infernale, de ce monstre juridico-politique qu’on appelle CREI ? Pourquoi, par solidarité, par esprit de lutte et par conviction, les autres n’ont pas demandé à être jugés pour au moins laver leur honneur ? Peuvent-ils aujourd’hui faire face aux soupçons qui pèsent sur certains d’entre eux d’avoir transigé, aux sobriquets et aux quolibets de leurs adversaires politiques ? Karim au moins a enduré trois ans de prison, et même si la façon dont il en est sorti laisse à désirer, il est considéré comme une victime de l’injustice de Macky Sall.
Le fait que partout ailleurs il gagne ses procès contre le Sénégal a contribué à semer définitivement le doute sur sa culpabilité ; et sur le plan de la notoriété internationale, il est largement au-dessus des autres. Dans un tel contexte, déposer les armes à ce stade de la lutte délesterait Karim et le PDS d’un capital de sympathie et de légitimité très difficiles à résorber d’ici à 2019.
En revanche, si la candidature de Karim est maintenue et ancrée dans la conscience et des libéraux et des Sénégalais, le processus de parrainage devient un test grandeur nature en même temps qu’un levier politique extrêmement fécond. Supposons que le candidat Karim réussisse à glaner 500 000 ou 1000 000 de signatures et que sa candidature soit rejetée dans les conditions et pour les raisons qu’on évoque ! Quelle résonnance aurait un tel rejet dans la communauté internationale ? Il y a des modes de communication que seuls les choix politiques permettent : Wade sait ce qu’il fait même s’il joue un jeu dangereux. Cette ultime injustice décrédibiliserait davantage le régime et augmenterait le capital de sympathie au profit de Karim. Entre 2019 et 2024, l’éventail des possibilités est large et la conquête du leadership dans l’opposition sera stratégique. Et surtout si l’on sait que Khalifa Sall pourrait être exclu de la course, l’ébullition du champ politique serait telle que les cartes pourraient être favorables à un rapport de force direct, à une confrontation pré-électorale et post-électorale. Ce serait très difficile à Macky Sall de remporter le combat qui l’oppose à Wade et à Khalifa aussi bien sur le plan juridique que sur celui politique.
Supposons que Karim soit écarté malgré un mini triomphe pré-électoral avec ce parrainage loufoque : le mécontentement serait tel que soit la rue ferait basculer le pays soit un plan B de facto serait un très grand danger pour le régime. Qui pourrait faire croire aux Sénégalais qu’il a gagné au premier tour malgré les cinq cent mille à un million de parrains de Karim (donc contre Macky) et ceux de Khalifa ?
C’est évident que le régime va tout faire pour décrédibiliser la candidature de Karim au sein du PDS, et il actionnera pour cela ses leviers internes avec des moyens colossaux. Déjà la presse a enregimenté le lexique sur la problématique de la candidature de Karim : on parle déjà de candidature invalidée par la cour suprême !? Face à tous ces fronts, le PDS se suiciderait en parlant publiquement de candidature de substitution et ça, Wade est suffisamment outillé pour le savoir. Mais l’agenda du chef est-il compris par les troupes ? Celui de certains soldats dans les troupes n’est-il pas de saboter les calculs de Wade ?
Alassane Khodia Kitane est professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès et président du mouvement citoyen LABEL-Sénégal