Après avoir parcouru minutieusement l’ouvrage «Solutions», l’on peut affirmer de prime abord et sans l’ombre d’un doute que si les Sénégalais font confiance à Ousmane Sonko et lui accordent leur vote lors de la prochaine élection présidentielle, celui-ci ne sera jamais qualifié d’un président par défaut qu’un concours de circonstances favorables a permis d’accéder au pouvoir. De toute évidence, en exprimant aussi clairement le fond de sa pensée dans ce brillantissime essai politique, on peut postuler qu’il perçoit la direction du pays non pas comme l’étape ultime de la satisfaction d’une vile ambition personnelle, mais plutôt comme un projet sérieux et complexe qu’il faut concevoir dans les moindres détails et s’y préparer convenablement.
Par la vision claire et documentée qu’il décline dans son livre «Solutions», Sonko peut rassurer tout électeur indécis ou sceptique qui se demande s’il faut encore faire confiance aux politiciens. Le discours qui se dégage à travers les pages n’est pas celui d’un politicien professionnel rhéteur et populiste qui cherche à plaire à une base électorale ou à faire plaisir à des groupes spécifiques, il est plutôt le condensé de solutions réalistes, parfois simples mais ô combien précises et originales, que seul l’amour profond de son pays a permis d’énoncer aussi justement.
Une économie portée par les industries et pourvoyeuse d’emplois
S’appuyant sur les valeurs de patriotisme, de travail et d’éthique, érigées comme des exigences pour briser le cycle de la désolation et de la pauvreté qu’endure notre pays depuis l’indépendance, l’ancien inspecteur des impôts rappelle au lecteur la nécessité de disposer d’un modèle économique conceptualisé et défini par nous et pour nous afin de ne pas répéter les vaines tentatives de sortie de crise depuis notre indépendance.
Avant d’exposer en profondeur et dans les détails comment se matérialisera sa vision économique pour un Sénégal prospère, Sonko s’autorise, dans une vingtaine de pages, de lever des pans de son parcours politique et personnel : la création du parti Pastef, son enfance en Casamance et l’empreinte de celle-ci sur son ouverture d’esprit, sa radiation de la fonction publique, sa relation avec les familles religieuses et la prétendue manque d’expérience que certains veulent lui coller. Plus qu’une façon subtile de «fendre l’armure», il s’agit d’amener le lecteur à mieux comprendre les valeurs profondes qui fondent son engagement en politique et les raisons qui justifient sa posture d’homme qui refuse de tomber dans toute forme de compromission ou de reniement «…rien que pour assouvir une obsession presque morbide pour le pouvoir..»
La table ainsi dressée, le leader du parti Pastef nous explique que sa vision économique «se construit prioritairement sur l’impératif d’un développement par l’industrialisation». Un tissu industriel articulé autour d’un axe de compétitivité interne portant sur la production, la transformation et la commercialisation intérieure de biens de consommation courante et un axe de compétitivité externe dont l’objectif est « de configurer une structure productive adaptée aux potentialités nationales et ciblée sur une offre externe, par ordre de priorité sous-régionale, régionale et mondiale».
Comment passer alors de la simple théorie à la phase pratique? L’auteur égrène un chapelet d’actions et de réformes concrètes et bien réalisables. C’est là que réside d’ailleurs toute la singularité de ce livre. Il ne s’attarde pas sur les grandes théories économiques, très souvent sibyllines, qui déboussolent le lecteur plus qu’il ne l’éclaire. Il brille par sa forme concrète et accessible au commun des mortels.
Dans les filières fortes et intégrées qu’il mettra en avant dans ce processus d’industrialisation de notre économie, l’agriculture y occupe une place de choix, car « le sous-secteur a souffert jusqu’à maintenant du flou profond autour de la vision, du modèle et des objectifs agricoles du Sénégal.» relève l’auteur. Sa relance de la politique agricole passera par la maîtrise des facteurs physiques et productifs, un rééquilibrage spatial et démographique, une maîtrise de l’eau, l’augmentation des niveaux de rendement et de production, l’organisation et l’encadrement des filières agricoles, leur financement et la mise en place d’une véritable réforme agraire.
L’élevage et la pêche, au même titre que les sous-secteurs du tourisme, de la culture, de l’artisanat et du sport, ne sont pas en reste dans sa vision. Ils bénéficieront également d’un lot de «mesures protectionnistes, sous tendues par le patriotisme économique». Un penchant idéologique qui caractérise la trame de l’ensemble de sa vision économique. À travers les pages dédiées à ces domaines d’activités qu’il développe suffisamment et avec précision, ces sous-secteurs revêtiront un tout autre caractère et une meilleure compréhension à la fin de leur lecture.
