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Ceux Qui Honorent Le SÉnÉgal Et Ceux Qui Entament Son Image

Ceux Qui Honorent Le SÉnÉgal Et Ceux Qui Entament Son Image

Au rond-point Soweto, à quelques mètres du bâtiment de l’Assemblée nationale, ce vendredi 19 octobre à 22h30. Un homme en chemisette me fait signe de m’arrêter. Je gare docilement ma voiture. Parce que j’avais vu derrière lui une voiture 4×4 grillagée identifiée « Police », aux couleurs sénégalaises. J’ai supposé qu’il venait d’en descendre et qu’il était donc policier et autorisé à effectuer un contrôle.

Dans certains pays de la région, j’aurais eu de bonnes raisons de ne point stopper ma voiture, et d’accélérer plutôt. Les vrais criminels qui se font passer pour des policiers sont légion. Mais à Dakar, en plein centre-ville administratif du Plateau, l’on craint peu pour sa sécurité. Et on a ici confiance aux forces de l’ordre, généralement disciplinées et jamais menaçantes. J’ai eu très peu de mauvaises expériences avec des agents de la police sénégalaise en une douzaine d’années.

Il me demande mes papiers. Je lui présente mon permis de conduire, carte grise et attestation d’assurance. Tout est en ordre. Quel est le problème alors ? « Vous avez pris un sens interdit ». « Ah bon ? ». J’étais sorti de la rue Place 18, débouchant sur l’avenue du président Lamine Gueye menant au rond-point Soweto. Selon l’agent de police, sans uniforme, j’avais donc pris un sens interdit. « Peut-on donc aller voir le panneau ? » Le policier accepte de m’accompagner jusqu’au croisement où j’aurais violé la loi. Nous descendons tous les deux. Surprise : pas de panneau de sens interdit à l’angle de la rue d’où j’étais sorti, et nulle part autour.

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« Mais où est le panneau ? » Le policier de me dire : « le panneau est tombé mais c’est un sens interdit ». « Et comment j’aurais pu le savoir, en l’absence de panneau ? » « Vous devez avoir l’habitude de venir ici, vous devez savoir que c’est un sens interdit ». Echange surréaliste. Et pour enfoncer le clou de cet argument imparable, il me montre du doigt un signe de sens interdit peint sur une pierre à la sortie d’une station d’essence. Pour l’apercevoir, il faudrait avoir déjà été engagé dans la rue censée être en sens interdit et être passé s’approvisionner en carburant dans la station…

Le collègue du bonhomme, qui est au volant de la voiture de police relevant du commissariat du Plateau, sourd à mes protestations, remplit sereinement l’attestation N°549 et inscrit l’infraction constatée : « sens interdit ». Il est, lui aussi, en tenue civile, et soutient les mêmes arguments que son collègue : même sans trace d’un panneau, j’aurais dû savoir qu’il s’agissait d’un sens interdit… Il ajoute sans rire que la police n’est pas responsable des panneaux. Apparemment elle est responsable de constater une infraction dont rien n’atteste de l’existence. Je ne sais toujours pas comment un usager de la route qui arrive à ce croisement peut deviner qu’il ne peut tourner dans une direction sans aucune signalisation.

J’ai travaillé pendant ces quinze dernières années sur des pays en crise politique et/ou en situation de conflit armé en Afrique de l’Ouest. La pire chose qui puisse arriver à un pays est de ne pas disposer d’un Etat effectif, dans ses dimensions politique, administrative, militaire et sécuritaire. La force du Sénégal, la toute première, c’est que l’œuvre de construction d’un Etat y a été réelle, continue et convaincante, depuis son indépendance. Un peu plus que dans la majorité des pays de la région.

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Parmi les éléments constitutifs de l’existence d’un Etat figure très haut le professionnalisme des institutions de défense et de sécurité, dont la police fait partie. Et un déterminant de ce professionnalisme réside dans la qualité de la formation dispensée aux agents, dans la transmission de l’éthique de leur profession, dans le respect de la loi et dans celui des droits des citoyens que leur institution est censée protéger de l’anarchie.

La très grande majorité des forces de l’ordre du pays continue à faire honneur à l’Etat sénégalais et au travail remarquable de tous ceux qui depuis des décennies, ont participé à bâtir un Etat organisé et à le doter d’une armée, d’une gendarmerie, d’une police et de services de sécurité qui inspirent confiance aux citoyens.

Les abus de pouvoir, les écarts de comportements, les vexations délibérées et absurdes de quelques hommes en tenue (qu’ils la portent ou pas), fussent-ils aussi inoffensifs que ma petite mésaventure, sont des signes qui devraient interpeller les plus hautes autorités. Beaucoup trop de pays sur notre continent ont payé et continuent de payer le prix rédhibitoire de l’affaissement progressif de la légitimité de leurs institutions de sécurité. Rongées de l’intérieur par la tolérance du non respect des règles et des valeurs fondamentales du service public. Détruites par la culture du laisser-aller, l’autre nom de l’impunité.

On en est encore très loin au Sénégal. Mais le danger est que l’on ne sait jamais lorsque les petits écarts d’une poignée d’hommes imbus de leur autorité entament l’image de l’ensemble d’une institution. Puis sa crédibilité. Puis sa légitimité. Puis son effectivité. On ne sait jamais lorsque les exceptions deviennent la règle. Lorsque les mauvaises graines contaminent, puis supplantent les bonnes. Lorsqu’un Etat fort, digne, légitime, commence à se déliter.

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Il y a quelques semaines, le Sénégal a rendu un hommage impressionnant de justesse et de grandeur républicaine à un de ses grands serviteurs, Bruno Diatta, chef du protocole de la présidence de la République sous quatre chefs d’Etat. Hommage à l’intégrité, à l’élégance, à la compétence, au professionnalisme, au culte de l’intérêt général. C’est ce Sénégal-là qui suscite l’admiration et parfois une pointe de jalousie de la part des citoyens d’autres pays de la région. Ce n’est pas celui où des agents de police ne peuvent pas reconnaître qu’un panneau invisible, ni debout, ni couché, ne peut indiquer un sens interdit à un automobiliste qui n’est pas censé connaître par cœur toutes les rues de la ville. Ce n’est pas celui où des membres des forces de l’ordre cultivent avec plaisir une mauvaise foi confondante.

Gilles Yabi est Economiste, analyste politique, ancien journaliste et fondateur de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest

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