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DÉmocratie De Basse IntensitÉ

#Enjeux2019 – Les prochaines élections présidentielles de février 2019 au Sénégal suscitent des questions auxquelles il est difficile de répondre. A côté du bilan défendable de la coalition de Macky Sall, des nombreux rendez-vous ratés de cette même majorité, de l’éclatement de l’opposition ainsi que le contexte international agité, l’atmosphère générale rend l’échéance illisible.

Deux alternances n’ont pas réussi à vaincre le sentiment d’impuissance des pouvoirs publics, et surtout, plus incurable, le fatalisme des populations. Si à la veille de chaque élection, les analystes prévoient, prédisent, et déchiffrent les enjeux, avec plus ou moins de pertinence, il reste à évaluer plus en profondeur, la vraie valeur de la démocratie sénégalaise. Cette dernière a toujours été surestimée.

Sur la carte politique de l’Afrique, le Sénégal est régulièrement cité comme (le) modèle. Il partage le privilège avec le Ghana, le Nigéria, le Burkina Faso ou encore le Cap-Vert entre autres bonnes nouvelles.

Depuis 2000, les deux alternances en 2000 et 2012, ainsi que la tenue régulière d’élections intermédiaires, le fonctionnement relatif des institutions, donnent la mesure d’un apprentissage démocratique prometteur. Il offre plus de gages, dans un contexte davantage marqué par les transitions chaotiques auxquelles sont confrontés les pays voisins.

Cependant la comparaison avec le pire n’est jamais flatteuse. S’il y a lieu de se féliciter de cet état de fait, il serait en revanche peu ambitieux de s’y arrêter. D’une part, l’Histoire a déjà montré que les acquis ne sont pas des garanties définitives. D’autre part, différents épisodes nationaux récents, judiciaires, législatifs, politiques, ont sapé le pacte démocratique, sous des mandatures, du reste, portées au pouvoir par les alternances.

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– La démocratie du champ social –

La question qui se pose ainsi, c’est celle de l’extension à une démocratie réelle dans le champ social. Une pratique inclusive qui éprouve la démocratie comme fait total. Si elle est absente des autres sphères constitutives de la cohésion nationale, elle a peu de chance de se pérenniser, du moins dans des termes plus collectifs.

Au fil des élections, le Sénégal est devenu une démocratie seulement électorale. Un pays où la classe politique se satisfait, nonobstant quelques bisbilles et querelles politiciennes, de l’appareil général. A l’extérieur et au niveau des vigies internationales, même tonalité laudative : on y vante cet « îlot démocratique ». Pourtant, à y regarder de plus près, à l’intérieur même des partis politiques, les standards de la démocratie sont bafoués.

Les partis demeurent des entités fortement attachées à des « personnes » dans une relation verticale qui peut tomber parfois dans l’emprise. Aucune vie démocratique interne au parti n’est véritablement perceptible, ou alors totalement à la marge. Les délibérations des partis restent encore plus ou moins opaques. Ce qui est le fondement même de la vie politique se trouve ainsi grippé par une mécanique clientéliste, où le pouvoir reste patrimonial, clanique et paternel. Cela est sans compter avec la séparation très opaque des pouvoirs et les irruptions régulières du religieux dans le temporel.

– Coalitions de prédations et de positionnements opportunistes –

L’impact de cette déficience démocratique se ressent dans les institutions, affaiblies et contournées par la demande populaire. L’impression d’un corps politique exsangue se dégage de ce vaste ensemble où les coalitions politiques, sous prétexte d’une unité nationale, alimentent les prédations et les positionnements opportunistes. A terme, et on en déplore les effets, la politique reste un jeu de chaises musicales, dans lequel les acteurs s’interchangent, transhumance aidant, alors qu’économiquement, socialement, culturellement, peu de progrès notables sont enregistrés. Il se produit une séparation entre un corps politique responsable de cette anémie démocratique, et un peuple, qui à force de souffrance, consent à participer, avec le mauvais rôle du servant, à une mascarade.

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Dans le champ politique comme dans celui des études sociales, des travaux ont documenté le déficit de comptabilité entre la démocratie institutionnelle héritée de la colonisation et les valeurs et l’histoire des populations. L’absence d’identification décourage les populations. S’il y a lieu de creuser ce constat ancien, qu’aucun chantier n’a réellement entrepris de corriger, c’est encore autre chose que d’admettre que la démocratie est une matière qui a besoin d’être nourrie continuellement. Dans les deux cas, les vœux sont restés inexploités par un vrai travail de production de système. Qu’il s’agisse d’assouplir la rigidité verticale des institutions, d’y insuffler de la participation populaire, de penser à des modalités de délibérations collectives, la nécessité de les traduire dans une langue et un langage, accessibles, tout cela nécessite un vrai travail de refondation. La démocratie telle qu’elle se vit au Sénégal actuellement, est une belle illusion, qui exclut les populations de la gestion quotidienne, et qui entretient une classe politique qui se renouvelle en vase clos pour maintenir ses privilèges.

– Un État boulimique –

S’il y a une urgence à l’approche des élections, c’est celle de repenser la quête de souveraineté à travers une réflexion sur cette démocratie de basse intensité, dont la faiblesse est le lit des maux annexes et connus : népotisme, corruption, clientélisme, statut quo… Il peut sembler vain de mener ce combat, jugé idéaliste, mais le triste constat, c’est que si la démocratie électorale a évité au pays des agitations mortelles, elle n’a en revanche réglé aucun des problèmes structurels lourds. Elle a surtout dévitalisé tous les autres champs, pour nourrir un colosse aux pieds d’argile : un Etat boulimique. L’objectif à travers des assises – qui pourraient être envisagées – sur la démocratie, serait de soigner le mal profond qu’aucune analyse, qu’aucune élection n’a réussi jusque-là à guérir : la terrible résignation des populations, qui exportent tous leurs rêves à l’extérieur.

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Refaire la démocratie ne requiert pas que les politiques. C’est une tâche de tout le monde dont le citoyen, pleinement investi, sera la cheville ouvrière.

#Enjeux2019

Elgas est journaliste, chercheur et écrivain. Son premier roman, « Un Dieu et des mœurs », a été publié en 2015 par Présence africaine. Né en 1988 à Saint-Louis, et ayant grandi à Ziguinchor, il est diplômé de communication et de science politique. Il soutient sa thèse de doctorat en sociologie cette semaine à l’université de Caen. Depuis deux ans, Elgas publie sur SenePlus.com une chronique hebdomadaire : « Inventaire des idoles »







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