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Hydrocarbures, Les Germes De La MalÉdiction

Hydrocarbures, Les Germes De La MalÉdiction

C’est le penalty qualificatif pour l’accession du Sénégal en première ligue des nations mais, mobilisés autour du ballon, des tireurs de tous poils ont réuni les conditions pour rater l’occasion en or.

La parabole sportive s’applique, au vrai, à ce qui risque d’advenir à notre pays dans le traitement de la plus grande opportunité dans l’histoire de son développement. Malheureusement, au lieu de réussir sa percée dans la féroce course inter-États, c’est plutôt l’ombre d’une fatale malédiction qui plane sur sa tête. Triste perspective l’éloignant, contre toute logique, de la possibilité de se dépêtrer, en élargissant ses possibilités, de ce qui, à ce jour, le caractérise. En un mot, de cesser de n’être encore que ce pays connu pour son soleil, sa démocratie, quoique déclinante, ses phosphates, son arachide ou la faconde de son peuple, théoricien en tout, praticien reconnu de peu de choses…

Son malheur pourrait venir du plus grand don qu’une nature, soudain prodigue, lui a fourni à travers le surgissement, du fond de ses entrailles terrestres et maritimes, de ressources inespérées en hydrocarbures en quantités commerciales appréciables.

Paradoxe de la prospérité

Alors qu’il pouvait dès à présent s’envisager en nouvel émirat noir, où le niveau de vie des populations serait fortement relevé, c’est l’inverse qui risque de se produire… Sommes-nous en train de revivre ici la vieille tragédie de la malédiction des ressources, le paradoxe de la prospérité, qui a affligé tant de nations depuis la nuit des temps ? Les risques qui guettent le Sénégal sont nombreux. On peut, sans être exclusif, en citer les plus imminents : ruée vers l’industrie pétrogazière ; appréciation de sa devise, source de ce que l’on a identifié comme le mal Hollandais de sinistre mémoire ; économie mono-industrialisée ; abandon de secteurs riches en emplois, comme l’agriculture ; tensions politiques, communautaires ou ethniques internes autour de la nouvelle rente ; pillage connexe des ressources par des élites politiques, socio-religieuses et professionnelles corrompues ; mainmise des multinationales sur les leviers de commande de l’économie par le bais d’une asymétrie d’information, de savoir et de moyens technico-financiers; extraversion d’une économie plus assujétie que jamais aux chocs exogènes de ressources cycliques ; sans compter les errements déjà posés au détriment de l’intérêt national pour capturer, privatiser, les ressources dès leurs premières senteurs.

Dans la formidable saga des hydrocarbures ayant transformé la vie de nations et peuples à travers le monde depuis qu’en particulier leur utilisation est devenue fondamentale pour lubrifier les économies planétaires dépendantes de leur apport énergétique, le Sénégal, n’était jusqu’ici qu’au bout de la chaîne -passivement tributaire de leurs yoyos.

Il avait donc la latitude de voir les maux qu’ils ont générés à côté d’incontestables bienfaits sous d’autres cieux. Quand, par un coup de chance, ledit colonel Drake parvient à forer fructueusement le premier puits pétrolier aux USA, en août 1859, seule la perspicacité des Congressistes américains, via le Sherman Act de 1911, put brider le capitalisme monopolisateur de l’ancêtre Rockefeller. Ce fut le coup d’envoi du siècle américain sur l’économie mondiale. Mais que de larmes ailleurs, sur des terres aussi, sinon plus, dotées de ces ressources magiques, qu’on n’hésitera pas à appeler, surtout le pétrole, or noir.

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Des sables gorgés de pétrole à Bakou, en Azerbaïdjan, des terres lourdes de l’Orinoco, au Venezuela, à celles bitumineuses de l’Alberta, au Canada, mais aussi au golfe du Mexique, des sols arides en apparence mais mirifique de la péninsule arabo-persique, jusqu’en Afrique, du début du siècle dernier à nos jours, le miracle des hydrocarbures continue une tradition, jamais démentie, portant sur leurs traces les miracles modernes.

