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Ce Que Je Peux Dire Sur Sidy Lamine Niasse…

Ce Que Je Peux Dire Sur Sidy Lamine Niasse…

Parler de Sidy Lamine Niasse, pour moi, revient à évoquer l’histoire de la presse privée sénégalaise de ces 30 dernières années. Trente glorieuses, un tiers de siècle, au cours desquels des combats épiques ont été menés pour l’enracinement d’une presse de qualité dans notre pays. Une presse qui a puissamment contribué à l’ancrage de la démocratie au Sénégal. Certes, il y avait eu des pionniers comme feu Mame Less Dia et son « Politicien », ou le doyen Boubacar Diop, dont le redoutable « Promotion » empêchait les barons du régime senghorien d’alors, puis dioufiste, de dormir du sommeil du juste. Il y eut aussi feu Abdourahmane Cissé avec sa fameuse « Lettre fermée ». Autant de pionniers qui se sont battus, à un moment où une chape de plomb recouvrait ce pays, pour y implanter une presse privée. Avec des fortunes diverses et, surtout, de rudes coups que leur portèrent les régimes en place alors. Less Coura et Grand « Bouba Doolé », comme on les appelait, connurent la prison. Le dernier nommé est d’ailleurs le beau-père de Sidy Lamine Niasse. « Lettre fermée » fut interdite de publication par le pouvoir de Senghor. Si je ne m’abuse, Abdourahmane Cissé fit condamner ce dernier par la Cour suprême de l’époque qui décréta que la mesure d’interdiction dont faisait l’objet ce journal était illégale. 

En plein régime senghorien où ce pays était gouverné d’une main de fer, il fallait oser le faire… On rêve d’une telle Cour suprême aujourd’hui ! C’est dans ce contexte que l’opposant Abdoulaye Wade, après s’être attaqué à une première Bastille, le monopartisme avec la création du Parti démocratique sénégalais (Pds), puis une deuxième à travers la création de l’Union des Travailleurs libres du Sénégal (Utls) pour combattre le monolithisme syndical de la Cnts (Confédération nationale des travailleurs du Sénégal), entreprit de prendre une troisième Bastille, autrement plus ardue à conquérir : le monopole de l’Etat socialiste sur la presse. Ce à travers la création de « Takusaan », qui se voulait « l’autre quotidien » face au tout-puissant « Le Soleil » solidement tenu en main par le doyen Bara Diouf, un baron du régime socialiste. J’ai eu la chance de faire partie de cette aventure exaltante, à côté, justement, de transfuges du « Soleil » — oh, où nous jouions les seconds rôles —comme Pathé Mbodj, qui était notre rédacteur en chef, Moustapha Touré, Cheikh Bâ, feu Mame Olla Faye, Mamadou Pascal Wane et Mbagnick Diop. Le hasard a fait qu’une nouvelle promotion du Cesti venait d’arriver sur le marché du travail et trois parmi ces jeunes journalistes, heureux d’échapper à un destin qui ne leur offrait comme « choix » que « Le Soleil » ou l’Agence de Presse sénégalaise (APS), voire la Direction de la Communication — pour ceux qui avaient fait option presse écrite — vinrent donc intégrer la rédaction de « Takusaan ». C’était en février 1983. A la fin de cette belle aventure, un an plus tard, une quinzaine de journalistes se retrouvèrent en chômage sur le marché du travail.

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Le combat des « quatre mousquetaires »

C’est à cet instant, alors que certains cherchaient à intégrer la presse étatique, et que d’autres voulaient créer leurs propres titres, que Sidy Lamine Niasse lança son journal, « Wal Fadjri », qui était bimensuel à l’époque et en format magazine. Le siège se trouvait à la Médina. Entre Sidy qui cherchait des journalistes et des anciens de « Takusaan » qui voulaient travailler, l’entente fut facile. C’est dans ces conditions qu’Abdourahmane Kamara — aujourd’hui dernier des Mohicans et tenant solidement la barre du quotidien « Wal Fadjri » 34 ans après —, Tidiane Kassé et Mademba Ndiaye ont rejoint le journal de Sidy Lamine Niasse. Mais tout cela constituait ce que l’on pourrait appeler la préhistoire de la presse privée sénégalaise moderne. A mon avis, l’acte fondateur de la presse sénégalaise moderne, telle qu’on la connaît actuellement avec son développement fulgurant, c’est le combat de ceux qu’on surnomma alors les « quatre mousquetaires ». Il s’agit de Babacar Touré, à l’époque directeur de publication de « Sud Hebdo », Sidy Lamine Niasse, Laye Bamba Diallo et l’auteur de ces lignes, respectivement dirpubs de Wal Fadjri, du défunt « Cafard libéré » et du « Témoin ».

