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Un Grand Ministre De La Culture Est Mort !

Un Grand Ministre De La Culture Est Mort !

Dans mon essai consacré à Sédar, “Senghor ma part d’homme”, nous avons mis au grand jour l’énorme travail accompli par Moustapha Ka, ce précieux et tranquille serviteur de l’État qui a animé le cabinet du Président Abdou DIOUF avant d’être son Préposé au département de la Culture. Il arrive que le Sénégal oublie et oublie très vite de hauts fonctionnaires qui l’ont servi avec une rare compétence, une rare humilité, une rare discrétion. Il y a peu, tous ensemble, nous consacrions le plus émouvant des hommages à un homme, qui au regard de notre vécu républicain d’aujourd’hui, semblait sorti d’une autre planète que la nôtre. Nous parlons, bien sûr, de Bruno Diatta. Nous en avons eu d’autres, moins exposés, moins visibles, qui travaillaient, se taisaient. Un grand cinéma à ciel ouvert projette des images d’une vague effrayante de serviteurs de l’État ivres de pouvoirs. Le Sénégal ne va pas bien dans la manière de faire de la politique. La politique n’est pas de l’ivresse. On peut faire de la politique et être digne et distingué. Nous en connaissons qui le sont, même s’ils sont peu nombreux. Ceux-là ont été sauvés par leur culture et leur humilité et se sont crées une sorte d’esthétique politique. Une posture noble et racée qui n’entache en rien leur engagement.

Depuis 1976, du ministère de l’Intérieur au ministère de la culture où nous avons servi, nous en avons vu et connu. Des hommes et des femmes admirables, à qui leur fonction ouvrait tant de lumières, mais qui ont choisi l’anonymat. Non, ce pays n’était pas perdu et il ne sera pas perdu. Moustapha Ka qui vient de nous quitter a servi la République. Nous pouvons en témoigner. Il a été de ces esprits brillants et éclectiques qui ont donné au cabinet du Président DIOUF une haute aura républicaine. Nous pourrions passer très vite en révélant sous Abdou Diouf les visages de Babacar Carlos MBAYE, le diplomate velouté, Souleymane Bachir DIAGNE, le Conseiller culturel au verbe qui commerçait avec une puissante et fine pensée. Au cœur des affaires publiques, ces hommes là, comme le résumait Jean d’Ormesson, « peuvent exercer la plus profonde influence sur leurs temps ».

 Pour que nul n’en ignore, dès sa nomination à la tête de la Culture, Moustapha Ka nous a demandé de venir l’épauler dans son cabinet, alors que nous étions en France, auprès de Senghor, loin du cher pays. Nous nous sommes vite confiés au Président et poète Sérère. Il n’était pas enthousiasmé de nous voir le quitter pour Dakar. Nous finîmes par trouver une formule consensuelle. Nous arrivâmes ainsi dans le cabinet de celui qui vient de nous quitter, sous forme d’un détachement administratif consenti par le ministère de l’Intérieur, département de tutelle. C’est cet homme qui savait beaucoup écouter et qui parlait peu, qui permit de donner au Sénégal deux événements institutionnels majeurs qui ont résisté au temps et qui ont beaucoup évolué, depuis: la Biennale de Dakar  et les Grands Prix  du président de la République pour les arts et les lettres. Il faudra y ajouter le Festival  National des Arts et des Lettres -FESNAC- et l’acquisition de la maison de Birago Diop comme siège de l’Association des Écrivains du Sénégal avec Amadou Lamine Sall comme président. Plus tard, Mbaye Gana Kébé l’inoubliable et Alioune Badara Bèye passionnément engagé, prendront le relais. Sous Abdou DIOUF, la Culture qui, disait-on, mourrait, se mit à revivre. En effet, ne remplace pas Senghor qui veut. Avec Moustapha Ka, notre pays reprenait sa place dans le concert culturel mondial. Sur la scène nationale, Senghor lui-même ne réapparut après son départ volontaire du pouvoir, qu’en 1990, lors de la 1ère édition de la Biennale des Lettres et des Arts de Dakar. En entrant ce matin là dans la salle du Théâtre national Daniel Sorano, le président Abdou DIOUF trouva Senghor assis au premier rang, debout pour l’accueillir avec toute la salle. Ils étaient tous là: Wole Soyinka, Ahmadou Kourouma, Henri Lopès, Bernard Dadié qui approche aujourd’hui de ses 102 ans, Maurice Druon le Secrétaire perpétuel de l’Académie française. Nous avions supplié Senghor de venir prendre  part à ce grand rendez international qui honorait l’Afrique. Nous  avions fait le siège de son bureau, dans l’appartement du 17ème arrondissement de Paris. Toujours et toujours, il nous avait répété sans se lasser: « Mon cher poète, je ne voudrais, en aucun cas, gêner mon successeur ». Au présidium, aux côtés d’Abdou DIOU, son ministre de la Culture Moustapha Ka que nous pleurons, Amadou Lamine Sall, Jean Louis Roy le Secrétaire Général de la Francophonie et le haut Représentant de l’Unesco.

