L’homme de la gouvernance sobre et vertueuse vient d’avouer ce que les Sénégalais avaient toujours soupçonné et même — pour certains d’entre eux — clamé : La neutralisation de Karim Meïssa Wade (KMW) et Khalifa Ababacar Sall n’obéit qu’à l’impératif de lui permettre d’avoir un second mandat les doigts dans le nez. Après, eh bien, après avoir rempilé, ces deux dangereux empêcheurs d’être réélu pourront recouvrer tous leurs droits, être amnistiés et, si tel est leur vœu, se présenter à la présidentielle de 2024. L’important, c’est qu’ils ne soient pas un obstacle à sa victoire au soir du 24 février prochain. Ils ont refusé de jouer le jeu ? Tant pis pour eux, je vais leur montrer que la « justice », dans ce pays, est à mes ordres ! Ainsi fut fait.
Sous la grotesque accusation d’ « enrichissement illicite » à hauteur de plus de 1 000 milliards de nos francs — les juges ont finalement ramené le « préjudice » à 138 milliards —, Karim Wade a été condamné à l’issue d’un procès loufoque à six ans de prison ferme et à payer la somme prétendument détournée. Après trois ans de prison, il a bénéficié d’une grâce présidentielle et mis dans un avion le soir même de sa libération pour un exil forcé au Qatar. Apparemment, les termes du « deal », c’était qu’il devait se tenir à carreau jusqu’après l’élection présidentielle de l’année prochaine.
Seulement voilà : le candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS) n’entend pour rien au monde rater cette importante échéance. Il ne fait pas mystère de son intention de revenir par tous les moyens participer au scrutin du 24 février 2019. Ce que sachant, les responsables du parti au pouvoir multiplient les menaces du genre : « il sait bien que sa grâce n’était que partielle ; par conséquent, s’il s’amuse à revenir au Sénégal, il sait ce qui l’attend puisqu’il devra payer les 138 milliards de dommages et intérêts qu’il doit à l’Etat. Nous n’hésiterons pas à appliquer la contrainte par corps ».
Autrement dit, à jeter Karim Meïssa Wade en prison dès qu’il rentrera dans son propre pays ! et nous qui pensions naïvement que le président Macky Sall et ses sbires se réjouiraient d’un retour du seul condamné de la CREI — à part Tahibou Ndiaye, dont la condamnation à une peine ferme n’a jamais été exécutée, Dieu sait pourquoi !—, en se disant qu’il va enfin renflouer le trésor public dont le manque de liquidités est désormais reconnu même par le ministre de Finances !
Logiquement, s’ils ne se souciaient que des seuls intérêts financiers du pays, les gens du pouvoir devraient donc, au contraire, tout faire pour que l’exilé du Qatar décide d’abréger son séjour afin de revenir au Sénégal et payer sa « dette » de 138 milliards au trésor public. Au lieu de quoi, on le met en garde de revenir—en tout cas pas avant février 2019 —, allant même jusqu’à sous-entendre qu’il ne serait même pas autorisé à débarquer à l’aéroport de Diass. Autrement dit, qu’on lui ferait subir le sort de l’opposant congolais Moïse Katumbi, lui aussi principal obstacle à une réélection du président Joseph Kabila—finalement, après avoir tenté de violer la constitution de la République démocratique du Congo, le président congolais a reculé sous les pressions—ou à une élection du dauphin de celui-ci, le sieur Emmanuel Ramazani Shadary. Katumbi, donc, après avoir lui aussi été condamné à trois ans de prison pour une fantasque affaire d’«escroquerie immobilière » avait réussi à quitter le pays avant de décider d’y revenir pour présenter sa candidature à la présidentielle de décembre prochain. Eh bien, son avion avait été interdit d’atterrissage dans tous les aéroports du pays et les compagnies aériennes avaient été sommées de ne pas l’embarquer à bord de leurs vols. Ayant voulu pénétrer malgré tout en territoire congolais, il s’était rendu en Zambie d’où il avait tenté de pénétrer dans son pays par la voie terrestre. La frontière avec ce pays avait été fermée et l’armée déployée. Bref, c’est le traitement que l’homme à la gouvernance sobre et vertueuse et son régime voudraient réserver au fils du président Abdoulaye Wade. Or, si l’on a bien compris, même si l’on veut exercer la contrainte par corps, on doit au moins laisser le concerné revenir dans son pays, lui faire une sommation de payer avant, en cas de refus de s’exécuter de sa part, le prendre pour le conduire en prison.
Hélas, nos gens ne veulent même pas voir Karim Wade roder autour du Sénégal à partir des pays voisins, à plus forte raison revenir au bercail. Et pourtant, il faut bien qu’il rentre avant la prochaine échéance électorale, le candidat du PDS. Car non seulement les militants de son parti l’attendent, mais aussi d’innombrables sénégalais qui souhaitent qu’il prenne part à la présidentielle du 24 février prochain. Disons-le clairement : nul ne devrait pouvoir empêcher Karim Wade de revenir dans son pays. Macky Sall voudrait le faire retourner en prison ? Grand bien lui fasse, mais au moins qu’il permette que l’homme présenté comme son plus sérieux rival à la présidentielle puisse rentrer d’abord ! et puis, encore une fois : il n’est pas admissible que l’actuel président de la République se présente à un scrutin à la participation duquel il aura écarté de la manière que l’on sait — c’est-à-dire par le biais de juges aux ordres —, ses deux plus redoutables adversaires. À savoir, encore une fois, Karim Meïssa Wade et Khalifa Ababacar Sall.
C’est facile de considérer la réélection comme acquise après avoir mis en prison ou exilé ses deux principaux challengers. Dire qu’après la présidentielle, et donc en cas d’obtention d’un second mandat, tout est envisageable, y compris une amnistie, c’est avouer crument que tout le monde savait déjà, à savoir que la justice a été instrumentalisée pour neutraliser deux dangereux rivaux. Or, encore une fois, Karim Wade et Khalifa Sall doivent absolument participer à la prochaine présidentielle. Le Sénégal ne va pas faire moins que le Mali voisin quand-même qui a permis à 24 candidats de briguer la dernière présidentielle. Tout s’était bien passé et le président Ibrahima Boubacar Keïta avait été réélu haut la main. Notre justice en prend pour son grade dans toutes les instances régionales (Cedeao pour les affaires Khalifa Sall et Karim Wade) et internationales (groupe de travail des nations unies pour les détentions arbitraires puis, cette semaine même, Comité des droits de l’Homme de l’Onu) où ses décisions sont considérées comme des torchons. Normal, une juridiction d’exception comme la CREI ne saurait trouver grâce aux yeux d’aucun État de droit, aucun organisme, aucune juridiction régie par le droit et travaillant sur le droit.
C’est une juridiction destinée à faire le sale boulot pour le président Macky sall et elle l’a bien fait. Quand elle a voulu dépasser la limite et convoquer d’autres personnalités figurant dans la fameuse liste de 25 dirigeants de l’ancien régime soupçonnés de s’être enrichis illégalement, on lui a dit : « stop » et elle a arrêté. Ce qu’on lui demandait, c’était de coffrer Karim Meïssa Wade, guère plus. Après quoi, mission terminée pour elle. Une chose est sûre en tout cas : avec le cinglant désaveu que le Comité des droits de l’Homme de l’Onu vient d’infliger au Sénégal à travers la CREI, on se demande encore qui pourra bien empêcher Karim Meïssa Wade de rentrer et de se présenter à la prochaine présidentielle. Et tant pis si cela fout la frousse à certains !