A l’époque, tous ces journaux étaient hebdomadaires et, pour ne pas se marcher sur les pieds, chacun d’eux avait son propre jour de parution. Ainsi, le mardi était le jour du « Témoin », le mercredi celui du satirique « Cafard libéré », le jeudi appartenait à « Sud », qui n’était pas encore un groupe, et le vendredi, jour de la grande prière chez les Musulmans, à « Wal Fadjri ». En août 1990, l’hivernage fut particulièrement dur pour la jeune presse naissante : ventes en chute libre, publicité aux abonnés absents — du fait des sacro-saintes vacances, tous les décideurs étaient hors du pays —, et les banques ne connaissaient pas encore cette Ovni à leurs yeux que constituait la presse. Laquelle, à l’époque, était perçue comme une activité marginale et ses animateurs considérés comme des saltimbanques! Quand on demandait en ce temps-là à un homme d’affaires d’investir dans un journal, s’il ne vous respectait pas, il vous mettait à la porte ! A moins de se demander de quel asile d’aliénés sortait l’individu qui lui parlait. La presse allant mal donc et souffrant de maladies juvéniles, nous nous réunîmes et décidâmes qu’il fallait faire quelque chose. Tout d’abord interpeller les autorités, alerter l’opinion. Une conférence de presse restée fameuse fut tenue à l’hôtel Indépendance. Elle fut animée par ceux qui furent surnommés « quatre mousquetaires » à l’issue de cette rencontre avec la presse. Principale annonce : l’organisation d’une marche des journalistes de la presse privée avec leurs collaborateurs et les membres de leurs familles.

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A l’époque, on n’était pas à l’heure des « And gueusseum », des « niakhtous » ou des marches devenues banales de l’Obélisque à la Rts et le pouvoir socialiste paniqua. « Quoi ? Des journalistes qui marchent en plein Dakar avec des images faisant le tour du monde ? Il fallait à tout prix empêcher cela ! » 1990 ? C’était il y a pratiquement un siècle du point de vue de l’évolution des technologies et les téléphones portables n’existaient donc pas. Ce sont donc des policiers en civil qui nous ont recherchés à travers la ville avant de nous demander de répondre daredare à une convocation de Famara Ibrahima Sagna, ministre de l’Intérieur.

Le ministre de l’Information à ce moment-là, feu Moustapha Ka qui vient de nous quitter, était en mission au Maroc si ma mémoire est bonne et le président Diouf avait donc chargé « Big Fam » de prendre langue avec nous. C’était un après-midi et, une fois dans son bureau, il ne tourna pas autour du pot : « j’ai reçu pour instruction de vous rencontrer, de recueillir vos revendications et d’essayer, dans la mesure du possible, de les satisfaire ». Après que nous ayons exposé ce qui nous tenait à cœur, il nous redonna rendez-vous le lendemain à 10 heures dans la salle de conférences de son ministère. Il avait été terriblement efficace puisqu’entretemps, il avait convoqué tous les directeurs généraux de sociétés concernés par nos revendications : Sonatel, Sénelec, Poste, Air Sénégal, Chemins de fer etc. A chacun il exposa ce que voulaient les journalistes — la notion de « patrons de presse » était encore inconnue — et lui demanda ce qu’il pouvait faire. Chaque directeur prit des engagements fermes qui furent suivis d’effets immédiats.

A l’époque des présidents Senghor et Diouf, on savait se faire respecter ! Mais le nerf de la guerre, c’était l’argent et malheureusement, dans le budget de l’Etat de cette année-là, rien n’avait été prévu pour aider les journaux. Qu’à cela ne tienne, la présidence se chargea exceptionnellement cette année-là de payer l’aide à la presse. Laquelle fut budgétisée dès la loi de finances suivante !

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Le chèque de solidarité de Sidy

C’est donc au cours de ce premier grand combat gagné par la presse sénégalaise que j’ai connu Sidy Lamine Niasse. Par la suite, il fut de toutes les luttes menées par la corporation pour l’amélioration de ses conditions de travail ou l’élargissement des libertés. De toutes les expériences tentées aussi comme la mise en place d’une centrale d’achat des éditeurs de presse pour l’approvisionnement en papier journal. Il a surtout eu le mérite, avec Babacar Touré, d’avoir su faire de nos journaux d’antan de véritables entreprises multimédias en transformant d’abord les hebdos en quotidiens puis en lançant des radios, pionnières de ce côté-ci du continent.

Par la suite, Sidy a acquis une imprimerie puis lancé sa Télé. Un véritable homme d’affaires qui a donné à la presse sénégalaise ses lettres de noblesse. Homme libre, iconoclaste, rebelle, le défunt a refusé parfois de se joindre à de grands combats de presse car n’étant pas convaincu, disait-il, de leur justesse. Mais il était comme ça, Sidy, imprévisible. Combien de fois en réunion d’éditeurs s’est-il retrouvé seul contre tous, défendant crânement ses positions ? Pour ma part, un geste de Sidy m’a particulièrement marqué. C’était en 1993. Je ne sais plus quel plaignant avait fait condamner le « Témoin » pour diffamation et avait, pour l’exécution du jugement obtenu, fait saisir nos comptes. J’avais informé les confrères. A ma grande surprise, moins d’une heure après, Sidy était dans mon bureau du rond-point Faidherbe, cet endroit devenu un marché à proximité de la gare routière Petersen. « Mamadou Oumar, c’est la fin du mois et je sais que tu dois payer tes salaires. Dis-moi combien il te faut ». Je lui avançai un chiffre et il fit un chèque du montant indiqué qu’il me tendit : « Paye tes employés, tu rembourseras quand tu pourras ». Tel était Sidy, un homme généreux, ayant le cœur sur la main, solidaire dans les luttes, engagé. Un Grand Monsieur dans ce que cette expression a de plus noble et sublime. Je ne puis donc que m’incliner devant sa mémoire au moment où il a tiré sa révérence après avoir pleinement accompli sa mission sur terre.

Qu’Allah dont il n’a cessé de se faire le propagateur l’accueille dans Son meilleur Paradis !!! Adieu Sidy, nous ne t’oublierons jamais…

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