– Le projet de loi de finances 2019, en cours de votation à l’Assemblée nationale, est arrêté à 4 071,8 milliards de FCFA répartis entre le budget général de l’État (3 937,6 milliards de FCFA) et les comptes spéciaux du Trésor (134,2 milliards de FCFA). Ces montants ont fait la manchette d’une certaine presse en donnant l’impression que le Sénégal est devenu très riche depuis que Macky Sall est à sa tête et Amadou Bâ devenu son argentier.
Au-delà du sensationnalisme, un examen exhaustif de ce projet de loi de finances permet de se rendre compte, qu’il ne servira, en premier lieu, qu’à entretenir le train de vie dispendieux et injustifié de l’État au détriment de la prise en charge des vraies préoccupations du peuple. On se rend compte, également, que ce projet de loi recèle plusieurs absurdités, faussetés et incongruités.
L’élite politique et administrative grassement entretenue, le peuple trinque
Dans le projet de budget qui est en cours d’adoption, plus de 132 milliards CFA seront alloués, au titre de budgets de fonctionnement et d’investissement, à la Présidence de la république (86,2 milliards FCFA), à la Primature (14,5 milliards FCFA), à l’Assemblée nationale (16,8 milliards FCFA), au Conseil Économique, Social et Environnemental (6,2 milliards FCFA) et au Haut Conseil des Collectivités Territoriales (8,6 milliards FCFA). Outre ces 86,2 milliards FCFA, la Présidence de la république reçoit, en plus et entre autres, des crédits dédiés au fonctionnement des Délégations logées en son sein (Délégation à la Promotion des Pôles urbains de Diamniadio et du Lac rose, Délégation générale à la protection sociale et à la solidarité, Délégation générale à la protection sociale et à la solidarité, Délégation générale au Renseignement national, Délégation générale pour l’Entreprenariat). Si on continuait de traquer les différents crédits alloués à la Présidence ou gérés à partir de la Présidence, on serait arrivé à plus de 100 milliards FCFA. La « technique du saucissonnage » utilisée fait que, dans la réalité, plusieurs lignes budgétaires conduisent à la Présidence de la république. Ce qui donne au Prince les moyens de « régner » et de « jouir » du pouvoir. De plus, il convient de noter que les charges non réparties (sans affectation précise) font l’objet d’une ligne de crédits d’un montant de 257,7 milliards FCFA (174,3 pour le fonctionnement et 83,4 milliards pour les investissements).
Là où les choses deviennent choquantes, c’est quand on découvre, par exemple, que l’utile et très fréquentée pédiatrie de Guédiawaye (Institut de pédiatrie sociale de Guédiawaye), n’a que 18 millions CFA de crédits de fonctionnement. 18 pauvres millions de nos francs dévalués pour fonctionner dans une large zone de pauvreté où les besoins sont immenses. Autre exemple, l’hôpital Abbas NDao, qui polarise toutes les populations de la région de Dakar, ne bénéficie que de 700 millions FCFA pour son fonctionnement. Il est aisé, à partir de ces chiffres, de comprendre, d’une part, les difficultés auxquelles sont confrontées les populations sénégalaises pour accéder à des soins de santé de qualité et, d’autre part, au délabrement et au manque d’équipements des structures sanitaires.
