La présidentielle de 2019 ne sera pas une promenade de santé pour Macky Sall, qui peut même la perdre face à un candidat redoutable, Idrissa Seck. Soutenu par un parti organisé et bien implanté dans le territoire national, Idrissa Seck, figure emblématique du landerneau politique sénégalais, malgré un calme olympien, connait une popularité exponentielle à l’approche de la présidentielle. Maitre d’œuvre de la victoire de Wade en 2000, il exploitera à coup sûr, les grands manquements du septennat de Macky Sall qui a péché sur les questions macroéconomiques et institutionnelles.
Deux hommes, deux destins…
Idrissa Seck commence par l’école coranique (daara) où il mémorise le Coran. Talibé, il est obligé de mendier sa nourriture journalière dans les rues de Thiès. Surdoué, il est inscrit à l’école française. Il brilla de mille feux, notamment au collège Saint Gabriel de Thiès où il est toujours premier de sa classe. Lauréat du concours général, il poursuit ses études à la Sorbonne, mais il est vite repéré par les américains, après avoir mené avec brio la campagne présidentielle de Maitre Abdoulaye Wade. Idy n’avait que 29 ans.
Sur recommandation de James Baker, Ministre américain des finances d’alors et de Leon Walker, Ambassadeur des Etats -Unis au Sénégal, Idrissa Seck et cinq autres brillants intellectuels mondialement sélectionnés, se verront ouvrir les portes de la prestigieuse Woodrow Wilson School of Public and International Affairs. Le jeune sénégalais atterrit à Princeton, cette prestigieuse université américaine qui a formé les présidents américains, John Fitzgerald Kennedy, James Madison et Woodrow Wilson. Il travaille à Washington pour Pricewaterhouse (PwC), la première multinationale mondiale spécialisée dans l’audit. Satisfait de ses performances, les américains lui demandent d’ouvrir la première branche en Afrique de l’ouest. Idrissa Seck l’ouvrit à Dakar et la dirige.
Militant de la première heure du PDS, il seconde Wade, après avoir stratégiquement crée sa victoire contre le PS en 2000. Dans le Lazer du Lundi du 8 Octobre 2018, le journaliste Babacar Justin Ndiaye, écrit : « Idrissa Seck a été, au sens stratégique du terme, la très grosse boite à idées d’Abdoulaye Wade » C’est dans ce PDS que Idrissa Seck, « analyste économique brillant et musulman pieux », comme le rapporte le magazine Jeune Afrique dans sa livraison du 30 Mars 2018, accueille Macky Sall.
Formé à l’Institut des Sciences de la Terre (IST), Macky Sall sort ingénieur des travaux. Il ne sera pas ingénieur de conception, un grade plus élevé. S’ensuit une trajectoire politique assez facile. Il est conseiller du Président Wade. Idrissa Seck, Premier ministre d’alors, le nomme à la tête des cadres du PDS, il est ministre, et deviendra plus tard, premier ministre et président de l’Assemblée Nationale, avant de devenir Président de la République en 2012.
Après un mandat initialement prévu pour cinq ans, il passe au referendum en 2016 et le prolongea de deux ans. Il est fortement critiqué par les sénégalais qui y voient une forfaiture constitutionnelle. Mais nombre d’observateurs pensent que ce « forcing constitutionnel » traduisait une peur bleue d’aller aux élections en 2016, faute de bilan élogieux. Deux ans après, si Macky Sall s’est lourdement endetté (60% du PIB) et a construit quelques infrastructures, reste que l’enfant de Ndouloumaadji devra s’expliquer et convaincre sur les tares économiques et institutionnelles de son régime.
Les économistes sont formels. La qualité des institutions prime sur l’intégration économique et la position géographique d’un pays. Cette assertion est vérifiable avec des pays comme le Cap-Vert, L’Ile Maurice, le Japan, la Corée du Sud, et même la Chine, dans une certaine mesure, à partir des années 70. La croissance rapide de la Chine n’est rien d’autre que la forte motivation des entrepreneurs chinois à entreprendre et investir dans un pays où ils se sentent protégés par l’Institution et galvanisés par les autorités publiques. Même si la Chine opère encore avec un système socialiste, aux contours fortement capitalisés. Cette donne ne semble pas être appliquée par le gouvernement de Macky Sall. En s’arc-boutant contre une croissance de 6.5%, (2016) comme annoncée par les experts du FMI, et une projection de moins 7% (Banque Mondiale) pour l’année 2017, le Sénégal n’atteint pas la moyenne UEMOA (7%) et reste dans le groupe des « lopsided economies ».
