Après 26 ans d’opposition (1974-2000) et 12 ans de pouvoir (2000-2012) Me Abdoulaye Wade, de retour dans l’opposition, reste néanmoins plus que jamais l’animateur en chef de la scène politique sénégalaise. Pourtant, tout portait à croire que l’uppercut qu’il a reçu de son challenger et ancien premier ministre, Macky Sall, le 25 mars 2012, et qui l’avait rendu groggy un bon moment, allait le pousser à la retraite politique. Mais, c’était mal connaître ce vieux briscard qui, tel phœnix, renaît toujours de ses cendres. A 92 ans bien sonnés, « Gorgui » occupe toujours le devant de la scène politique où rien ne semble pouvoir se faire sans lui.
Alors qu’il avait été presque chassé du pouvoir en 2012, comme l’atteste le score aux allures de plébiscite obtenu par Macky Sall lors du scrutin du 25 mars 2015, avec plus de 65% des suffrages, Abdoulaye Wade a mangé son pain noir et rongé son pendant deux ans en allant s’installer à Versailles, en France. Mais, à son retour au bercail, le 25 avril 2014, il a été accueilli, nuitamment s’il vous plait, par une marée humaine qui l’a raccompagné au petit trot, de l’aéroport au quartier général du Pds sis sur la Vdn, aux sons de « Gorgui baal ñu dañoo juum ».
Bis-repetita le 11 juillet 2017, à la veille des élections législatives pour lesquelles Abdoulaye Wade est venu à la rescousse de son parti, le Pds, et de la coalition gagnante Wattu Senegaal. D’aucuns soutiennent même que n’eussent été l’implication et la participation de Me Abdoulaye Wade à la campagne électorale, ces derniers n’auraient jamais pu obtenir 19 députés, voire former un groupe parlementaire. Même lorsqu’il il lui arrive de faire de gros dérapages comme lorsqu’il avait traité Macky Sall d’anthropophage, les Sénégalais s’en indignent tout naturellement, mais indulgents avec le papy qu’ils affectionnent malgré tout, ont très vite fait de tourner la page.
C’est dire qu’on lui pardonne tout ou presque. Quand bien même une bonne frange des Sénégalais continue à avoir une dent dure à l’encontre de Me Abdoulaye Wade, aujourd’hui beaucoup de ses contempteurs d’hier se mettent à lui tresser des lauriers et, suivant le vieil adage arabe selon lequel « L’ennemi de mon ennemi est mon ami », renvoient Macky Sall dans les cordes. Quelques rappels de discours lénifiants sur Me Wade par des politiques qui ne l’ont pas toujours piffé :
Le 25 juillet 2017, Barthélémy Dias rend visite à Wade et lui jette des fleurs. Les proches du défunt Ndiaga Diouf crient au scandale. « Je suis venu au domicile de Wade pour lui dire, au nom de toute cette jeunesse engagée, de toute cette jeunesse consciente, merci pour son sacrifice, son engagement au nom de la démocratie », s’est justifié Barthélémy Dias. Selon toujours Barthélémy Dias : « Aujourd’hui, tirer des lacrymogènes sur le cortège de Wade, c’est insulter la démocratie sénégalaise ». Barthélémy Dias avait aussi appelé les populations à répondre favorablement à l’appel à la marche d’Abdoulaye Wade. Cette manifestation qui était prévue de la Place de l’Indépendance à la Place Washington, siège du ministère de l’Intérieur, interdite en raison de « l’arrêté Ousmane Ngom », n’a pas pu avoir lieu.
Le 4 mai 2017, le maire socialiste de la Médina, Bamba Fall, sorti tout fraîchement de prison déclare : « Nous regrettons d’avoir chassé Abdoulaye Wade et d’avoir mis Macky Sall à sa place…». Le 9 mai 2017, le même Bamba Fall, reçu à Versailles, en France, par Me Abdoulaye Wade, déclare sans sourciller : « Abdoulaye Wade est notre Nelson Mandela ».
Le vendredi 21 Juillet 2017, en pleine campagne électorale pour les Législatives, lors du passage de la caravane de Wattu Senegaal devant l’hôtel de ville de sa commune, Bamba Fall, décidément séduit, est monté dans le véhicule du tombeur du régime socialiste pour lui rendre hommage et parader avec « le vieux » pendant un bon bout de chemin.
