Sonko donne la « solution » aux hommes et aux femmes qui veulent se forger un destin national, en consignant dans un livre, sa vision, Acceptant, du coup, l’exercice de la critique qui confrontera le texte, le contexte et le hors-texte. Bonnes ou mauvaises, complaisantes ou objectives, ces critiques montrent à suffisance que la vision est loin d’être statique, parce que calquée sur l’horizon indépassable de la quête permanente de la perfection. Il est donc question, dans ce travail, de décliner quelques opportunités qu’offre la publication d’un livre-programme.
« Solutions », le livre d’Ousmane Sonko, leader de Pastef, patriotes du Sénégal, a suscité beaucoup de commentaires. Si ses militants et sympathisants ont applaudi des deux mains, en saluant l’initiative, ce n’est pas le cas pour ses adversaires, notamment les tenants du pouvoir. Ces derniers se sont lancés dans une entreprise de «destruction massive» d’une œuvre intellectuelle pour «prouver» qu’il y a fraude sur la marchandise (plagiat).
C’est de bonne guerre, puisque l’adversaire politique, depuis la nuit des temps, est maquillé, masqué, transfiguré, animalisé…comme nous le montre Jean-Paul Gourévitch, dans son ouvrage : L’image en politique, De Luther à Internet et de l’affiche au clip. Cette image de l’adversaire montre à suffisance que le débat politique est aussi un affrontement ; et dans sa représentation, elle retrouve sa fonction naturellement subversive.
« L’œil de l’expert », ne s’intéresse pas au contenu de l’ouvrage mais plutôt à l’importance du «livre politique» pour les hommes et les femmes qui ont la prétention de diriger leur pays.
Parmi les instruments qui permettent au politique de se vendre, figure en bonne place le livre. Autant dire qu’un homme politique aspirant à une fonction quelconque au niveau national se doit d’écrire (ou de faire écrire) et de publier un livre, à un moment si possible stratégique, par exemple quelques mois avant une élection importante. Passons en revue quelques opportunités qu’offre un tel instrument.
Occuper l’actualité
La publication du «livre politique» est surtout un prétexte pour occuper l’actualité, en imposant un agenda aux médias. Mais cela suppose un plan média bien huilé, avec un ciblage précis, des éléments de langage rodés et qui transformeront le journaliste en communiquant parce qu’il tombera forcément dans le piège du mimétisme.
Après le show médiatique organisé le jour de la publication – on fait appel aux professionnels de l’événementiel, pour que la magie de la mise en scène opère – l’occupation médiatique doit être planifiée : presse écrite, presse en ligne, radio, télévision. Le politique doit surtout privilégier (ce qui sous-entend qu’il n’oubliera pas les autres médiums), pour parler de son programme, la presse écrite, puisque c’est un support qui lui permet d’aller en profondeur, parce que disposant beaucoup plus d’espace. Sans oublier la télévision, pour le show, le spectacle.
Additionner des publics
Au-delà du show médiatique, le «livre politique» permet d’élargir l’horizon des publics, depuis les militants et les sympathisants venus rencontrer leur candidat, jusqu’aux simples curieux attirés par la célébrité. A ces publics s’ajoute un autre, composé d’adversaires qui épieront les moindres faits et gestes de «l’homme à abattre» dans le but de le voir trébucher, à défaut, de le peindre en noir.
Le livre politique a cette force de polarisation qui fait que même les critiques les plus acerbes se mettront à servir l’auteur, sans que ceux ou celles qui les émettent ne s’en rendent compte.
Communier avec les électeurs
Le livre politique ou programmatique va permettre au candidat de s’exprimer longuement en direction des militants et des électeurs. D’étaler sa vision, d’égratigner ses adversaires, de montrer sa singularité…
Il a le pouvoir de parler aux publics sans qu’ils n’objectent. L’auteur est dans un monologue où il a une parfaite maîtrise du discours débité. «Il a la parole et il passe en direct à la télévision». Ces mots ont une signification, puisque l’animation du discours nécessite une véritable performance physique. S’il veut capter l’attention de son auditoire, le politique doit appuyer les effets de son discours par des mimiques et des gestes. Le paraverbal ne doit être négligé, avec la pose de la voix, la maîtrise du souffle, la variété du ton et du débit. Aussi, doit-il se montrer vivant, sympathique, chaleureux. Le politique, dans ce face-à-face avec les publics, doit savoir jouer de l’humour et de l’anecdote, mettre son discours en image…
Renforcer l’image d’apporteur d’idées
Le livre-programme du politique s’adresse à une élite et on peut considérer que ceux qui ne savent pas lire sont largués. Oui, dans une certaine mesure. Mais ces hommes et ces femmes qui n’ont pas été à l’école française, vont participer au renforcement de l’image de rapporteur d’idées du politique. Ils ont suivi l’évènement à la télévision et ont écouté les journaux en langue wolof sur les ondes des radios de la place. D’ailleurs, c’est cette image d’un «candidat avec une vision», «des solutions pour le pays», qui est véhiculée par les partisans du leader de Pastef, après le show de ce dernier à la place de l’Obélisque. En jouant sur les effets de cadrage, le camp de Sonko a orienté la perception que l’opinion doit se faire de cet évènement.
En conclusion, on peut relever que le livre politique dans lequel, naguère, étaient consignés les Mémoires du leader, sous forme d’autobiographie, a évolué du point de vue de son contenu. Instrument de propagande par excellence, il sert la carrière du politique qui se vend à moindres frais. Et devient de plus en plus incontournable pour les politiques qui prétendent avoir un destin national.