J’avais volontairement décidé, depuis la disparition tragique de Sidy Lamine Niass, de ne hurler en même temps avec les loups de crainte que ma voix ne soit confondue à cette cacophonie de tartuffes sans aucune vergogne pour adorer aujourd’hui ce qu’ils ont abhorré naguère. Depuis l’annonce de la mort de Sidy Lamine Niass, décédé à l’âge de 68 ans, un ballet incessant d’hommes politiques se poursuit au domicile du défunt et de nombreux messages de sympathie émanant de ses amis, fans, proches et talibés fleurissent sur les réseaux sociaux. Le chef de l’État, lui aussi une semaine après le décès de Sidy Lamine, a présenté ses condoléances au frère du défunt et à toute sa famille en déclarant partager avec eux toute la douleur qui les étreint. En somme, le peuple attristé par la disparition du patron de Walfadjri a fait part de son émoi. Mais, il en est parmi ces messages de sympathie, beaucoup émanant des gens du pouvoir qui puent les miasmes de l’hypocrisie. Sidy doit frémir d’étonnement devant cette bordée débordante de louanges hypocrites déversées sans retenue sur sa tombe.
Un combattant contre l’obscurantisme
Rendant personnellement hommage à Sidy, je dirai qu’il a été et qu’il demeure une figure emblématique de la presse sénégalaise. Le brillant projecteur qui a illuminé l’aurore de la presse privée avec les autres mousquetaires que sont Mamadou Oumar Ndiaye, Babacar Touré et Abdoulaye Bamba Diallo, s’est éteint abruptement. Et ce, au moment où le secteur des médias est envahi de plus en plus par un essaim d’hommes politico-affairistes dont la seule mission est de faire de ces derniers, une presse de connivence et de révérence, pour reprendre les termes de Serge Halimi. Oustaz Sidy était une véritable école. Son parcours exemplaire et son engagement sans faille faisaient de lui un symbole de l’abnégation et du dévouement. Je l’ai connu dans les années 80 par sa plume rageuse qui pestait hebdomadairement dans la quatrième de couverture du magazine WalFadjri contre l’Etat d’Israël occupant les terres palestiniennes. « Si chaque musulman versait une bouilloire d’eau sur Israël, l’État sioniste s’évanouirait », ce cri de guerre contre l’Etat juif, Sidy la prononçait courageusement dans un contexte où beaucoup de nos dirigeants africains n’osaient moufter contre le puissant Etat colonisateur. Depuis lors, cette plume impavide et audacieuse s’est « encrée » dans ma tête et surtout dans mon cœur. Je me rappelle cette période de tension avec la venue au Sénégal de Cheikh Sharifu qui avait bouleversé le landerneau religieux sénégalais. Sidy Lamine Niass était l’une des rares voix contradictoires qui avait osé parler d’arnaque et de manipulation. Et sa posture rejoignait la contribution que j’avais publiée dans le journal Walf à côté de celle du défunt magister Oumar Sankharé. Et pour montrer que l’affaire Sharifu n’était qu’une machination orchestrée de toute pièce par des dignitaires religieux au dessein inavoué, Sidy avait envoyé le journaliste Yoro Dia en Tanzanie pour enquêter sur ce chérubin qui récitait mal la Fatiha. Les investigations de l’envoyé de Walf mirent à nu toute la supercherie et l’imposture qui entouraient le mystère Sharifu. Le vrai Sharifu n’avait jamais quitté la médersa de son maître El Bakhatir. Finalement, l’oncle de Sharifu, disciple de Bacchus et amateur de chairs fraiches, fut appréhendé aux Etats-Unis dans un hôtel entouré de prostituées lui réclamant l’argent de ses parties de jambes en l’air. Ainsi finit l’arnaque Sharifu tel un conte de fées. C’est ce combat contre l’obscurantisme religieux qui inspirait la philosophie de vie et la praxis de Sidy Lamine Niass. Et ce même engagement, il l’a manifesté toujours dans le combat démocratique. Et dans sa trajectoire, il l’a chèrement payé par un séjour carcéral sous le règne de Senghor et une garde à vue sous celui de Macky le 30 décembre 2013. Motif : « troubles à l’ordre public et offense au chef de l’État ».
