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Paul Kagamé : Héraut D’une Afrique Enfin Actrice De Son Histoire Contemporaine

Paul Kagamé : Héraut D’une Afrique Enfin Actrice De Son Histoire Contemporaine

Il faut imaginer Sisyphe heureux». Camus La conception – et l’accouchement – de ce texte naît d’une dépêche urgente lue aujourd’hui sur internet : «Rwanda : l’opposante rwandaise Victoire Ingabire et le chanteur Kizito Mihigo libérés». Mais il s’agit d’un papier qui me démangeait déjà depuis quelques jours, pour réagir à la dernière livraison hebdomadaire de «l’Inventaire des Idoles» de l’écrivain Elgas, parue sur Tract.sn et sur Seneplus.com ce mercredi 12 février. Cette chronique est intitulée «Kagamé et Macky Sall : fortunes et infortunes de l’autoritarisme». Je laisserai le lecteur prendre connaissance par lui-même de documenté et quasi universitaire de Elgas, solidement étayé de notes de bas de page. Mais son titre en dit déjà beaucoup. Oui, je voudrais interpeller ici amicalement mon camarade de parti sur Tract, et non moins ami, Elgas, pour lui dire mes désaccords sur le cas K. L’autoritarisme, voici le danger ? Eh bien, j’en disconviens. «I beg to differ», pour écrire dans la langue qui a été officiellement adoptée par le Rwanda de Kagamé. Je ne prétends pas ici à l’objectivité, mais j’ai le sentiment d’être honnête (au moins avec moi-même), en écrivant ceci : Kagamé est le héraut d’une Afrique enfin actrice de sa propre histoire, à l’ère contemporaine. Et de ce point de vue, l’habit de despote éclairé qu’il arbore avec tant de naturel me semble légitime. Le génocide rwandais est la blessure originelle et le moment fondateur dans lequel Kagamé enracine cette «légitimité de souche» à diriger le Rwanda d’une poigne de fer et d’en faire par ailleurs Rwanda Inc., un pays géré comme une start-up de la Silicon Valley. Quand l’autoritarisme produit des résultats tangibles et fixe un cap, j’en suis un fervent partisan à l’insu de mon plein gré. La ritournelle de l’exigence de démocratie qui devrait être le système prévalent dans les pays africains a fait de cette dernière, la démocratie, plus un rituel à consommation internationale et un raout périodique qui rebat les cartes de l’accès aux ressources publiques pour quelques-uns plutôt qu’une conviction ancrée dans les masses populaires et vécue par elles dans un quotidien qu’il améliorerait. Alors que l’émergence économique reste dans ces mêmes pays une incantation électoraliste. Il y a bien un panorama multipartisan au Rwanda et le parti écologiste a fait pour la première fois son entrée au Parlement cette année. Mais il est vrai que Kagamé ne s’embarrasse pas de pudibonderies, quand il s’agit de mettre au pas le pays – et surtout les opposants et les voix discordantes. Le génocide justifie-t-il tout ? Comme pour Israël, et l’Holocauste qui en a fait un pays et une Nation «against all odds», dans les plans sur la comète des sionistes d’abord, puis dans la réalité, je pense que oui : le génocide rwandais est légitimateur. Le Fpr de Kagamé, s’il a pu précipiter ce génocide à des fins de stratégie politique, n’en est pas moins au départ la victime agressée de ce qui était alors une politique de pogroms des Hutus majoritaires envers les Tutsis, chassés et pourchassés depuis la fin des années cinquante. Et obligés de s’établir dans les pays environnants, notamment anglophones, où ils se sont constitués en base arrière maquisarde qui a fini par prendre le pouvoir politique à Kigali, en marchant sur des monceaux de cadavres. Le génocide rwandais a donné naissance à une tabula rasa sur laquelle il était possible de reconstruire tout et n’importe quoi, le meilleur comme le pire : l’ensauvagement définitif et la régression d’un pays qui serait devenu un simple endroit, ou la propulsion d’une nouvelle Nation allant à l’assaut de son destin. Avec le génocide, le Rwanda a fait entrer l’histoire, la grande histoire, dans la vie des Rwandais. Et elle ne l’a plus quitté. En deux décennies, Kagamé a fait de ce pays une Nation avec une ambition, sur la base de ce récit tragique du génocide qui a paradoxalement réussi à ré-enchanter les perspectives d’avenir de ses concitoyens. Le Rwanda, c’est l’Israël de l’Afrique : un pays né à nouveau dans la douleur d’un bain de sang. Le génocide fait de Kagamé le légitime dépositaire du destin du Rwanda, j’ose le parallèle, comme l’appel à la