Comme il fallait s’y attendre, celui qui a fait de la lutte pour une transparence dans l’exploitation du pétrole et des ressources minières son cheval de bataille jusqu’à lui réserver la publication d’un premier ouvrage ne surprendra pas le lecteur du traitement spécial qu’il fera de ce sujet dans «Solutions» avec la proposition d’un modèle qui «se singularise par une exploitation rationnelle, transparente et mesurée, des préoccupations environnementales et transgénérationnelles…»
Un modèle d’État exemplaire pour accompagner le secteur privé national
Quel crédit accorder à une simple vision économique, fut-elle la plus documentée, si celle-ci n’est pas portée par un État fort et responsable ? Quel devra être le rôle de l’État dans la mise en œuvre des politiques sociales et de la redistribution des richesses? Sonko opte pour un État dont l’intervention «doit être sélective, stratégique et complémentaire […] ni néo-libéral ni interventionniste traditionnel, mais démocratique et participatif.». Partant, il dessine très clairement au fil des pages le visage de cet État qui verra diminuer considérablement les pouvoirs de son chef et président de la république au profit d’une Assemblée nationale et des collectivités locales fortes. Le Sénégal sera ainsi doté de deux paliers d’autorité et de décision politiques distincts : un niveau central et six pôles régionaux avec des compétences clairement définies.
Pour ce qui est du système judiciaire, il en regrette «l’inféodation politique de la justice qui se manifeste singulièrement dans le traitement du contentieux politique par le Conseil constitutionnel et la Cour suprême et par l’instrumentalisation des autres juridictions à des fins de liquidation d’adversaires politiques.» Ainsi, la mesure phare que promet le fils de Bassiré est de substituer le Conseil constitutionnel par une Cour constitutionnelle ne souffrant pas de l’emprise du Président de la République. Son modèle d’État sera ainsi exclusivement au service du peuple, n’abusant pas de son pouvoir et qui s’illustre par la transparence, l’imputabilité et soumis à des sanctions lorsque c’est nécessaire.
En faisant le constat du pays qui «manque de capitaines d’industrie», Sonko, élu président du Sénégal, fera la promotion d’une « bourgeoisie industrielle nationale qui doit prendre le dessus sur une bourgeoisie compradore et/ou exportatrice, essentiellement attachée à réaliser les gains issus du commerce des biens primaires et souvent alliée à un État «d’affairistes» et à certains intérêts occultes étrangers.». Pour y parvenir, il exprime toute sa préférence pour un secteur privé structuré autour «d’un tissu dense et diversifié de petites et moyennes entreprises et industries (PME/PMI) adossé à des organisations patronales fortes et véritables moteur de croissance» dont les capacités financières et techniques seront renforcées par divers moyens dans un environnement de compétitivité juste et égalitaire.
Trouver les meilleures sources de financement pour une économie compétitive
L’ancien inspecteur des impôts et expert en fiscalité se trouve en terrain connu lorsqu’il aborde dans le livre le sujet des sources de financement de ses projets futurs. Il privilégiera la souveraineté financière du Sénégal et cela passe par des recettes fiscales améliorées et optimales pouvant atteindre au minimum 600 milliards par année. C’est à travers la rationalisation des exonérations fiscales accordées à des entreprises ou signées avec certains pays étrangers ainsi qu’une meilleure identification des nombreuses niches fiscales et une lutte farouche contre le gaspillage étatique que l’État peut relever le défi de son autofinancement. Avec des transferts qui atteignent 1000 milliards de Francs CFA, soit quatre fois plus que les investissements directs étrangers et deux fois plus que l’aide publique au développement, le transfert des migrants sera également un instrument non moins important du mécanisme de financement de notre développement national. Il s’agira d’orienter «ces flux, majoritairement utilisés pour une consommation courante à faible impact sur le développement économique et l’autonomisation vers l’investissement dans les créneaux phares de notre modèle économique.»
Par ailleurs, pour tirer suffisamment profit de nos ressources naturelles et permettre du même coup le cycle d’endettement chronique en devises étrangères dans lequel est entrainé notre pays depuis longtemps, Sonko préconise une «réappropriation de nos richesses minières et pétrolières» à l’instar de la Norvège. Pour y arriver, une réforme du cadre légal et une renégociation des contrats seront inévitables. «Dans l’intérêt du Sénégal et de son peuple meurtri, nous renégocierons tous les contrats miniers», tranche-t-il avant de donner l’exemple de réussite du Président bolivien, Evo Morales. Même défiance envers la zone CFA qu’il dit vouloir quitter. Pour se justifier, il explique : «Nous optons sans équivoque pour une sortie prudente de ce système exsangue car les banques centrales ayant perdu toute initiative de change, pour maintenir ce taux de réserves, compriment nos économies et réduisent l’activité interne par une limitation des émissions monétaires.» Avec toute la prudence requise devant une telle mesure du fait des nombreux enjeux qu’elle comporte, il explique de façon pédagogique toutes les étapes d’un scénario de sortie de la zone CFA et son option pour le lancement d’une monnaie sous-régionale dans le cadre de la CEDEAO. Et pourquoi ne pas disposer d’une monnaie locale sénégalaise? Sonko y pense également, car «le Sénégal possède tous les prérequis pour se doter d’une monnaie souveraine avec tous les attributs d’un instrument au service de son développement économique et social»
De plus, pour permettre une plus grande compétitivité de notre pays à l’échelle internationale, le candidat à la prochaine élection présidentielle diagnostique le mal qui ronge notre économie en pointant du doigt «la cherté du coût des facteurs de production tels que l’énergie, la main-d’œuvre, le financement, etc.» Ainsi, l’accès universel aux services énergétiques par le renforcement de la bonne santé financière de la SAR, l’investissement dans la formation technique et la recherche ainsi que la sauvegarde de notre stabilité politique et le développement du transport ferroviaire seront, entre autre mesures, qui seront priorisées pour faire du Sénégal un marché fort et incontournable.