Hommages tartuffes
Dès l’annonce de son décès, l’ensemble du champ médiatique et politique s’est précipitamment rué sur les plateaux de Walf pour rendre hommage à l’illustre disparu. Mais dans ce tombereau d’hommages, il y en a qui sonnent faux. Quand je vois des gens du pouvoir actuel, comme des anciens, verser des larmes pour Sidy aux fins de manifester la douleur qui les tétanise, j’ai envie de m’étrangler. Que nous vaut donc cet élan de sympathie soudain des politiciens pour quelqu’un qu’ils ont toujours insulté, caricaturé, diabolisé voire démonisé ? Quelle condescendance de la part de ces faux-culs qui hyperbolisent à tout-va ! Toutes les méthodes les plus abjectes que le pouvoir réserve à ceux qui ne partagent pas leurs schèmes de pensée ont été utilisées contre le patron de Walf pour l’anéantir.
Mbaye Ndiaye éploré n’a pas hésité, lors de son hommage en direct le 4 décembre sur Walf TV, à entrecouper son intervention avec des sanglots. « Nous avons perdu un grand homme. Je salue le courage de l’homme dans son combat démocratique. Il était venu chez moi un jour. C’était très difficile pour moi. Il est venu jusque dans ma chambre pour prier pour moi », dixit le ministre d’Etat. Pourtant, ce dernier qui revendique à titre posthume l’amitié de Sidy, a été l’un des premiers à l’exécuter publiquement sous le règne de Macky. Le 29 décembre 2013, présidant le meeting de la transhumante de Me Nafissatou Diop Cissé à Kaolack, il a appelé ses frères de parti, les ministres Augustin Tine, Anta Sarr, Diène Farba Sarr, la députée Awa Guèye et autres à faire bloc contre Sidy Lamine Niass (qui accusait Macky Sall d’enrichissement illicite) et à solder les comptes avec celui qu’il traite de « vile maître chanteur ». https://www.setal.net/Mbaye-Ndiaye-appelle-a-la-riposte-contre-Sidy-Lamine-Niasse_a22238.html
Auparavant, le 27 décembre 2013, le Secrétariat exécutif national de l’Alliance pour la République (APR) dénonçait les accusations de Sidy qu’ils qualifiaient « d’un vil maitre chanteur, à la solde de ceux qui tentent de protéger ou de couvrir les pilleurs de deniers publics ». https://www.ndarinfo.com/Declaration-de-l-APR-Sidy-Lamine-Niasse-releve-d-une-mission-de-destabilisation-du-pays_a7333.html
Quant aux insultes publiques de Moustapha Cissé Lô sur le boss de Walf qui méritaient une convocation du procureur de la République, la décence et l’éducation ne permettent de les rapporter.
Quid des propos de Youssou Ndour qui disait lors de sa présentation des condoléances à la famille de Sidy que ce dernier est sa référence ? Voici ce qu’il disait le 29 décembre 2013 en marge de l’inauguration de l’hôtel Teranga Ndar : « Il faut que nos institutions soient respectées et la présidence de la République. Il y a trop de laisser-aller dans ce pays. Si quelqu’un a des problèmes qu’il les règles ailleurs. Les hommes et femmes qui incarnent les institutions doivent prendre leur responsabilité. Il y a des gens animés de la volonté de détruire. Ce sont des revanchards ».