Absurdités
En 2011, l’État sénégalais comptait 91 401 agents avec une masse salariale de 428 milliards FCFA, « soit une moyenne annuelle individuelle de 4.682.662 FCFA ». En 2018, on est passé à 135.000 agents correspondant à une masse salariale de 683 milliards de FCFA. Ce qui fait dire aux auteurs du projet de loi de finances que « le Gouvernement actuel verse une rémunération moyenne annuelle de 5.059.259 FCFA à chaque agent de l’État ». Ces auteurs versent dans l’absurdité lorsqu’ils affirment que cette croissance fulgurante de la masse salariale, entre 2012 et 2018, ne résulte point des recrutements massifs opérés au sein de la Fonction publique, ni des revalorisations salariales consenties à certains corps, mais « la véritable raison, c’est que les agents de l’État sénégalais (fonctionnaires et non-fonctionnaires) sont beaucoup mieux payés qu’avant. Et c’est un choix que le Gouvernement assume : la redistribution des fruits de la croissance passe aussi par l’amélioration des conditions de rémunération des agents publics, d’autant plus que le succès du PSE est également tributaire d’une administration compétente et motivée ». Cette absurdité est le fait d’une minorité de privilégiés complètement déconnectés des réalités de leur propre pays. Les agents de l’État, dans leur écrasante majorité, sont fatigués. Les faits sont là et le prouvent. En effet, les structures de santé sont en grève depuis quelques jours et certaines de leurs revendications ont des relents financiers. Le secteur de l’éducation sort d’une crise dont les origines se trouvent dans des revendications salariales (valorisation des indemnités de logement et de documentation). Les déchets n’ont pas été ramassés pendant plusieurs jours, car les milliers de travailleurs ce secteur sont sous-payés et, plus grave, reçoivent leurs maigres salaires avec beaucoup de retard. Les enseignants du supérieur seront en grève à partir de lundi prochain pour des motifs en partie d’ordre pécuniaire. Ce qui amène à la question suivante : qui est bien payé et qui profite des fruits de la croissance économique si réellement il y a une redistribution ? La réponse est sans ambages : ce ne sont pas les vaillants travailleurs qui en bénéficient, ceux qui se lèvent tôt, se couchent tard et se donnent sans compter. Par contre, c’est de notoriété publique que les ressources de l’État ne profitent qu’à un clan ; que c’est une infime minorité qui capte l’essentiel de nos ressources ; qu’une poignée de prébendiers et de grabataires se sont vu octroyer de contrats spéciaux léonins et; qu’une caste de hauts fonctionnaires mène un train de vie hollywoodien aux frais du contribuable.
Faussetés
On peut lire dans le projet de loi de finances que « le Gouvernement peut se targuer de résultats appréciables. De 2012 à 2017, 413.000 travailleurs ont été recrutés dans le secteur privé, hors agriculture. Dans le même temps, 44.000 nouveaux agents ont intégré les effectifs de la Fonction publique d’État (les recrutements des collectivités territoriales ne sont donc pas pris en compte) ». Ce qui veut dire que le Gouvernement a largement réalisé l’engagement de Macky Sall visant à créer 500 000 emplois sous son magistère. Nous avons déjà démontré, dans des contributions antérieures, que les statistiques de l’emploi publiées par le Ministère du Travail étaient une véritable supercherie. Par exemple, le Gouvernement compile les contrats signés, annuellement, dans les services d’Inspection régionaux du Travail pour parler de d’emplois crées. Or, la très grande majorité de ces contrats concerne des travailleurs saisonniers, donc ce sont les mêmes personnes qui reviennent, d’année en année, occuper le même emploi.
Les auteurs du projet de loi reconnaissent que de « 2012 à 2017, le taux d’endettement est passé de 42.3% à 61% suivant l’ancienne base du PIB. Au 31 décembre 2017, l’encours de la dette publique s’élève à 5848,5 milliards de FCFA réparti entre la dette extérieure, pour 4483,2 milliards de FCFA et la dette intérieure pour 1365,3 milliards de FCFA ». Pour justifier ce niveau d’endettement très élevé, les auteurs du projet de loi de finances le mettent sur le dos du régime d’Abdoulaye Wade en écrivant que la dette extérieure résulte, « pour 57%, de prêts contractés avant 2012 » que le Sénégal doit toujours rembourser. Cela ne correspond pas à la réalité. Macky Sall et son argentier Amadou Bâ se sont lancé, depuis 2012, dans un cycle d’endettement effréné : les emprunts extérieurs du Sénégal, qui étaient de 338,3 milliards en 2012, sont passés à 1 405,8 milliards FCFA en 2015, à 1417,2 milliards FCFA en 2016, puis à 1338,4 milliards FCFA en 2017. Les auteurs du projet de loi de finances se contredisent, lorsqu’ils magnifient la confiance des marchés financiers à l’égard du Sénégal en soulignant notamment que « le niveau important des financements extérieurs traduit le soutien des PTF au PSE ».