Une plus grande justice sociale pour un Sénégal plus égalitaire et sécuritaire
À la lumière du processus ayant mené au développement des pays avancés, il apparait clairement, qu’entres autres éléments importants, l’investissement dans le capital humain demeure un des facteurs les plus déterminants pour permettre à une nation d’améliorer sensiblement les conditions de vie de sa population. L’homme détient sans aucun doute le pouvoir de sa propre destinée pour l’améliorer en permanence.
Des individus instruits comprendront mieux les défis du monde qui les entoure et ils sont davantage outillés pour prendre les bonnes décisions qui influenceront positivement leur vie et celle de leur entourage. En outre, l’instruction offre à ceux qui en ont bénéficié de plus grandes opportunités d’emploi et des revenus plus conséquents. Conscient de cet enjeu important, le président de Pastef-Les-Patriotes accordera une place de choix à une éducation publique de qualité accessible à toutes les couches sociales. Il propose ainsi de «légiférer pour la scolarisation intégrale et la définition d’un seuil minimal de leur maintien obligatoire à l’école.» Il précise toutefois que ce programme intégrera aussi bien l’enseignement laïc que l’enseignement religieux tout en intégrant, après une prise en compte des sensibilités ethniques, culturelles et géographiques, l’enseignement de nos langues nationales.
Il n’est pas nécessaire de rappeler aux Sénégalais les profondes disparités sociales qui caractérisent notre pays dans lequel un fossé sépare la petite minorité des privilégiés de l’écrasante majorité de la population qui vit dans une grande pauvreté. Ainsi pour réduire ces inégalités sociales, il entreprendra dans sa politique sociale «des initiatives résolues pour renforcer la solidarité nationale par une protection sociale pour tous, une redistribution équitable des richesses par l’impôt, une prise en compte des personnes vulnérables (troisième âge, femmes, personnes vivant avec un handicap) et enfin, une réglementation des principaux facteurs du coût de la vie.
Ainsi, un des derniers chapitres du livre est largement réservé à la politique sociale qui sous-tend la vision politique d’Ousmane Sonko. Par une solidarité et une plus grande protection sociale ainsi qu’à travers une redistribution équitable des impôts collectés et l’augmentation du pouvoir d’achat des plus démunis, le lecteur y trouvera des détails éclairants sur les modalités pratiques de réduction de l’injustice sociale. À l’attention des femmes, il dira par exemple : «L’inclusion de cette catégorie sociale et le rétablissement de l’équilibre genre se feront par des mesures visant à favoriser le maintien des femmes à l’école (surtout en milieu rural), le renforcement de leurs capacités à travers l’octroi de bourses d’excellence et l’égalité d’accès aux droits fonciers..»
Parlant de la double menace qui pèse sur le territoire physique (forêts, couvert végétal, pollution, menaces sur le littoral, déchets rejetés, etc.) et sur la paix et la sécurité des citoyens (criminalité, terrorisme, accidents de la route, etc.) l’auteur de «Solutions» propose un modèle «durable» qui protège l’environnement tout en générant des bénéfices économiques et sociaux, en plus d’une protection de la population qui passe par une «protection militaire pleine et entière du Sénégal sur son territoire.»
Dans l’avant dernier chapitre du livre intitulé «Réconcilier nos identités, repenser les leviers communautaires, privilégier l’Afrique et se diversifier», Sonko propose une institutionnalisation des rapports entre l’État et la religion qui passe par «le financement du culte, en inscrivant et en faisant voter formellement par l’Assemblée nationale, des crédits budgétaires annuels destinés au financement officiel du culte.» et la mise en place d’un cadre institutionnel «dans lequel toutes les composantes religieuses et coutumières du pays seraient représentées, qui sera saisi de toutes les questions importantes pour la nation, avec avis consultatif.»
Pour conclure, «Solutions» est un livre de cœur et d’espoir, sommes-nous tentés de dire, qui nous rappelle que le sort peu enviable de notre pays n’est pas une fatalité et qu’on dispose, aussi bien par le capital humain que par les nombreuses ressources naturelles, de toutes les conditions nécessaires pour le sortir du gouffre dans lequel il est plongé depuis fort longtemps.
Limiter ce livre de 233 pages à un simple pamphlet de déclinaison d’une vision politique n’est pas lui rendre service, il s’agit plutôt d’une source bibliographique inespérée pour toute personne qui nourrit un amour profond pour le Sénégal et qui lui cherche des solutions pour le sortir de sa léthargie sociale et économique.
Lamine Niang
nianlamine@hotmail.com
L’article Le nouveau livre d’Ousmane Sonko: plus que des «Solutions» .