Avez-vous visionné la dernière sortie du chanteur-politicien, Mame Gor Diazaka? Celle où il s’adonnait à nouveau à son jeu favori depuis quelques temps: lancer des piques à Ousmane Sonko et, comble de l’idiotie, pousser cette fois-ci l’outrecuidance jusqu’à demander l’organisation d’un débat avec Ousmane Sonko pour, dit-il, démolir les arguments de ce dernier. Cela peut vous paraitre extrêmement banal et la majorité d’entre vous penseraient même qu’il ne mérite pas une attention qu’il cherche vainement à obtenir. C’est justement pour cette raison qu’il est le prétexte de cette chronique. Le bonhomme est fascinant et je trouve que le sujet, tel un cas clinique, et à l’instar de beaucoup d’autres qui lui ressemblent, nous en apprend beaucoup sur notre rapport à la politique et à la libéralisation actuelle de la parole.
La politique des cancres
L’adhésion et le soutien au parti présidentiel, par les privilèges et les nombreux avantages matériels qu’ils offrent, attirent et métamorphosent souvent les plus incultes et les plus médiocres de la société. De simples anonymes, sans aucun fait d’armes académiques ou professionnels connus pouvant leur donner légitimement le droit à la parole, ils se révèlent soudainement à nous, s’invitant subrepticement dans nos vies par le canal des médias, pour débiter toutes formes d’inepties. La presse sensationnelle moderne en fait aussitôt ses choux gras.
Afin de montrer qu’ils sont les plus grands souteneurs du parti au pouvoir et, conséquemment braquer les projecteurs sur eux, rien de mieux que d’exceller dans les insanités et les absurdités. C’est toujours payant. Ils font partie de cette nouvelle tendance de la peoplisation de tout. Aucun domaine de la vie n’a besoin d’être appris et maitrisé, l’expertise n’est plus un baromètre fiable. Il suffit de savoir faire le buzz et savoir se montrer plus guignol que les singes pour impressionner et susciter l’intérêt de tous. C’est le règne des cancres, des nuls, des pédants dans la politique! C’est ce que Benjamin DeMott dans «Junk Politics : A Voter’s guide to the Post Literate Election» appelle la politique poubelle. Une politique qui ne défend pas d’idéaux comme la justice ou les droits de la personne. Elle n’a que faire des débats structurés. C’est une forme de politique qui redéfinit les valeurs traditionnelles, favorisant «l’arrogance plutôt que le courage, la mièvrerie plutôt que l’empathie et la résignation plutôt que l’humilité»
Le malheur des médias de masse
Qui a dit cette phrase : «Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je suis prêt à mourir pour défendre votre droit le dire. » C’est là que vient très probablement toute la confusion que nous vivons actuellement. La presse en ligne et les réseaux sociaux ont aujourd’hui démocratisé la parole. S’il faut saluer la pluralité des opinions qu’ils permettent, il faut cependant noter qu’ils nous ont plongés dans les abysses de l’ignorance et de la perfidie verbale. Excité par les vues et les «likes», chacun se croit dorénavant dépositaire d’une connaissance et des idées qu’il doit obligatoirement partager avec le reste du monde.
Là où on cherchait à défendre la liberté d’expression, on a fini par admettre qu’on mettait toutes les opinions sur le même pied d’égalité. Or, toutes les opinions ne se valent pas et il serait même d’utilité publique que certaines opinions ne fussent jamais émises. Mais nous devons malheureusement souffrir de les entendre et certaines s’en trouvent même récompensées par leur niveau de bêtise.
Si le fanfaron Mame Gor Diazaka se permet, avec une arrogance inimaginable et une assurance non contenue d’apostropher Ousmane Sonko, c’est qu’on est surement arrivés dans notre société à un niveau d’abêtissement jamais égalé. Je ne suis pas en train de dire que Sonko ne doit pas être critiqué, ce qui est d’ailleurs impossible, mais que les plus farfelus du camp présidentiel, toujours obnubilés par la préservation de leur strapontin et un penchant au voyeurisme obsessionnel, entrevoient l’idée de se mesurer à l’intellectuel qu’est Ousmane Sonko, c’est un signe évident d’un dérèglement sociétal.
L’anti-intellectualisme
À observer les émissions les plus suivies à la télévision, les sujets les plus discutés à la radio et les articles les plus lus et les plus commentés en ligne, l’on peut déduire clairement cette guerre implicite que l’on mène à toute forme d’intellectualisme et de valorisation de la connaissance pure. La crétinisation de la population, savamment planifiée, se réalise par ces nombreux shows et autres émissions de téléréalité sans queue ni tête ou le griotisme et le pédantisme des animateurs cachent mal leur inculture. C’est une culture de l’illusion comme l’explique Chris Hedges dans L’empire de l’illusion qui prospère « en privant les citoyens des outils linguistiques et intellectuels permettant de distinguer le réel des faux-semblants. Elle appauvrit le langage.» Pensez à tous ces nouveaux mots créés ces dernières années, le plus souvent avec des connotations sexuelles, et ces façons efféminées de les exprimer que tout le monde emprunte. Oui, même le wolof, notre langue nationale, peut être appauvrie et pervertie lorsque prospère la sous-culture et que finit par triompher l’entreprise d’abêtissement de la population.
Être intellectuel ou savant est presque devenu mal vu s’il ne s’accompagne pas du clinquant de l’image et des signes extérieurs de la réussite sociale (maison, auto, argent, etc.) Que valent vos diplômes en effet s’ils ne vous permettent pas d’avoir le même train de vie que le politicien verbeux et analphabète fonctionnel du quartier dont tout le monde chante les louanges pour ses actions de bienfaisance aux origines douteuses?
Lamine Niang
nianlamine@hotmail.com
L’article Les cancres comme Mame Gor Diazaka, épargnez-nous ces opinions! .