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Que Reste-t-il Du Mythe De L’étudiant ?

Que Reste-t-il Du Mythe De L’étudiant ?

‘Si l’école se superficialise, que les programmes se déshumanisent, il en va de même de la société dans son ensemble avec, en toile de fond, un refus presque généralisé de la réflexion.’ Marcel Maltais

‘Celui qui aspire à une vie paisible s’est trompé en naissant au XXe siècle.  Léon Trotsky

L‘avenir de l’humanité est incertaine parce qu’elle dépend d’elle.’  Henri Bergson

‘ La connaissance libère, car elle élimine automatiquement la crainte et les désirs irrationnels.’ Epicure

 

La faillite du système éducatif sénégalais illustrée par une paralysie de la plupart des universités et instituts d’enseignement supérieur, la bavure répétitive des forces de l’ordre dans ces universités, la négligence de la formation de milliers d’étudiants orientés dans des établissements d’enseignement supérieur privé est plus que déplorable mais a une valeur heuristique inestimable  dans la mesure où elle permet de mieux analyser le rapport que la société en général et l’Etat du Sénégal en particulier entretiennent avec l’éducation, la formation, le savoir bref l’intellect.

Ce mardi 23 octobre 2018, la conférence des établissements privés d’enseignement privé  (CEPES)  hausse le ton et maintient l’expulsion des 40 000 étudiants orientés dans le privé en dépit du paiement de trois milliards sur les seize milliards que l’Etat du Sénégal doit à ces établissements.

Ce même 23 octobre, des étudiants de la première promotion du Master spécialisé en ingénierie pétrolière de l’Institut national du pétrole et gaz (INPG) sont avertis par le chef de l’Etat, Monsieur Macky SALL en ces termes : « J’avais demandé qu’on inscrive dans les statuts qu’il n’y a pas de droit de grève à l’INPG. Je ne badine pas ». Le président de la République a invité les étudiants de l’INPG à renoncer à leur droit de grève estimant qu’une formation de qualité n’est pas compatible avec « cette pagaille ». En réalité, un abîme infranchissable sépare le triste sort des premiers étudiants  du privilège effarant  des seconds apprenants.

Qui plus est, dans ce simulacre de rigueur et de souci affiché par le président de la République à l’égard des étudiants de l’INGPG, se cachent un paradoxe et une discrimination notoire : négliger le paiement des droits d’inscription de 40.000 étudiants tout en sermonnant 22 étudiants à se concentrer et bien étudier.

Dans cette question, il convient de se poser quelques questions légitimes. Tout d’abord, pourquoi le président de tous les Sénégalais (et naturellement de tous les étudiants) se montre aussi soucieux de la formation et de l’avenir d’une vingtaine d’étudiants mais reste de marbre face au sort de milliers d’autres étudiants ? Au Sénégal, y a-t-il une formation de qualité et un enseignement-apprentissage sans qualité ?

Mais Marcel Maltais qu’on ne lira jamais assez avait tout prédit dans Etre superficiel, c’est aussi être profond en affirmant que « Autrefois, l’instruction, qui s’adressait à une élite, était axée sur les sciences humaines, les lettres, la philosophie et certaines sciences qui étaient considérées comme essentielles à la formation du futur avocat, médecin, notaire, prêtre ou enseignant. Cet enseignement amenait progressivement l’étudiant à se poser les grandes questions existentielles. L’éducation actuelle, en devenant plus pragmatique, en se collant aux nécessités de la société nouvelle et de l’industrie, cherche à stimuler l’intelligence pratique de l’enfant. Il y a de moins en moins de place faite aux arts, à l’histoire, à la philosophie et à la morale et beaucoup plus aux sciences de la nature et aux techniques. On apprend moins à l’étudiant à penser, mais plus à agir. »

C’est dire que les deux situations antérieures d’étudiants ‘choyés’ (INPG) d’un côté et  d’apprenants ‘humiliés’ (étudiants renvoyés du privé) d’un autre côté traduisent parfaitement la représentation que les autorités compétentes et beaucoup d’organismes internationaux se font de l’enseignement-apprentissage contemporain. Pour ces ‘nouveaux maitres du monde’ (Jean Ziegler), l’action, le profit, et l’efficacité transcendent la pensée, l’humanisme, la créativité.