C’est depuis la Mésopotamie, là où l’on croyait avoir affaire à des feux sacrés, que, cuisinés dans les écorces de la terre ou dans les profondeurs maritimes, pétrole et gaz sont devenus les moteurs de la modernisation de notre planète. Si bien que tout pays qui en abrite est considéré comme faisant partie de ceux bénis du ciel. Sans eux, sans leur capacité à produire une richesse fulgurante, qui se serait intéressé à une Arabie Saoudite que l’Ambassadeur Britannique d’alors considérait vers la fin des années 1930 comme une terre infertile. Avant que le miracle ne se produisit pour en faire la banque centrale des hydrocarbures, The Swing State, régulateur de leurs flux et prix au niveau mondial ; entraînant dans son sillage d’autres nations qui, au début du siècle dernier, comme l’Iran, n’avaient d’autre choix que de confier leur destin à des…aventuriers. Tel William Knox D’Arcy, attributaire en 1901 d’une concession couvrant le territoire iranien moyennant 500 000 livres sterlings.

Arme géopolitique

Pendant longtemps, dominés par les majors, ces grands groupes, essentiellement Européens et Américains qui avaient flairé le pactole, les pays producteurs se résignèrent à signer des contrats léonins de concessions où ils subissaient les prix postés par leurs maîtres sans avoir voix au chapitre. Qu’en 1938, le Mexicain Perforio Diaz, provoque une brèche dans l’armature en nationalisant le pétrole de son pays, ou qu’en 1951, les Iraniens tentent d’en faire de même en renversant le régime de Mossadegh, rien ne semblait vraiment remettre en question la relation déséquilibrée dans l’industrie pétrogazière.

Puis, consécutivement au Cartel des Majors, réunis à Achnacarry, en Écosse, en 1928, pour s’entendre sur le dos des pays producteurs, intervint le grand mouvement de balancier qui change la face de l’industrie des hydrocarbures. La création de l’organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), en septembre 1960, le boycott par les États arabes des pays occidentaux en 1973, pour les punir de leur impie alliance avec Israël, ou encore l’instauration au début des années 1980 d’un prix spot, dans une industrie, réduite à chercher des expédients après l’instauration d’un régime théocratique en Iran, ne sont pas les seules raisons des mouvements difficiles qui la déterminent. Plus significativement, l’industrie pétrogazière est désormais une arme géopolitique dont la plus marquante utilisation a été celle qu’en a faite Ronald Reagan au milieu des années 1980 pour priver l’ex-Union soviétique de ses moyens -et donc gagner la guerre froide par le pétrole et le gaz plus que les armes.

C’est dire qu’en devenant un pays pétrogazier, escomptant au moins 150 milliards de dollars de retombées de ses réserves prouvées, sur une trentaine d’années, en attendant que la manne révèle ses autres facettes, le Sénégal est en droit de projeter un regard optimiste sur son avenir. Surtout dans un contexte où, perçue comme la dernière frontière du développement, l’Afrique, son continent-siège, lui donne un bonus additionnel. Investisseurs bilatéraux et multilatéraux s’y bousculent. Et non des moindres les multinationales pétrogazières.

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Puisque la doctrine d’une gestion vertueuse est maintenant connue, c’est à ses dirigeants et à son peuple d’être vigilants pour ne pas rater ce rendez-vous monumental. Il n’est plus besoin d’être sorcier pour savoir ce qu’il faut surveiller, avec les différents types de contrats, allant de la concession, en déshérence, au partage de production, au contrat de service ou de participation. Sans oublier les bonus de signatures, les fonds pour la restauration environnementale ou encore la prise en charge du contenu local et la surveillance des transferts de prix, le gold-plating et le ring-fencing, mesures destinées à assurer que la rente bénéficie à des pays producteurs, comme le nôtre, mais pas à de cupides, immorales, multinationales, championnes dans les tricheries.

Camarilla autour des richesses

Les raisons d’être pessimistes s’étalent hélas à perte de vue depuis que le Sénégal est entré dans le cercle restreint des pays nantis de ces ressources tant recherchées par tous…

La première est qu’à la différence des pays ayant réussi leur gestion des hydrocarbures, aucune discussion sérieuse n’a été engagée avant que des décisions paralysantes et destructives de valeurs ne soient prises. Les hydrocarbures ont été bradés avant la lettre. Au mépris des dispositions du droit international, notamment de l’Organisation des nations unies (Onu) qui garantissent la souveraineté des peuples sur leurs ressources naturelles.