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Voilà, entre autres faits d’armes, ce qu’ont été les combats gagnés par le ministre de la Culture Moustapha Ka. Dès l’annonce de son grand sommeil, j’ai aussitôt pensé à nos amis qui ont cheminé avec lui: le fantastique Moustapha Tambadou, Ibrahima Guèye, l’ami entier, l’irremplaçable Madieyna Ndiaye qui, comme directeur littéraire des NEAS, critique et implacable dans la sanction, nous a appris, dans l’exercice de la poésie, à prendre le temps de choisir ou le chemin de l’excellence ou le chemin des poubelles. Il nous a attelé à de grands chevaux !

Est-il besoin de l’évoquer ? Ce n’est pas nous qui avons fait le constat. C’est l’histoire qui nous l’a légué, en bâtissant la légende d’hommes qui ont marqué leur pays et le monde en servant la République comme ministre de la Culture. Ils sont connus et encore cités aujourd’hui, plus de 40 ans, pour certains. Malraux le ministre des Affaires culturelles du Général de Gaulle dont Pompidou avait chuchoté le nom au têtu et infernal Général en lui disant: « auprès de vous, Malraux donnera du relief au gouvernement ». Il ne s’était pas trompé ! Il a fallu attendre Francois Mitterrand pour voir un certain Jacques Lang inscrire son nom dans l’histoire, sans faire oublier Malraux. Chez nous,  il  faudra bien citer encore un Sérère: Alioune Sène! Depuis, on n’en cite pas beaucoup. On en a plutôt oublié beaucoup, jusqu’à leur nom, pour en dire le moins. Pourtant les moyens n’ont pas manqué. Mais, à bien y penser, comme le diagnostiquait l’incontournable Ambassadeur de Tombouctou: «Ce ne sont pas de confortables budgets qui font un bon ministre de la Culture. Certains arrivent avec une ignorance attendrissante et vous ne savez plus quoi en faire. La magie est ailleurs. C’est d’une autre alchimie dont il s’agit. Quand ce qui gouverne en premier l’homme de culture manque le plus, le mal s’installe. La honte prospère. La culture exige de sortir des cavernes.» 

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Pour notre part, en ce moment de douleur, nous préférons déserter les chemins d’épines du provocant Ambassadeur, pour dire tout simplement, avec respect et humilité, qu’en tout, nous devrions préférer l’esprit à la chair. La culture est la meilleure voie, tout court, pour se défaire du désordre et de l’anarchie, de l’animalité, en un mot. D’autre part, et il ne faut pas le taire, pour un Chef d’État, un engagement culturel est d’abord un engagement politique, ensuite un engagement budgétaire qui aboutit à des réalisations concrètes, visibles, mesurables. C’est cet engagement qui prélevait près de 1% du budget français au profit de la Culture, comme le souhaitait le prince Mitterrand. Cette volonté politique a donné les grandes infrastructures culturelles laissées dans l’histoire et pour l’histoire par le Président Français. Cela a évidemment rendu Jacques Lang fort visible, sans compter la propre audace, la proximité, la popularité de ce ministre cultivé, ouvert, visionnaire  et innovant.

Mon vœu citoyen et d’humble petit homme de culture, est que notre président de la République réalise les grandes infrastructures que sont la Grande Bibliothèque nationale combinée aux Archives Nationales, l’École des Beaux arts et des Métiers combinée à l’École d’Architecture. Qu’il créait enfin deux Fonds dédiés avec 1 à 2% prélevés sur les revenus du pétrole et du gaz: le « Fonds des Générations » pour anticiper sur la protection de l’avenir de notre jeunesse dans  25-50 ans. Le Fonds dédié aux infrastructures, dont celles culturelles. Il faut profiter de cette manne pour mettre à l’abri, à long terme, notre jeunesse et la mise en place d’infrastructures de développement dont de moyennes et grandes industries de transformation, sans compter nos propres investissements dans la recherche et les technologies. « Il nous faut des termes de références fixant les clauses incompressibles qui protègent notre souveraineté. Il nous faut une souveraineté permanente sur nos ressources naturelles. Par ailleurs, la transparence chasse l’arbitraire. Il nous faut alors des citoyens organisés qui veillent sur la souveraineté incompressible de notre économie », nous  confiait un éminent fils de ce pays chéri. Cela nous semble être si bien dit ! Nous avons confiance !

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Toutes nos pensées vont à la famille de Moustapha Ka. Nous retenons de lui un homme posé, apaisant, instruit, alerte, qui avait fait de l’esprit sa lampe de chevet, son carnet de route, son legs au futur. Il avait rêvé et travaillé pour qu’un État serve et protège la pensée, œuvre pour une société de savants et de créateurs éblouissants. Il était venu donner à l’orchestre du président Abdou DIOUF une nouvelle symphonie culturelle à laquelle le Sénégal ne pouvait pas ne pas répondre, quel que soit le prix de l’ajustement structurel qui se refermait sur le Sénégal sous le régime du Président Diouf.

Pour notre part, la Culture restera notre 1er rempart contre toutes les peurs. Moustapha Ka a rempli sa mission. Que notre jeunesse n’oublie pas son nom !

Monsieur le ministre: merci. Va, Allah et Son lumineux prophète Mohamed ont déjà mis la table pour toi ! La terre de Touba où tu dors depuis ce dimanche 4 novembre, porte déjà des promesses immenses ! Que cette autre vie que tu entames au ciel, soit mille et une fois plus belle que celle d’ici bas.

Amadou Lamine Sall est poète, ancien 1er Secrétaire Général de la Biennale des Lettres et des Arts sous le défunt Moustapha Ka

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