Ces économies déséquilibrées trouvent naturellement un terreau fertile dans les pays où les politiques publiques sont mal conçues et appliquées. Dans les pays en quête d’émergence de tradition démocratique comme le Sénégal, la solidité des institutions est gage d’une évolution vers une croissance soutenue et inclusive. Piétinées et vouées aux gémonies, l’économie peut en pâtir. Si l’économie américaine a capté 450 milliards de dollars (2016), d’après le magazine Forbes, de l’investissement direct étranger, c’est parce que le pays de Barack Obama à une réputation institutionnelle qui rassure les investisseurs.
Le Plan Sénégal Emergent (PSE) qui s’inspire des paradigmes postkeynésien et néo structuraliste, n’inclut pas en son sein des mesures protectrices et accompagnatrices pour l’industrie sénégalaise. Tirée par une croissance tertiaire (62%) dominée par des étrangers, l’économie sénégalaise est incapable de création de richesses. C’est cela le problème fondamental ! Si cette croissance de 6.5% trouvait sa source dans les secteurs primaire et secondaire qui emploient la majorité des sénégalais, on ne parlerait pas de : « Dekk bi dafa Macky » Malheureusement, ces deux secteurs essentiels à la réduction drastique de la pauvreté ne représentent que 15% (primaire) et 23% (secondaire) du PIB. Le « Goorgorlou » sénégalais vit toujours dans des conditions très difficiles et pique une colère justifiée quand on lui tympanise avec une croissance qui se mange sous d’autres cieux. Mais il risque de vivre dans la précarité pendant longtemps encore si l’agriculture sénégalaise suit le même cycle rotatif et fermé. L’agriculture sénégalaise n’a pas connu une évolution significative en termes d’insertion économique et de lutte contre la pauvreté. Si l’agriculture représente seulement 9% des richesses crées (PIB) pour un secteur qui emploie près des 70% sénégalais, il y a problème ! Vue sous la courbe de l’économiste américain, Max Otto Lorenz, plus connu sous l’appellation courbe de Lorenz, l’agriculture sénégalaise concentre l’écrasante majorité des pauvres du pays et met à nu les grandes inégalités dans la répartition des richesses. Le paysan sénégalais sous Macky Sall est encore un type pauvre.
Plus que des records quantitatifs, l’agriculture sénégalaise a besoin d’une stratégie qui exploite qualitativement ses potentiels naturels et géographiques. C’est comme cela qu’elle créera de la richesse et sortira le paysan de la précarité. Le potentiel existe et reste énorme : seulement un tiers est utilisé des 240.000 hectares de terres irrigables ! C’est la même malédiction qui frappe la pêche artisanale, qui pourtant, bien gérée, est un vivrier d’emplois et un levier de croissance. Mais les accords opaques et désavantageux, l’absence de régulation des espaces maritimes ou leur mauvaise application, et l’impréparation des acteurs ont fini d’éclipser le secteur. Ce secteur qui rapporte 20.87% des recettes d’exportation, soit 197 milliards connait des difficultés monstres avec une baisse sensible des revenues du pêcheur. Si rien n’est fait, le pêcheur sénégalais sera, sous peu, aussi pauvre que le paysan sénégalais.
