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Déclaration Sur L’article 27 Du Code : En Porte-à-faux Avec L’esprit Et La Lettre Du Texte

J’ai lu avec intérêt la déclaration publiée par un collectif d’organisations de la Société civile et par des «leaders d’opinion», pour soulever un débat qui me paraît légitime en soi, mais qui, me semble-t-il, a été posé dans des termes discutables et a abouti également à des conclusions tout aussi discutables. Des termes et des conclusions qui ne manqueront pas de l’être. C’est le sens de cette tribune que je me propose de verser dans la corbeille des argumentations prenant le contrepied d’une déclaration se situant essentiellement sur une perspective politique qui est loin des enjeux posés dans ce texte. C’est ce que je pense et me propose de démontrer jusqu’à ce que des preuves indiscutables me soient opposées pour fragiliser le fondement de cette opinion.

Je considère que les termes du problème énoncé et les conclusions proposées ne correspondent ni à l’esprit ni à la lettre du texte visé. S’agissant précisément de 27 du Code des télécommunications en cours d’adoption, il importe de faire certaines précisions. J’ai eu le privilège de suivre plus ou moins l’élaboration de ce texte et d’assister à son adoption par le Conseil des ministres. L’article 27, alinéa 3 du projet de Code des communications électroniques, a pour objet d’habiliter l’autorité de régulation à autoriser ou à imposer toute mesure de gestion du trafic qu’elle juge utile pour notamment préserver la concurrence dans le secteur des communications électroniques et veiller au traitement équitable de services similaires. Première faille dans le raisonnement des pourfendeurs du texte : il convient dès l’abord de préciser que l’autorité de régulation qu’évoque ce texte n’est pas l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp) dans sa formule actuelle et dont les attributions sont confinées à la régulation des «télécommunications» au sens classique du terme. Je considère que la première erreur (volontaire ?) relevée dans la déclaration est le fait que cette agence ait été citée dans le texte de la déclaration. Le texte en question vise plutôt l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) qui a vu ses compétences étendues aux communications électroniques en général. Il existe déjà au Sénégal une autorité de régulation de contenu de médias et de toute diffusion audiovisuelle, le Cnra. Pour rappel, l’article 199 du projet de Code précité a créé une autorité administrative indépendante dénommée «Autorité de régulation des communications électroniques et des postes» (Arcep), chargée de réguler les secteurs des communications électroniques et des postes dont la mission est notamment d’appliquer la législation et la réglementation relatives à ces secteurs et de veiller sur les intérêts nationaux en matière de communications électroniques et de postes. D’abord, de par son statut juridique (autorité administrative indépendante), l’Arcep ne peut recevoir aucune instruction d’une quelconque autorité (notamment politique) ; elle accomplit sa mission en toute indépendance. Donc le risque de dérives et d’entraves à la liberté de communication électronique est illusoire. En outre, les mesures visées par le texte s’appliquent aux Fournisseurs d’accès internet (Fai), c’est-à-dire aux opérateurs qui fournissent au public un service de communication électronique (la Sonatel par exemple). D’ailleurs, les fournisseurs d’accès internet, en tant que prestataires techniques du réseau, ont une obligation de surveillance ciblée du trafic en ligne (art. 3 de la loi n° 2008-08 du 25 janvier 2008 sur les transactions électroniques). Il faut entendre par «mesures de trafic» les dispositions prises par le Fai, notamment en vue de restreindre, de bloquer, de ralentir des contenus, des applications ou des services spécifiques (v. article 27 du projet de Code). Cependant, il importe de lire les dispositions de l’article 27, alinéa 3 du projet de Code en rapport avec le dispositif global prévu par le texte. En réalité, ce texte fait suite à l’alinéa 2 de l’article 27 qui fait obligation aux Fai d’appliquer les mesures de gestion du trafic, le temps nécessaire, pour se conformer aux lois et règlements, y compris aux décisions de justice, préserver l’intégrité et la sûreté des réseaux et prévenir une cogestion imminente du réseau. Il y a lieu de rappeler que la loi n° 2016-30 du 8 novembre 2016 modifiant les dispositions du Code de procédure pénale relatives à la cybercriminalité, a introduit dans ce Code de nouveaux dispositifs permettant de faire cesser des troubles en ligne. Ainsi, le juge peut désormais adresser au fournisseur d’accès des réquisitions aux fins de blocage de l’accès à des cyber-contenus manifestement illicites (contenus attentatoires à la vie privée, terroristes, violents, contrefaisants, etc.). L’autorité judiciaire peut, à cet effet, être saisie par le ministère public ou par toute personne intéressée (la victime par exemple). En outre, l’article 36 de la loi sur les transactions électroniques précitée permet au juge des référés (juge de l’urgence) ou au juge des requêtes de prescrire à un fournisseur d’accès internet «toute mesure propre à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne». A la lecture de l’alinéa 3 de l’article 27 du projet de Code, ce n’est que lorsque le Fai manque à ses obligations imposées en vertu de la loi ou d’une décision de justice (réquisitions de blocage de contenus) que le législateur habilite l’autorité de régulation des communications électroniques à prescrire des mesures de gestion du trafic jugées utiles et non de façon discrétionnaire et arbitraire.

Ayant suivi les travaux du Conseil des ministres sur la question et ayant eu un intérêt intellectuel soutenu sur cette question, j’ai toujours considéré que ce débat est assez sérieux pour être abordé sous un angle aussi politique que celui sous lequel la déclaration faite a été publiée. Je peux saisir dans le contexte politique préélectoral, de la part de ceux qui sont, à certains égards, considérés comme des vigies de la démocratie, un raisonnement qui sous-tend l’idée que derrière l’article 27 se cache une volonté de brimer la liberté des citoyens. Je ne peux toutefois pas en comprendre le fondement dans la rédaction de l’article 27 du nouveau Code des télécommunications. Il me semble que les enjeux posés dans la rédaction de dépassent de très loin cette question liée à la liberté d’acter sur internet qui est réglée et rigoureusement réglée dans d’autres textes fondamentaux qui sont d’égale dignité et d’égale valeur juridique que le Code des télécommunications. Des textes qui ont été d’ailleurs fort justement cités dans la même déclaration. Loin de moi l’idée de contester autrement que par la force de l’argumentation les prétentions sorties de la déclaration discutée dans ce texte. Nous souhaitons un débat serein, documenté et argumenté. Nous en avons besoin sur des questions aussi fondamentales que l’avenir de notre pays. Nous pensons que loin de constituer une entrave à l’épanouissement de l’économie, le texte en cause prépare au contraire un avenir plus dégagé, en organisant les moyens juridiques et légaux d’une concurrence saine et porteuse de dynamisme.

Abdou Latif COULIBALY

Ministre de la Culture

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