En mai 2017, Malick Gakou, leader du Grand Parti et ancien ministre dans le premier gouvernement de Macky Sall, rend un hommage appuyé au président Abdoulaye Wade, qui l’avait déjà reçu le 9 mars 2015 à Fann-Résidence, à Dakar, puis le 1er février 2016 à Versailles, en France. L’ancien poulain de Moustapha Niasse à l’Afp remercie Me Wade « pour son rôle déterminant dans l’unité de l’opposition avec la constitution de la coalition Mankoo Taxawu Senegaal ». Le 16 avril 2018, Malick Gackou soutient qu’Abdoulaye Wade est sa référence et que ce dernier s’est toujours comporté en père envers lui.
En mai 2017, pendant la campagne électorale pour les élections législatives, Idrissa Seck rend hommage à Abdoulaye Wade « qui est à l’origine de notre union » dit-il avant de descendre en flammes l’actuel chef de l’Etat : « Le président Macky Sall ne peut même pas peindre les chantiers d’Abdoulaye Wade ». Sous Wade, Idy avait été arrêté et incarcéré, le 15 juillet 2005, dans le cadre de l’affaire des Chantiers de Thiès, avant d’être libéré discrètement le 7 février 2006 après près de sept mois de détention soit 199 jours de prison.
En marge de la conférence de presse de Wattu Senegaal tenue le mercredi 9 août 2017 chez l’ancien chef de l’Etat, Mamadou Lamine Diallo a magnifié la participation du Président Wade aux élections législatives du 30 juillet, tout en estimant que Me Wade peut être considéré comme le sauveur du peuple. Selon le député et patron du mouvement Tekki, pourtant farouche adversaire de Wade durant le règne du pouvoir libéral : «Le Président Wade est venu, d’une certaine façon, sauver la démocratie sénégalaise. D’autres l’ont dit et ils ne sont pas avec nous. S’il n’était pas là, les choses seraient pires, ce serait la catastrophe ».
Wade vu par Abdoul Mbaye, Moustapha Diakhaté, Tanor, Sonko…
Le 26 juillet 2017, lors de la campagne électorale pour les législatives, les caravanes de Abdoulaye Wade et Abdoul Mbaye se sont croisées dans les rues de Pikine. Les deux leaders se sont salués cordialement et se sont mutuellement encouragés. L’ancien premier ministre Abdoul Mbaye allant même jusqu’à taper affectueusement dans la main de Me Madické Niang qui était perché sur la voiture de la tête de liste de la coalition gagnante Wattu Senegaal. Pour rappel, Abdoul Mbaye a été le premier chef du gouvernement du président Macky Sall. Dans sa déclaration de politique générale devant l’institution parlementaire, le 10 septembre 2012, le premier ministre Abdoul Mbaye, s’est employé à « traduire en programmes et actes concrets, la vision du Président de la République Macky Sall » et a flétri le régime du président Abdoulaye Wade qui, selon lui, avait déçu « après tant d’attentes insatisfaites, d’espoirs déçus, de perspectives obstruées, d’issues incertaines, après l’immense espoir suscité par la première alternance survenue le 19 mars 2000 ».
Avec le procès d’Hissène Habré et les forts soupçons de blanchiment et de recel de la fortune de l’ex-chef de l’Etat Tchadien par Abdoul Mbaye, alors Directeur Général de la CBAO au début des années 1990, le Parti démocratique sénégalais (PDS), à travers son groupe parlementaire dirigé à l’époque par le député Modou Diagne Fada, a voulu avoir la peau d’Abdoul Mbaye en déposant une motion de censure contre le gouvernement. C’était le 26 décembre 2012. Dans une réponse salée, devant les députés, le premier ministre Abdoul Mbaye n’avait pas raté le Pds en déclarant que « le dépôt de cette motion coïncide avec le lancement de la phase active des investigations visant à faire la lumière sur des actes de pillage des ressources publiques, dans l’objectif de rendre au peuple les biens dont il a été spolié (…) Cette motion intervient après l’échec de toutes les autres manœuvres de politique politicienne utilisées jusqu’ici, dans l’intention de décrédibiliser ou de retarder le cours de la transparence et de la justice. ».
Le premier ministre Abdoul Mbaye a poursuivi sa diatribe contre les Libéraux en ces termes : « Parce qu’on leur reproche de l’argent mal acquis, des milliards accumulés en à peine 10 ans d’exercice de fonctions, de surcroît publiques, et parce qu’ils ne savent pas s’en défendre, ils choisissent de ne pas être seuls. Ils cherchent des complicités, parmi eux d’abord, puisqu’ils se plaignent du caractère des enquêtes qui ont démarré et qui seraient sélectives. Et ils cherchent ensuite à entacher un directeur général de banque qui, il y a 20 ans, aurait simplement permis une ouverture de compte dans une banque qu’il dirigeait. Non mesdames, non messieurs les signataires, je ne serai jamais des vôtres ».
