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El-hadji Diouf, DÉlit De Sale Caste

El-hadji Diouf, DÉlit De Sale Caste

El-Hadji Ousseynou Diouf totalise pour toute sa carrière un nombre très modeste de buts et de passes décisives. Dans la case trophée, il s’est approché, en club comme sélection, des honneurs sans jamais décrocher les plus prestigieux. Dès qu’on parle de son palmarès en équipe, on entre dans le vide du sujet, pourrait-on ironiser pour reprendre la méchante pique de Laurent Fabius contre Ségolène Royal. Malgré ce maigre bilan – que pas mal de joueurs, objectivement médiocres, ont atteint ou dépassé – El-Hadji Diouf affiche pourtant dans son cabinet personnel deux ballons d’or africains en 2001 et 2002. Les mauvaises langues ont vite fait de dire que cette distinction est dévaluée, sans réelle valeur. D’autres moins sévères pointent l’absence de réelle concurrence au début des années 2000. Ses irréductibles, sourds à tous ces dénigrements, chantent encore sa gloire du haut de cette tour d’or. A y regarder de plus près, El-Hadji Diouf fait partie de la dernière génération de footballeurs à avoir eu la chance de ne pas avoir été jugés à travers les statistiques. Cette tradition importée du basket, notamment de la NBA, s’est imposée en force dans le monde du foot, où le décryptage se fait à l’aide de palettes et de chiffres. Moule du capitalisme appliqué au sport, la statistique est la tyrannie moderne des joueurs-machines, que l’on oublie dès qu’ils ne donnent plus le tournis aux compteurs. El-Hadj Diouf est bien chanceux d’avoir disparu des premiers rôles avant le gouvernement de ces stats. Avec des bilans en clubs modestes, un rendement statistique bien en dessous des standards partout où il est passé, il aurait été tout bonnement effacé des radars, rangé dans le ventre-mou des joueurs sans éclats qui composent le prolétariat du football européen.

Mais si le football est émotion, comme je le crois naïvement et obstinément, que la seule course d’un Zidane sur un terrain, un extérieur pied droit de Modric, le toucher de balle d’Ousmane Tanor Diop, entre autres, valent tous les chiffres ; alors El Hadji Diouf revient en grâce comme générateur national d’émotions. Personne ou presque ne se souvient, à moins d’être féru, des buts marqués ou non par El Hadji Diouf à la coupe de 2002 ou à la Can de la même année où il fut élu meilleur joueur. L’on garde tous en tête, en revanche, le déboulé culotté contre la France qui amène le premier but le 31 mai 2002. On se souvient de ses danses festives balles aux pieds face à la Suède. On se rappelle la malice du pénalty inexistant face à l’Uruguay toujours pendant cette coupe du monde où son talent naissait au monde. On a en tête, à Lens, Sochaux, Liverpool ou Bolton, ses différents clubs, cet homme collé à son aile qui excelle dans le crochet, et avec qui l’on sent, à chaque toucher, comme la possibilité d’un exploit. Sur cette pelouse dégarnie de Léopold Sédar Senghor où sa légende personnelle balbutie ses premiers faits d’arme, dans ce maillot un poil trop grand « Errea », El Hadji Diouf était le fer de lance du premier grand espoir national dans l’épopée asiatique. Le feu-follet. La gâchette. Ce murmure qui parcourait les travées, cet écho qui grondait à chaque fois qu’il touchait le ballon, voilà typiquement ce que les statistiques ne peuvent restituer. Elles seront bien utiles quand elles mesureront l’émotion, ce n’est pas près d’arriver. Cette joie réflexe qui nous inonde dès que notre idole, par un geste anodin, nous fait frissonner, comment le mesurer en chiffre ? Je veux croire que l’essence du foot se joue quelque part là-bas, comme dans les petits camps dans les ruelles de quartier, sur la plage des crépuscules à Guédiawaye ou sur la corniche, comme ce bonheur qui n’a pas à être tamisé par des colonnes Excel.