Incongruités
Le projet de loi de finances 2019 contient des incongruités qui laissent perplexes sur les critères utilisés pour procéder à l’allocation des ressources. En effet, Agence judiciaire de l’État, un modeste (en termes d’effectifs) service logé au Ministère des Finances, est créditée, pour son fonctionnement, de 15 milliards FCFA. Comment se fait-il que le fonctionnement de ce service prenne 15 milliards FCFA ? C’est une importante question que malheureusement nos parlementaires n’essayeront pas d’élucider. 15 milliards pour ce service de l’État qui n’a pas de gros effectifs, cela laisse penser que c’est pour rétribuer, très grassement, les services professionnels d’avocats et/ou d’experts comme ceux commis dans les affaires Karim Wade et Khalifa Sall. 15 milliards FCFA à partager certainement entre avocats et experts liés au pouvoir et certains intérêts privés (hauts dirigeants). 15 milliards FCFA, alors qu’au même moment la pédiatrie de Guédiawaye, qui polarise des centaines de milliers de familles ayant des enfants malnutris et malades, ne pourra compter sur que 18 millions FCFA pour fonctionner. Qui peut expliquer cela ? En tout cas pas une personne raisonnable.
Au nombre des incongruités, il y en a une qui est très frappante : près de 55 milliards FCFA sont consacrés uniquement au fonctionnement de l’Université Cheikh Anta DIOP (34, 3 milliards FCFA) et au Centre des Œuvres universitaires de Dakar (20 milliards FCFA). Imaginer 55 milliards dépensés annuellement dans une petite zone géographique (moins de 50 hectares), qu’est l’espace universitaire (campus pédagogique et social), sans résultats significatifs en termes de qualité de l’enseignement, du nombre de diplômés, de rayonnement universitaire (recherches innovantes, publications scientifiques, etc.). Assurément, cette situation mérite d’être revue et corrigée.
Quia élaboré le projet de budget ?
Cette question, d’apparence saugrenue, serait très pertinente à la lumière des ruptures fondamentales observées par le projet de budget 2019 ne serait-ce que dans sa forme. En effet, le projet de loi de finances 2019 rompt avec les règles de l’art et la tradition consacrée des finances publiques. Il rompt avec l’approche technique et neutre, qui a toujours sous-tendu l’élaboration des lois de finances, notamment en adoptant un ton carrément politique, partisan et polémiste. En lieu et place de la structure habituelle (Exposé général des motifs, Exposé des motifs par article, Projet de loi et Annexes législatives), on a eu droit à une « Présentation générale du projet de loi des finances » (pages 3 à 35), soit le 1/3 du document. Elle commence par cette curieuse digression, voire inédite, dans un projet de loi des finances : « Lorsqu’entre 3500 et 3000 avant notre ère, dans le sud de la Mésopotamie, la civilisation sumérienne inventa l’écriture, les premiers textes des hommes ne furent pas des poèmes, des récits historiques ou des odes religieuses ; ce furent des livres de comptes ». Ensuite, les auteurs du projet de loi se sont livré à des attaques frontales, voire violentes, de la gestion du régime précédent. Ces attaques sont suivies de la présentation d’un bilan extrêmement reluisant, voire idyllique dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’agriculture, des infrastructures et de l’emploi. Manifestement, ce document ou certains de ses pans entiers sont l’œuvre d’un propagandiste politique.
Ibrahima Sadikh NDour
Projet de budget 2019 : entre absurdités, faussetés et incongruités .