Abdou Mbow, vice-président de l’Assemblée nationale, a produit ce communiqué à l’annonce de la mort du patron de Walf : « C’est avec une grande tristesse que j’ai appris le décès du PDG du groupe Walfadjiri. Un homme qui s’est battu toute sa vie durant pour la démocratie dans son pays mais aussi par le travail ». Pourtant, dans la même période de décembre 2013, il taxait Sidy Lamine Niass « d’adepte de Satan ». Il indiquait que « la seule personne dont la preuve d’enrichissement illicite, donc d’un vol, était étalée sur la place publique depuis des années c’était Sidy Lamine Niass ». Et il concluait que « Sidy Lamine Niass était un illuminé qui avait sa place à l’hôpital psychiatrique de Thiaroye ». https://www.leral.net/Abdou-Mbow-descend-Sidy-Lamine-Niasse-Cet-adepte-de-Satan-et-voleur-public-a-offense-les-mourides-et-l-Eglise_a102494.html
Les femmes de l’APR n’ont pas été en reste dans ce pilonnage sans aménités sur Sidy Lamine. Sous la direction de Marième Badiane, elles ont émis un communiqué le 29 décembre 2013, demandant à leur mentor de ne pas rendre « à l’âne son coup de patte ».
Et Thérèse Faye de boucler ce déluge d’insultes sur le patron de Walf dont le seul tort est d’avoir joui de la liberté d’expression, liberté consacrée dans la Charte fondamentale de notre pays. « Sidy Lamine Niass a la nostalgie des mallettes remplies d’argent de Wade. Mais ce qu’il semble oublier c’est que Macky Sall n’est pas Abdoulaye Wade et les mallettes d’argent, c’est fini maintenant. Macky Sall ne va pas céder aux chantages et Sidy Lamine Niass n’aura pas gain de cause cette fois-ci, alors il n’a qu’à arrêter », avait déclaré haineusement la directrice de la Case des Tout-petits.
A ces insultes, s’ajoutent la pression fiscale et l’interdiction à tous les services publics et même à certains privés de donner de la publicité à Walf, au moment où d’autres médias bénéficient d’exonération fiscale et d’un marché publicitaire impressionnant. Cela est confirmé par l’alors Secrétaire d’Etat à la communication Yakham Mbaye qui, le 12 mars 2017, en direct à la RTS, s’en est vivement pris à Sidy Lamine Niass, lui reprochant « son refus total de solder la somme de 500 millions de FCFA qu’il doit à l’Etat et 19 fréquences à payer à l’Artp ». Combien de fois, des injonctions ont été donnés à l’ancien président du CNRA pour fermer Walf pour défaut de respect du cahier de charges ? Mais Babacar Touré a su toujours résister car plusieurs télés confrériques ou pro-pouvoir du champ médiatique ne sont pas en règle. Absurdement, le président Macky Sall a remis lors de la présentation de ses condoléances 20 millions à la famille de Sidy quand lui-même a toujours actionné ses services fiscaux pour asphyxier Walfadjri. Walf plie mais ne rompt jamais.
Aujourd’hui ce qui choque, c’est l’hypocrisie de ces gens du pouvoir. Hypocrites car lui chantant toutes sortes de louanges alors qu’hier ces mêmes personnes ont traité le mollah de Sacré-cœur de tous les noms. Voici Sidy Lamine Niass aseptisé qui entre au panthéon des braves types, encensé et acclamé par des tartuffes qui ne méritent même pas l’honneur d’avoir le droit de parler de lui. De toutes les manières, Sidy restera à jamais dans le cœur et la mémoire des Sénégalais musulmans comme chrétiens. Abhorré hier, il est sanctifié aujourd’hui. Il tire sa révérence en héros de l’Islam et combattant intrépide de la démocratie. Certains de ses contempteurs font semblant de pleurer aujourd’hui sa mort, d’autres hypocrites le béatifient et ne tarissent pas d’éloges sur son œuvre. Mais nous connaissons ses vrais amis. Les hypocrites, eux, se découvrent et se reconnaissent facilement.
Je terminerai par ces derniers versets de la sourate Walfadjri pour le repos de l’âme de celui qui marquera éternellement d’une pierre blanche l’histoire de notre pays.
« Ô toi, âme apaisée,
Retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée ;
Entre donc parmi Mes serviteurs,
Et entre dans Mon Paradis».