Au lendemain de sa déroute lors du scrutin du 30 juillet 2017, avec zéro siège de député, la tête de liste de la coalition Joyyanti déclare que «Si Me Wade avait été absent de cette campagne, on aurait vu pire ». Par la suite, le 20 mars 2018, Abdoulaye Wade a reçu Abdoul Mbaye dans sa résidence française de Versailles. « Puis, ajoute Abdoul Mbaye, nous avons échangé sur la politique au Sénégal en leçons à un néophyte reçus par un Maître. »
En juillet 2014, Moustapha Diakhaté, alors président du groupe parlementaire BBY, a lui aussi eu à rencontrer discrètement Me Abdoulaye Wade. Une rencontre jusque-là tenue secrète, et qui s’est déroulée à Fann-Résidence. Le responsable apériste a tenu à préciser s’y être rendu de son « propre gré », en d’autres termes sans pour autant avoir été mandaté par le président Macky Sall. « Je n’ai été envoyé par personne ! », a-t-il tenu à clarifier.
Le dimanche 26 août 2018, Ousmane Tanor Dieng était l’invité de l’émission “Le grand jury” sur la Rfm. Le président du Haut conseil des collectivités territoriales, pourtant peu disert, a longtemps parlé d’Abdoulaye Wade qui a fait la prison et au moins 20 années d’opposition sous le régime socialiste. Pour Tanor « Me Wade n’est pas un rancunier ». Au contraire, c’est un homme “ d’une grande générosité, il faut le reconnaître (…) C’est un grand stratège. Il sait très bien ce qu’il faut faire, quand il faut le faire et comment le faire“, reconnait-il.
Pour Alioune Tine, ancien Secrétaire de la Rencontre Africaine des droits de l’homme (RADDHO) et ancien coordonnateur du M23, un mouvement qui passe pour être le bourreau du régime dit de la première alternance en faisant dans l’agitation et le harcèlement contre le pouvoir de Wade : « L’émergence a débuté du temps de Abdoulaye Wade, mais pas avec Macky Sall. Selon lui « Wade a posé les premiers jalons et Macky Sall a continué son œuvre ».
Après avoir habitué les Sénégalais à ses critiques acerbes contre le président Abdoulaye Wade, le vice-président de l’assemblée nationale du Sénégal et président du parlement de la Cedeao, Moustapha Cissé Lô, se dit maintenant disposé à « amener le président Me Abdoulaye Wade au palais de la République afin qu’il enterre, pour de bon la hache de guerre avec « son fils », le président Macky Sall ». Moustapha Cissé Lô entend bien mener cette mission si le président Macky Sall lui en donne l’autorisation. Maintenant qu’Abdoulaye Wade trouve grâce à ses yeux, Moustapha Cissé Lô en veut à l’entourage du chef de l’Etat et précisément à son cabinet qui filtre ses audiences, bloque ses demandes et isole ce dernier en le rendant inaccessible. Cissé Lô de tonner : « Macky Sall est en train de vivre exactement le même scénario que Wade (…) Qui connaissait Macky Sall avant Abdoulaye Wade ? Tout ce que Macky Sall a aujourd’hui c’est Abdoulaye Wade. Personne ne connaissait avant ».
Le 16 octobre 2018, en conférence de presse, Ousmane Sonko a tenu à faire savoir qu’il s’est entretenu au téléphone avec le président Abdoulaye Wade et que ce dernier lui a confirmé qu’il est de tout cœur avec lui concernant ses convictions et le combat patriotique qu’il est en train de mener. Et le leader de PASTEF de clamer tout haut: « Le meilleur président que le Sénégal a eu, c’est le président Abdoulaye Wade » avant d’informer qu’il envisage d’aller lui rendre visite à Doha au Qatar. Sauf que ses adversaires politiques estiment que Sonko cherche un refuge politique auprès d’Abdoulaye Wade. Aujourd’hui, les hommes politiques, surtout de l’opposition, se bousculent aux portillons pour solliciter l’onction ou la bénédiction de Me Wade pour se valoriser, mieux légitimer et booster leur action politique.
Comme on le voit, Abdoulaye Wade semble retrouver une virginité politique et une aura inversement proportionnelles à son impopularité avant sa chute. Tout cela, par la faute d’un Macky Sall qui, de par son acharnement de rancunier tenace et de revanchard impénitent, sa médiocrité et ses carences criardes, réussit toujours, involontairement, la prouesse de remettre dans les cœurs des Sénégalais ses adversaires politiques pourtant honnis hier. Cela ne fera alors que précipiter sa déchéance du pouvoir qui n’a jamais semblé aussi proche.