Plus important, les thèses développées dans ‘La Reproduction’ (Pierre Bourdieu) et concernant le système scolaire soulignent que la domination est aussi déléguée au système scolaire qui assure la légitimation de l’arbitraire culturel défini par les classes dominantes. Autrement dit,  l’école renouvelle la structure de la distribution du capital culturel, légitime la répartition inégalitaire et les exclusions et, par-là, participe à la reproduction de l’ordre social par l’exercice  de la violence symbolique et par la dissimulation de celle-ci. (Pierre Ansart, Les sociologies contemporaines).

La discrimination d’une catégorie d’étudiants ainsi que la relativisation croissante de l’enseignement de la philosophie, de la morale, de l’art et  des lettres et sciences humaines (spécialisations pourtant créées par l’Etat) sapent le système éducatif sénégalais tout en perpétuant la reproduction d’un ordre social progressivement distillé par une élite qui en réalité ne se soucie guère de l’avenir de la jeunesse. Face à ce forfait réactualisé par le problème des étudiants du privé, il convient de se poser une série de questions :

L’Etat du Sénégal se préoccupe-t-il vraiment de la formation des étudiants ? Contrôle-t-il vraiment la formation de ces étudiants dans les établissements publics mais surtout privés ? A-t-il vraiment les coudées franches vis-à-vis de ces établissements ? Comment en est-on arrivé à ce que des établissements d’enseignement supérieur, fussent-ils privés, chassent des étudiants des salles de classe pour non-paiement de leurs honoraires ? S’est-on mis à la place de ces pauvres étudiants suite à cette humiliation ? La société sénégalaise (presse, société civile, familles religieuses, ONG, syndicats, etc.) a-t-elle vraiment compati à l’humiliation de ces milliers d’étudiants ? Que reste-t-il du mythe de  l’étudiant ?

En réalité, le temps d’un éclair, on est passé d’une époque où l’étudiant était un mythe qui incarnait l’espoir de tout un peuple, à une ère où ce dernier devient un fardeau lourd à porter au point d’être voué aux gémonies voire chassé des amphithéâtres.

Au-delà de cette injustice notoire à l’égard de ces pauvres étudiants orientés dans les établissements privés, une autre question cruciale mérite d’être posée à savoir  les rapports de transparence entre l’autorité Nationale d’Assurance Qualité de l’enseignement Supérieur (ANAQ-Sup)  et les établissements d’enseignement supérieur publics mais surtout privés.

Pour rappel, l’ANAQ-Sup est une agence autonome mise en place par l’Etat sénégalais et qui a pour mission, entre autres, d’assurer la qualité de l’enseignement et de la formation dans les institutions d’enseignement supérieur privées et publiques au Sénégal.  Ses compétences sont élargies à toutes les institutions publiques et privées d’enseignement supérieur du Sénégal sous la tutelle du Ministère de l’enseignement Supérieur et de la recherche, ainsi que leurs programmes et filières.

Comme son l’indique, l’Autorité Nationale d’Assurance Qualité de l’enseignement Supérieur (ANAQ-Sup) est une agence de l’Etat sous la tutelle administrative et technique du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR), chargée de contrôler, garantir et améliorer la qualité des programmes et des institutions de l’enseignement supérieur.

Elle a pour missions principales de définir, en rapport avec le Ministère chargé de l’Enseignement supérieur et les  établissements d’enseignement supérieur, les standards de qualité à respecter par les établissements d’enseignement supérieur et leurs filières; de concevoir et mettre en place un mécanisme d’assurance qualité compatible avec les objectifs et les exigences de l’enseignement supérieur ; de mettre en place des procédures formelles et d’identifier les critères, pour l’évaluation de la qualité des établissements d’enseignement supérieur ; de donner un avis technique au Ministre chargé de l’Enseignement supérieur sur les demandes d’accréditation des institutions d’enseignement supérieur ; d’évaluer périodiquement les enseignements, les outils et méthodes pédagogiques dans les établissements et les filières; d’assister et accompagner les établissements dans le développement et la mise en œuvre de leur procédure interne d’assurance qualité et d’auto-évaluation.