Non content d’avoir mis la charrue avant les bœufs, le leadership politique au pouvoir ces dernières années a fait pire, dès l’entame du match, que presque tous les pays riches en ressources naturelles. Ou, ailleurs qu’ici, a-t-on vu, ou pis, a-t-on pu jusqu’ici fermer les yeux sur l’attribution du premier grand contrat, sur des réserves potentielles, prouvées depuis, rien moins qu’a Aliou Sall, frère du nouveau président de la République, Macky Sall, de mèche avec Frank Timis, celui qui détient le record de la plus lourde peine pour fraude sur la bourse de Londres. Pire, en s’excusant à partir d’un Code pétrolier trop généreux adopté en 1998, le régime a ramassé des bonus de signatures, par milliards, aussitôt empochés par la camarilla née autour des nouvelles richesses.

Encore plus grave, il a ouvert les portes d’un secteur pétrogazier…émergent, par le biais du farm-out, un affermage fleurant bon le blanchiment à des firmes, comme Kosmos ou British Petroleum, ce dernier étant condamnée à 63 milliards de dollars pour sa pollution dans le Golfe du Mexique après l’explosion de la plate-forme de Macondo, il y a dix ans. Sentant que le Sénégal était mûr pour se laisser gruger de ses ressources naturelles, la française Total, puis la malaisienne Petronas, sont venus se servir. Le tout se faisant sans débat, ni vraie implication de la société nationale, Petrosen.

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Dès les départ les germes de la malédiction ont donc été plantées, et alors qu’il ne reste que trois ans pour les premières récoltes pétrogazières, il y a fort à parier que le Sénégal risque de n’avoir plus que ses yeux pour pleurer. Ses ressources ont déjà été bradées.

Qu’on ne s’y trompe pas : pour paraphraser l’agronome Rene Dumont, le Sénégal est mal parti. Ce qui le confirme ce sont les propos qu’un spécialiste, rencontré lors de la plus grande conférence annuelle de Londres sur le pétrole et le gaz mondial. “A moins de quelques semaines de la décision finale d’investissements, British Petroleum”, qui vient se refaire une santé sur la côte ouest-africaine, “n’a toujours pas dit aux Sénégalais et Mauritaniens son prix pour le gaz qu’elle traite à leur compte sur le lucratif champs gazier dit Tortue, qu’ils veulent exploiter ensemble”.

Floué, le Sénégal l’est davantage qui a du déboursé 400 millions de dollars pour l’exploration et le développement de ce champs, par avance, alors que la pratique universelle veut que ce soient les sociétés multinationales de pétrole (IOC) qui prennent ce risque, par la technique du portage du pays-hôte.

De graves questions se posent : au-delà des blablas, des micmacs du machin CosPetroGaz, et surtout des errements corruptogènes, justiciables de punitions pénales et pécuniaires en maints juridictions, le Sénégal s’est-il volontairement mis en auto-recolonisation, par l’entremise de ses décideurs qui l’ont bradé alors que ses chances de monter en gammes n’avaient jamais été aussi fortes ? En plus, en gageant des ressources non-encore exploitées pour s’endetter à tour de bras, ils ont fini par le placer en…banqueroute. Profiterons-nous de nos richesses en hydrocarbures pour voir le niveau de vie dans notre pays s’élever ? Sommes-nous voués à n’entendre, pour ne jamais en recevoir, les tintements des devises qu’elles généreront ? Verrons-nous notre pays être doté des infrastructures idoines pour la génération d’électricité à partir de notre gaz ? Serons-nous un pays à l’avant-garde de la pétrochimie, transformant partiellement nos hydrocarbures en engrais et phosphates ? Quels seront les Sénégalais qui seront employés dans la haute partie de la chaîne de valeur d’une industrie éminemment technique ? Bref, sommes-nous ou non partis pour être parmi les gagnants…certains se frottant déjà les mains, comme pour signifier que les jeux sont déjà faits.

Triste. Ailleurs, de la Norvège à la Grande Bretagne, au Canada, à l’Arabie Saoudite, aux Émirats arabes unies, aux Usa, au Qatar, et, jusqu’à récemment, en Irak, en Iran, au Venezuela, les exemples foisonnent qui montrent que la malédiction n’est pas l’horizon des pays riches d’hydrocarbures. D’autres, restes pauvres, corrompus, travaillés par l’instabilité et la violence, prouvent le contraire.

Le Sénégal s’est inscrit à l’école de la malédiction. L’en sortir relève d’un casse-tête chinois plus complexe que celui qu’il a fallu résoudre pour mettre à jour ces ressources : l’espoir est en passe de se transformer en grave déroute.

SOS, danger !

Journaliste-écrivain, Adama Gaye est un consultant spécialisé, entre autres, dans les hydrocarbures

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