A Balacoss, dans la ville de Saint-Louis, entre deux assemblées et le train de la vie qui passe, on commente peu les statistiques. Ce dont on est sûr, c’est que tous les enfants nés dans les années 80 connaissent bien le répertoire des gestes du petit Ousseynou. Tout le monde, avec la gourmandise de l’idole ou la sagesse du protecteur, se propose de vous raconter la vraie histoire d’El-Hadji Diouf. Un mélange à la fois de fierté, de bonhommie, et de bonheur de l’anecdote, qui donnent à la téranga sa vraie vertu hospitalière. Dans ce quartier où bat le cœur de Saint-Louis, le gamin aux histoires familiales difficiles, sur lesquelles on pose un voile de pudeur, est plus qu’un symbole. Il est devenu le chemin de l’ascension sociale, l’exemple, le modèle, l’horizon d’un rêve. Balacoss avec son vieil hôpital, sa démographie peuplée de gosses malingres, ses petites rues étroites et chaleureuses, la proximité des habitats, l’odeur propre de ces vases clos où tout le monde se connaît ; à Balacoss, où s’expérience un vrai Saint-Louis ancien où les gens de modestes conditions s’enferment et s’ouvrent, comme pour se protéger des agressions de la médisance des endroits plus huppés ; à Balacoss, on mesure en effet le pouls de la ville, parfois on sent ses entrailles. Comme Santhiaba, Guet Ndar, autres bastions populaires, il y a un parfum, un air, une ambiance, uniques. Passent les inondations qui ralentissaient la vie des saint-louisiens, cette vieille anecdote sur l’hippopotame qui avait semé la zizanie au village artisanal, la légende vive de Mame Coumba Bang, la réputation de la ville garde ses secrets dans cet antre de la discrétion où très tôt, on apprend aux enfants l’importance de se battre dans la vie. On les prévient de la rareté du train de la chance qu’il faut donc saisir pour accomplir la réussite de surclasser sa famille. C’est dans ce bouillon d’un véritable quartier populaire que grandit El Hadji Diouf. Si tout autour de Saint-louis, ont émergé des sanctuaires comme Bango, des ilots comme Sor avec ses blocs, son village artisanal, son pont Faidherbe et sa vieille ville, Balacoss est comme le ventre, où vit la classe médiane qui se débat dans des difficultés économiques et se rabat dans le refuge des castes, sociales et ethniques.

Cela finit par déteindre sur quelques habitants qui ne peuvent plus se débarrasser de cette empreinte, qui reste malgré les fortunes de l’enrichissement. El-Hadj Diouf est profondément resté un enfant de cette caste. Lui qui n’avait ni les codes scolaires, ni la bienséance de mise, ni cette décence à la fois vestimentaire et morale que l’on retrouve dans la noblesse sénégalaise. L’argent ne fait pas tout. Du FC Sochaux à Liverpool, du temps de sa haute gloire, jusqu’à l’équipe nationale, le gamin de Balacoss est devenu collectionneur de voitures, de bijoux, de frasques, de coupes improbables. Abonné à la case des faits divers, méprisé pour son arrivisme, il vit sa revanche sociale sur cette garce de destinée en se plaisant dans l’affichage. Les tenues tape-à-l’œil se disputent son corps et même ce crâne peroxydé, jadis si enchanteur, survit à ses quarante années révolues. El Hadji Diouf ne sait plus s’arrêter, entre sorties intempestives, prises de parole brutes de décoffrage, fanfaronnades et vantardises, il ne s’arrête pas, parce qu’il n’est jamais réellement bien parti dans la vie. Il a gardé les complexes de sa caste et se débat seul avec eux. On l’invite comme à un dîner de cons pour amuser la galerie et il marche. Il est attendu comme le diseur des vérités grossières. On lui laisse les tâches ingrates dans lesquelles il se vautre.

Les milieux dorés du monde, que les gens convoitent si avidement, restent encore sélectifs et redoutables. On vous y tolère si vous en avez les codes, on y expose si vous ne les avez pas. Vous y êtes comme une bête de foire qui suscite les rires et le malaise. El Hadj Diouf est victime du délit de sale caste. C’est le mal des nouveaux riches. L’affichage pour cacher un vide. L’extravagance pour en vérité dissimuler ses complexes. Voilà à quoi en est rendu El Hadji, que les autorités sénégalaises du foot méprisent, elles qui le laissent cracher ses critiques dans le commentariat où ils finissent par saturer. Sa gloire très lointaine disparaît dans les nuages du passé. Tous les gens qui connaissent le personnage décrivent un homme aimable, généreux, bienfaiteur pour ses proches. On s’empresse de les croire.  A Balacoss, l’entraide est la condition de la survie. Donner aux siens, c’est comme leur rendre. A ce titre, le gamin est bien un seigneur de son quartier.

Alors que valent 2 ballons d’or africains ? Qui se souviendra des mérites prodigieux de ce gamin parti de chez lui à l’adolescence et qui a affronté les affres hivernales du Doubs où mourut Toussaint Louverture ? Qui se souviendra qu’il fut un espoir national, continental, qui avait ému jusqu’au roi Pelé ? Qui se souviendra que Liverpool avait à l’époque cassé sa tirelire pour le recruter, avant l’échec lamentable qui amorça son déclin ? Qui se souviendra de ces émotions, que les statistiques ne pourront jamais étouffer ? La postérité est toujours injuste avec les uns et généreuse avec les autres. C’est presqu’une loterie. Mais El-Hadji Diouf n’a rien fait pour s’aider et aider ses admirateurs, dont je fus. On peut subir une injustice sans susciter de la compassion, voilà bien le drame de notre héros. La banlieue donne à la réussite des fulgurances. Les mêmes qu’elle donne à l’échec. Idem pour la déchéance bienheureuse. Notre idole a connu les trois.

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