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Et Maintenant Qui DÉfendra Le Peuple?

Et Maintenant Qui DÉfendra Le Peuple?

Je retiens de Sidy Lamine Niass sa liberté et son courage. Il a toujours pensé en dehors des canaux classiques qu’empruntent souvent nos intellectuels et nos hommes d’affaires pour préserver les privilèges que leur confère leur position. Il n’a jamais eu peur de penser contre sa famille, qui appartient à la lignée religieuse de Léona Niassène, contre les intellectuels et contre les gouvernements. Sidy Lamine Niass était un maximaliste dans le champ de la liberté. C’est un homme qui a toujours réfléchi hors du confort de la meute. A l’heure des répétitions vaseuses et du suivisme facile, il savait être impopulaire pour défendre, contre son peuple, des positions, et parfois il avait raison sur nous tous. L’affaire Cheikhou Charifou en fut la plus belle illustration.

Sidy Lamine Niass, journaliste, intellectuel, mais aussi et surtout militant politique engagé, n’hésitant pas à penser contre lui-même. Il a tenu des meetings dans les années 80 aux côtés du libéral Abdoulaye Wade et du communiste Amath Dansokho, lui le croyant, pratiquant, et issu d’une grande famille religieuse.

Militant, il fut un artisan du changement en 2000. Si notre pays a connu sa première alternance politique, après 40 ans, il la doit en partie à Sidy Lamine Niass, qui a maillé le territoire de reporters qui donnaient, au fur et à mesure du dépouillement, les résultats, rendant toute fraude impossible.

Mais Sidy Lamine Niass était plus que l’homme du 19 mars 2000, il est celui qui a donné la parole à ceux que l’on n’entendait pas, ceux à qui la bourgeoisie du Dioufisme avait refusé l’existence dans l’espace public.

Notre génération est née dans la fièvre du Sopi qui marchait inexorablement vers le pouvoir. Abdoulaye Wade, vieux combattant acharné, a longtemps mobilisé les foules qui rêvaient d’un devenir meilleur. Cet écho des entrailles du pays profond n’a jamais été relayé par les médias publics qui lui refusaient l’accès aux canaux institutionnels.

Sidy Lamine Niass a transformé la colère de la rue en un discours audible à travers les ondes et les colonnes du groupe Walfadjri qui, depuis, est resté la voix des sans-voix. Il a montré la masse malade, pauvre, moche, excitée ; ce peuple défiguré par la pénibilité du quotidien que les régimes successifs ne voulaient ni voir ni montrer. C’était ça Sidy Lamine Niass, la voix de nos parents, de nous les gens issus des classes populaires brimés par des politiques socialistes injustes et libérales confuses. Après 2000, Sidy Lamine Niass est resté droit dans ses bottes, même quand le Sopi se mua en un appareil d’accaparement des richesses et de rétrécissement des libertés publiques, abandonnant son peuple pour ne servir que les volontés de son unique variable, la famille Wade. Sidy Lamine Niass est enfin, après 2012, quand toute la presse fit allégeance au nouveau régime, celui qui continua à défendre les nôtres, qui souffrent de la trahison des transfuges de classe.

Par son courage, Sidy Lamine Niass gênait. Les attaques physiques de milices religieuses, la pression fiscale de régimes successifs l’ont prouvé.

Le courage de Sidy Lamine Niass, son choix de ne point s’enfermer dans une camisole de guide religieux rackettant les plus pauvres, sa dimension politique, son engagement pour un islam progressiste, son militantisme, son attachement à la liberté d’expression malgré les siens, son rôle de sentinelle de notre démocratie à travers une presse libre gênaient l’oligarchie politico-religieuse. Cette caste qui, pour l’argent et les privilèges, transigent avec les valeurs.

Nous l’avons critiqué, conspué, humilié parfois. Nous l’avons même taxé de fou. Mais il était un incompris. Il était aussi un amoureux de notre pays qu’il souffrait de voir renier le combat pour les plus faibles, les opprimés, ceux que la gauche ne défend plus, que la presse a abandonnés et que les gouvernants préfèrent tromper et narguer. 

Bien sûr, Sidy Lamine Niass pouvait avoir tort et persister dans son erreur. C’était son péché mignon. Il a fait d’Idrissa Seck un apostat, accusé Macky Sall de collusion avec la franc-maçonnerie, entre autres errances intellectuelles. Mais j’aime les gens convaincus, ceux qui ne retournent pas leur veste au gré des circonstances et surtout des privilèges. Il tranchait avec beaucoup de nos journalistes et intellectuels alimentaires dont la souplesse dans le reniement demeure impressionnante.

Sidy Lamine Niass pouvait avoir tort. Mais personne ne peut lui nier un amour profond pour notre pays. Il manquera énormément au Sénégal, lors notamment des échéances inquiétantes qui arrivent.

La voix de Sidy Lamine Niass manquera au débat public. Elle nous manquera surtout, à nous autres des classes populaires. Quand les puissants imposeront leur volonté au peuple du Sénégal des profondeurs, qui le défendra dorénavant ?

Paix à son âme.

Que Dieu veille sur ce pays qu’il aimait et à qui il a donné sa vie.

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