Mais au regard de la crise actuelle que traverse l’enseignement supérieur et illustrée par la dette de l’Etat du Sénégal à certains établissements privés ayant culminé à l’humiliation de milliers d’étudiants, une seule question mérite d’être posée et débattue : une institution débitrice, fût-elle un Etat, peut-elle objectivement superviser, contrôler ou évaluer des établissements créanciers ? L’Etat du Sénégal peut-il vraiment être exigeant par rapport à la qualité de l’enseignement supérieur au moment où il n’honore pas ses engagements vis-à-vis de ses différents partenaires (en l’occurrence les établissements d’enseignement supérieur privé) ?

En fait, cette série de questions est posée à l’aune du fonctionnement actuel de l’enseignement-apprentissage dans beaucoup d’établissements d’enseignement supérieur publics mais surtout privés de notre pays.

Au Sénégal, à l’approche de la rentrée scolaire , les parents d’élèves sont généralement hantés par le choix de l’école, l’institut ou l’université dans lesquels leurs enfants peuvent étudier paisiblement et espérer une future insertion ; les enseignants regardent à la loupe les établissements dans lesquels ils peuvent partager leur connaissance et  expérience avec les étudiants ; les apprenants s’informent des établissements d’excellence et de qualité susceptibles de leur assurer une formation irréprochable et une insertion professionnelle  assurée ; les établissements publics et privés rivalisent de programmes alléchants, d’uniformes attirants,  de publicité et de communication stratégique à l’endroit du grand public.

Cependant, dans ce tohu-bohu indescriptible, aussi bien les parents d’élèves et les apprenants que les enseignants sont généralement à court d’informations objectives et précises permettant de faire un choix judicieux parmi ces établissements. Alors une fois l’établissement choisi sous l’emprise d’une propagande voire une publicité mensongère, des malentendus et des incompréhensions rythment le quotidien des usagers de ces ‘chevaux de Troie’ de l’enseignement supérieur sénégalais. En général, soit les programmes et modules  d’enseignement superfétatoires insidieusement distillés dans tous les canaux médiatiques sont loin de correspondre  avec les contenus dispensés aux apprenants, soit ces établissements,  se déguisant pour la plupart en temples du savoir,  ne sont en réalité mus que  par  le profit et l’appât du gain.

Et parmi les conséquences directes de ce fléau contemporain figurent la baisse drastique du niveau des apprenants en dépit du sacrifice financier consenti par leurs parents et proches, la démotivation des enseignants à se sacrifier pour leurs étudiants et le désintérêt des apprenants à la quête d’une érudition et d’un épanouissement  personnels et professionnels.

En fait, ces ‘chevaux de Troie’ ont ceci de particulier qu’ils confondent privatisation de l’enseignement et mercantilisation de la formation et du savoir. Faisant de ce principe leur crédo, ces businessmen déguisés, loin de considérer les apprenants comme les acteurs centraux du système éducatif et les enseignants comme l’épine dorsale dudit système, traitent les premiers comme de simples clients et les seconds comme de vulgaires sous-traitants. Dans cette logique mercantile qui se fait sous le nez d’un Etat spectateur, la rentabilité des entreprises d’enseignement supérieur est privilégiée au détriment de la formation, de l’épanouissement et de la réussite des étudiants.

Dans ce contexte, même si la plupart de ces établissements s’affublent du sobriquet d’établissement d’excellence et de prestige, ils n’incarnent pas du tout l’image qu’ils essaient de donner d’eux-mêmes aux parents d’élèves, aux étudiants, aux autorités, bref au grand public.

Ainsi, face à ce phénomène, l’Etat du Sénégal a l’obligation d’intervenir le plus vite possible pour nettoyer les écuries d’Augias de l’enseignement supérieur pour le grand bénéfice des apprenants, des parents d’élèves, et de tout le  système éducatif du pays. Mais le hic est que la satisfaction de cette demande sociale passe inéluctablement par le paiement de la lancinante  dette du gouvernement du Sénégal à certains établissements d’enseignement supérieur privé ! C’est dire le dilemme cornélien auquel fait face ce gouvernement.

Mais en attendant de résoudre cette aporie, permettons quand même à nos jeunes frères, sœurs, fils et filles, étudiants et étudiantes de poursuivre leurs  études !

 

Birame SARR

Chercheur en tourisme, Economie et Gestion

Université Las Palmas de Grande Canarie (Espagne)

sarrbirame@hotmail.fr

 

L’article Que reste-t-il du mythe de l’étudiant ? .

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