Face à ces urgences, Idrissa Seck semble être le mieux préparé des leaders politiques sénégalais pour y apporter des solutions durables. Fin analyste économique, il a déjà suggéré la mise en préparation des villes pétrolières (Cayar, Saint-Louis, Rufisque). Pour Idrissa Seck, ces villes doivent être dotées d’infrastructures connexes à l’exploitation pétrolière et gazière pour en faire des hubs économiques et des leviers de croissance. Y exploiter seulement le pétrole et le gaz à l’image de ce qui se passe avec l’or à Kédougou est un manque de vision et de capacité. Dans la même veine, des villes frontalières seront édifiées aux frontières avec le Mali et la Guinée Conakry pour booster les échanges commerciaux et faciliter l’exportation de produits sénégalais vers ces pays. Aussi un port sec sera construit à Tambacounda, où passeront les pipelines qui desservent le Mali en hydrocarbures.
Le secteur industriel sénégalais qui bat de l’aile sous Macky Sall pourra exploiter à fond son avantage comparatif, en capitalisant sur son ascendant technologique, la position géographique du pays, la diminution des taxes à l’importation, le coût fortement réduit de l’électricité et un capital humain bien formé. Cela permettra aux entreprises sénégalaises de faire des recrutements d’envergure. Aussi, avec cette industrie robuste et compétitive, le gouvernement du Sénégal bénéficiera de retombées fiscales conséquences qui iront dans les services sociaux. Aux pêcheurs de Guet Ndar appauvris car obligés de débarquer leurs prises en Mauritanie, après les accords conclus avec le gouvernement de Macky Sall, Idrissa Seck préconise une renégociation des accords pour que ces pêcheurs débarquent à Saint- Louis et permettent ainsi à ce secteur primordial de continuer à supporter l’économie de toute la région de Saint-Louis. Il souligne l’importance des activités connexes à la pêche (le transport, le lavage des produits, la réfrigération, le séchage, le petit commerce et même les écailleuses). Ce sont ces activités qui font vivre Saint-Louis dira Idrissa Seck.
Face à la pauvreté grandissante dans les ménages, Idrissa Seck estime qu’il faut davantage investir sur les femmes et les jeunes du pays. Mais cet investissement ne doit pas se faire de façon disproportionnée avec des visées purement politiques. Il faudra accentuer la formation, le renforcement de capacités, la mise sur pied de modèle de développement innovant, le suivi et l’évaluation.
Idrissa annonce une économie bâtie sur un capital humain bien formé, où le culte de l’excellence est la règle. Il ambitionne un Conseil Supérieur de l’Education. « C’est le secteur qui irrigue tous les autres » dira-t-il de l’éducation. La rétention des élèves dans le primaire et une formation universitaire de qualité, attireront les investisseurs, avance Idrissa Seck, qui compte faire de l’éducation le premier levier pour une croissance durable et endogène. Les 40.000 jeunes étudiants sénégalais jetés dans la rue parce que le gouvernement de Macky Sall n’a pas payé les 16 milliards qu’il doit aux universités privées se retrouveront sûrement dans la vision de « Ndaamal Sénégal », pour reprendre ce militant de son parti au wolof châtié par la forte consonnance pulaar. Il faut noter que la dette intérieure due aux entreprises sénégalaises, plafonne les 1000 milliards de F CFA ! Conséquence, beaucoup de fournisseurs ont arrêté d’approvisionner le gouvernement. Les restaurateurs de l’université de Thiès ont tout simplement fermé leurs portes aux étudiants qui sont obligés de se débrouiller dans les artères de la ville.
Les résultats de Macky Sall sont insuffisants. Les quelques infrastructures et les intérêts privés (bourses familiales, couverture maladie universelle) sont minimes du point de vue de leur impact sur l’économie. Le secteur secondaire censé être le principal créateur de richesse est délaissé et humilié. Le secteur primaire est encore archaïque et sans stratégie.
Dans un pays où les jeunes n’ont de choix que de conduire des motos Jakarta- s’ils arrivent à les acheter- comme le montrait récemment un reportage de Dakaractu dans la région de Fatick. Quand l’emploi n’existe pas dans les régions à fort potentiel économique comme la Casamance, comme le soulignait le Maire Abdoulaye Balde, lors de la récente visite de Macky Sall dans sud du pays. Quand les femmes de Cass-Cass, dans le Fouta, crient leur amertume et réclament l’édification d’un hôpital, Idrissa Seck a toutes les chances de battre Macky Sall à l’issue de la présidentielle de 2019.