Résistance et la victoire des Alliés qui s’en sont suivis ont fait de Charles de Gaulle l’homme providentiel de la France d’après-guerre. Et Kagamé pourrait paraphraser le Général de Gaulle sur le balcon de l’hôtel de ville de Paris à la Libération (avec un grand L) : «Le Rwanda outragé, le Rwanda martyrisé, mais le Rwanda libéré.» Kagamé est, sur l’étagère du personnel politique du continent noir, l’Africain fondamental de cette époque milléniale. Comme avant lui, Lumumba, Mandela, Sankara l’ont été. Des observateurs sérieux pronostiquent que si Blaise Compaoré n’avait pas «rectifié» de manière assassine le régime Sankara, c’est le Peuple burkinabè qui se serait révolté contre le capitaine Tom Sank. Pour autant, les Burkinabè eussent-ils beau être opprimés et brimés par le régime Sankara, le beau capitaine Thomas n’avait cure que de (re) donner sa dignité bafouée et sa souveraineté à une Haute Volta qui avait pris un nouveau départ, en changeant de nom, pour en prendre un dont personne ne songe à railler la «pomposité» : «le pays des hommes intègres». Un nom qui sonne comme un mot d’ordre dictatorial. Surtout, Sankara incarnait quelque chose de plus grand que lui-même et son pays sur la scène continentale, audelà des frontières étriquées du pays des Mossis : il avait restauré l’honneur des (jeunes) Africains et inspiré l’espérance en un avenir sur le continent même à cette jeunesse africaine. Kagamé inspire la même foi en un développement endogène et réussi en Afrique par des Africains et pour des Africains. Mandela ? Rappelons que les Etats-Unis et la Grande Bretagne considéraient officiellement Madiba comme un terroriste jusque dans les années 80. Lumumba a pu être accusé de dérives dictatoriales (communistes). Comme Mandela, sa commission «Vérité et réconciliation» et son inclusion des (présumés) bourreaux blancs dans la nouvelle Afrique du Sud, Kagamé a poursuivi la réconciliation de l’impossible avec ses «gacaca», tribunaux populaires. Conciliation des inconciliables : c’est cette marque de fabrique qui fait les grands Africains. A l’aune de la marche de l’histoire, Mandela, Lumumba et Sankara sont des vainqueurs symboliques. Kagamé peut également être dans le camp de ces vainqueurs symboliques, car il va dans le sens de l’histoire africaine en donnant un contenu produit par les Rwandais euxmêmes à la trajectoire de l’histoire de son pays et de ses habitants. Pour que le grain ne meure, le génocide a été le fumier providentiel. De la même manière qu’Israël, bien que traitée avec quelques motifs de dictature pour son oppression des Palestiniens, est pourtant la seule démocratie du monde arabe, il n’est pas exagéré de considérer le Rwanda comme l’un des rares pays africains à être devenu une véritable Nation. Aux forceps. Là où beaucoup de pays africains ne sont que des juxtapositions de communautés qui cohabitent sur un territoire, sans cap historique, en se bricolant péniblement une histoire mythique dans laquelle les résistants-malgré-eux, les libérateurs qui ont ramassé une indépendance souvent octroyée et l’ancien oppresseur colonial se bousculent sans cohérence. Avec l’Algérie héritière de sa lutte de libération, le Rwanda de Kagamé est le seul pays africain à tenir la dragée haute à la puissance occidentale qui se targue de considérer l’Afrique (ex) francophone comme son pré carré : la France. Tuer ce tuteur symbolique qu’est la France est un pré-requis pour l’émancipation, y compris et d’abord des mentalités. Le tropisme de millions d’Africains en faveur de l’homme à poigne Kagamé peut agacer. Mais ce tropisme proKagamé dit quelque chose de l’Afrique. Le Rwanda et l’histoire non encore éclaircie de son génocide suscitent des passions. Kagamé en suscite autant. J’ai tendance à penser que la tare la plus grave d’un homme politique est de laisser indifférent. Permettez à l’auteur de ces lignes un jeu de mots, si on peut encore évoquer avec légèreté de choses sérieuses : l’aversion pour Kagamé, comme l’antisionisme contre Israël, est de mon point de vue un «anti-sillonisme» contre le Rwanda, le sillon en question ayant été le génocide qui a marqué de sa trace indélébile l’histoire contemporaine de l’Afrique et déterminé à jamais l’avenir du pays des mille collines. Pour le pire. Et espérons-le, pour le meilleur, qui reste à venir. Il faut imaginer Sisyphe heureux.

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