Un journaliste réputé de l’Agence de presse sénégalaise (Aps) se remémore très bien l’anecdote. Au cours d’une manifestation présidée par le ministre de l’Intérieur Macky Sall, ce dernier l’a «lifté» dans sa voiture, parce qu’il devait achever un entretien et le ministre était pressé d’honorer un autre rendez-vous. L’entretien s’est quasiment achevé au bas de l’immeuble qui abritait l’Aps à l’époque, en face de Sorano, parallèlement au siège du ministère de l’Intérieur.
«Quand on a fini l’entretien, le ministre m’a demandé : ‘’Vous travaillez pour quel organe ?’’ Je lui ai dit, Aps, mais il ne connaissait pas, et il a fallu lui expliquer.» Il faut croire que les explications du confrère n’ont pas été suffisantes, parce que, près de 15 ans plus tard, le même Macky Sall, devenu entretemps président de la République, semble toujours avoir des difficultés à appréhender le rôle et la fonction d’une agence de presse. Mais l’Aps n’est pas une agence de presse comme une autre. A 60 ans, elle se révèle être la doyenne des agences de presse des anciennes colonies françaises, en Afrique noire à tout le moins. Et son rôle dans le développement de la presse au Sénégal est incommensurable.
Pendant des décennies, pour la majeure partie des activités qui se passaient dans les régions reculées du pays, nombre de journaux, y compris parfois Le Soleil, étaient bien contents de pouvoir se tourner vers les dépêches de l’Aps pour obtenir l’information juste et vraie. L’Aps a pendant longtemps été considérée par ses travailleurs et ses usagers comme «le grossiste de l’information» qui la mettait à la disposition des détaillants que nous autres journaux et radios serons. Les heures de gloire de l’Aps ne sont pourtant pas si vieilles pour nos contemporains. Si l’on enlève l’époque de Senghor, dont on nous dit que le directeur du journal Le Soleil prenait part aux Conseils des ministres, on peut dire que l’agence a connu ses heures de gloire avec l’arrivée au pouvoir de Abdoulaye Wade et la nomination de Mamadou Koumé à sa tête. L’agence est devenue un organe crédible, dont l’attractivité pouvait se juger à l’aune des jeunes journalistes qui ont estimé que les conditions y existaient pour leur permettre d’y faire carrière. Ce n’était pourtant pas une question de moyens, mais plutôt de vision.
Hélas, si Koumé n’a pas su léguer sa vision de l’Agence, c’est qu’il n’avait pas de prise sur sa succession. A son départ, les dirigeants se sont succédé comme des champignons après la pluie, au gré des humeurs des politiciens. Depuis, on a plus l’impression que l’agence existe encore tout simplement parce qu’elle permet de caser une certaine clientèle politicienne. Comment peut-on comprendre l’injure faite à ces journalistes, de voir leur travail comparé à celui de certains portails «d’information» qui, justement, sont alimentés par le travail des journalistes, dont ceux de l’Aps ?
Alors même d’ailleurs, que l’agence n’a ni téléphone ni connexion internet stable ? Ce marasme actuel doit convaincre tout le monde, du moins le monde des médias, que même la bonne volonté que certains avaient perçue de la part de ces gouvernants lorsqu’ils ont fait voter le Code de la presse n’a été qu’un leurre. On est, dans le milieu du pouvoir, retourné à l’époque de Goebbels. L’information doit être utile pour être diffusée. Et actuellement, l’information n’est utile que lorsqu’elle chante les louanges du Chef et sa Vision. Et surtout la louange doit être visible. Or, par essence, les journalistes d’agence sont des soutiers anonymes, malgré leur caractère indispensable. Quant à nous autres journalistes qui tentons encore de subsister dans cet environnement, l’Etat va bientôt nous demander de nous convertir en bloggers, ou d’animer l’information sur Twitter et Facebook. Pour faire moderne, n’est-ce pas M. le Président ?