Alors que l’affaire Karim Wade semblait avoir définitivement pris fin, le Haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies a transmis au Sénégal, le 14 novembre 2018, des constatations relatives à la communication n° 2783/2016 du Comité des droits de l’homme en considérant que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’Etat partie .
Un tel avis a été rapidement présenté par les avocats de Karim Wade comme une condamnation du Sénégal par l’ONU et annulation de l’arrêt de la CREI du 23 mars 2015. Cependant, Comité des droits de l’homme de l’ONU n’ayant pas de pouvoirs juridictionnels une telle présentation apparaît peu conforme à la portée juridique des constatations du Comité des droits de l’homme.
En effet, l’article 5.4 prévoit que « le Comité fait part de ses constatations à l’Etat partie intéressé et au particulier ». Celles-ci sont ensuite rendues publiques. Lorsque le Comité « constate » une violation de l’un des droits protégés par le Pacte, la communication de ses constatations est accompagnée d’une « invitation » de l’Etat partie à accorder réparation à la victime.
Il demeure que de telles constatations ne constituent qu’un simple avis du Comité qui ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte à l’égard des Etats parties. Le Comité des droits de l’homme, qui n’est pas doté de pouvoirs juridictionnels, ne rend en effet pas de décisions obligatoires. Ses constatations ont seulement un effet incitatif : il recommande la mise en œuvre de remèdes sans pouvoir contraindre ni les juridictions internes à reconsidérer leur position dans l’affaire en cause, ni l’Etat à indemniser l’auteur de la communication ou à modifier son droit.
Le Comité des droits de l’homme, s’il bénéficie d’une grande autorité grâce au nombre d’Etats parties au Pacte et à son large pouvoir d’interprétation, fait face au non-respect par les Etats de ses recommandations car le Comité relève un faible nombre de réponses totalement satisfaisantes de la part des Etats parties.
Le comportement de la France est assez révélateur de l’attitude de certains pays européens vis-à-vis des décisions du Comité. Dans ses réponses aux constatations du Comité dans l’affaire J.O (Communication n° 1620/2007J.O. c. France, 27 avril 2011) ; la France a déclaré que « la question du réexamen d’une condamnation pénale définitive suite à une décision du Comité constatant une violation du Pacte n’a pas été soulevée lors des débats parlementaires, et n’a pas fait non plus l’objet d’un quelconque amendement » alors que l’Etat était en train d’examiner un projet de loi visant à permettre le réexamen d’une condamnation suite à une décision de la CEDH. La France note que le Comité n’est pas un organe juridictionnel et donc qu’elle « n’entend pas proposer de modifications en ce sens ».
De la même façon, dans ses réponses aux constatations pour l’affaire Mann Singh (Communication n° 1928/2010Mann Singh c. France, 26 septembre 2013), la France souligne le caractère non obligatoire des décisions du Comité et déclare qu’elle ne mettra pas en œuvre les recommandations du Comité : « Le régime administratif interne est conforme aux normes internationales et européennes […]. La France a pris note des constatations du Comité, mais ni le Conseil d’Etat français ni la Cour européenne des droits de l’homme n’ont considéré que la réglementation en question fût contraire à la liberté de religion ou au principe de non-discrimination. »
Nombre de pays membres ratifient le Pacte mais préfèrent faire confiance à leurs juridictions nationales et aux juridictions supranationales.
Conclusion
Faute d’être une juridiction et d’en avoir la compétence, le comité des droits de l’homme de l’ONU ne saurait dès lors avoir « condamné » le Sénégal dans l’affaire Karim Wade, ni remettre en cause les décisions de la CREI et de la Cour Suprême
SADA DIALLO – JURISTE – PRESIDENT DU MOUVEMENT SICAP DEBOUT
diallojuriste@hotmail.com
L’article Affaire Karim Wade: Avis juridique sur la portée des constatations du Comité des droits de l’homme de l’ONU .